28 juin 2020 -- 13ème dimanche "A"

2 Rois 4,8-11.14-16a; Rom 6,3-4.8-11; Mat 10,37-42

H O M É L I E

Jésus avait à Béthanie, près de Jérusalem, un endroit où il savait qu'il pouvait s'arrêter n'importe quand avec ses disciples pour un repas ou un moment de repos.  C'était la maison de Marthe, Marie et Lazare.  De même, le prophète Élie avait sa chambre dans la maison d'une femme influente de Shunem.  Dans l'un et l'autre cas, comme si souvent dans la Bible, nous voyons l'hospitalité liée au don de la vie : soit l'annonce d'une vie nouvelle, soit le retour à la vie pour quelqu'un qui était mort.

 

Le jour de la Fête de la Sainte Trinité, que nous avons célébrée récemment, nous avons lu le beau récit du Livre de la Genèse décrivant comment Abraham, après avoir donné l'hospitalité à trois mystérieux visiteurs, reçut comme récompense d'avoir de sa femme un fils, dans leur vieillesse.  De même, le prophète Élie, après avoir reçu l'hospitalité de la veuve de Sarepta, ramena son fils à la vie (1 Rois 17, 7-24).  Dans la première lecture d'aujourd'hui, la femme de Shunem qui reçut chez elle le prophète Élisée (disciple d'Élie) reçut, comme Sara, le don de la fécondité et donna naissance à un fils (2 Rois 4, 8-17).  Enfin, dans l'Évangile, Marie et Marthe obtiennent de leur hôte, Jésus, la résurrection de leur frère, Lazare.

À la dernière Cène, Jésus dit à ses disciples quelque chose de très simple et de très profond à la fois, dont le sens ne peut être pleinement perçu qu'en le replaçant dans le contexte plus général que nous venons d'évoquer.  Il s'agit de l'affirmation: "Si vous m'aimez, vous observerez mon commandement; mon Père vous aimera; nous viendrons et nous ferons chez vous notre demeure."  Dans cette brève phrase, il y a d'abord l'affirmation que Dieu veut faire sa demeure en chacun de nous. C'est là un mystère sur lequel nous pouvons méditer avec amour sans fin.  Mais il y a aussi l'expression de la condition qui doit être remplie pour que cela se produise.  La condition est celle-ci:  "Si vous m'aimez, vous observerez mon commandement..."  Il s'agit évidemment du commandement de l'amour mentionné par Jésus un peu auparavant: "Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés".  Ces derniers mots: "comme je vous ai aimés" indiquent en quoi le commandement de Jésus est nouveau -- vraiment nouveau.  Son message est que l'amour doit aller au delà des liens traditionnels de solidarité au sein d'une famille, d'une tribu, d'une nation, d'une religion.  Il doit embrasser tout le monde, sans exception, mais tout spécialement les faibles, les pauvres, les abandonnés.

Le peuple juif avait un sens très aigu de solidarité.  L'amour et l'attention portés à tous les membres de la famille élargie et de la même tribu étaient des préceptes sacrés.  L'Ancien Testament est rempli de préceptes comme:  "Tu ne calomnieras pas ton propre peuple... Tu n'auras pas de haine pour ton frère... Tu n'exerceras pas vengeance... contre ton peuple.  Tu dois aimer ton prochain comme toi-même... (cf. Lév. 19, 16-18).  Cependant, la fraternité envers les uns impliquait presque toujours l'hostilité envers les autres.

Le message troublant de Jésus était qu'il voulait inclure tout le monde dans cette solidarité d'amour, même les ennemis.  Il n'hésita pas à en énumérer les conséquences presque inconcevables:  "Faites du bien à ceux qui vous haïssent, bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous font du mal" (Luc 6:27-28).  "Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle reconnaissance pouvez-vous espérer? Même les pécheurs aiment ceux qui les aiment." (Luc 6:32).  L'esprit de groupe est naturel (il peut être très fort entre voleurs, par exemple !).  Jésus demande une solidarité étendue à tout l'humanité.  Cela est plus que ce que nous appelons la fraternité chrétienne, c'est-à-dire l'amour réciproque entre ceux qui partagent l'expérience merveilleuse d'être disciples du Christ.  Jésus demande plus:  il demande une solidarité pleine d'amour qui inclue tout le monde et ne rejette absolument personne.

Le jour du Jugement, le Seigneur dira: "J'ai eu faim... j'ai eu soif... j'étais nu... j'étais en prison... Ce que vous avez fait au plus petit d'entre les miens, c'est à moi que vous l'avez fait."  C'est exactement le même message que nous trouvons dans l'évangile d'aujourd'hui, lorsque Jésus dit à ses disciples -- ceux qu'il appelle constamment "les petits":  "Celui qui vous reçoit me reçoit, et celui qui me reçoit, reçoit celui qui m'a envoyé... Et je vous promets que quiconque aura donné un verre d'eau froide à un de ces petits parce qu'il est un de mes disciples, ne sera pas sans récompense."

Et, finalement, le premier verset de l'évangile d'aujourd'hui, au sujet du renoncement à son père et à sa mère, à son fils ou à sa fille pour suivre le Christ -- qui semble tellement hors contexte ici -- n'est vraiment pas hors contexte.  Ce que dit Jésus, c'est que, pour être ses disciples, pour aimer comme il a aimé, il faut faire tomber les barrières.  Il faut transcender les limites de la famille naturelle, du clan, de la nation.  Il faut transcender la forme de solidarité que l'on éprouve naturellement, afin de s'élever jusqu'à une solidarité qui embrasse tous ceux qui sont embrassés par l'amour de Jésus.

Ce message est aussi important aujourd'hui qu'il l'était au temps du Christ.  Il est surprenant de voir à quel point, après deux mille ans de christianisme, même dans des pays qui se considèrent chrétiens, notre amour et notre solidarité avec les autres êtres humains sont souvent limités par nos loyautés ou préjudices de race, de nation, de langue, de culture, de classe, de famille, de génération, de parti politique ou d'appartenance religieuse.  Notre amour est trop souvent exclusif.  Jésus le veut totalement inclusif.

Armand Veilleux