Solennité de la Pentecôte, 23 mai 2021

Ac 2,1-11; Ga 5,16-25; Jn 15,26-27; 16,12-15

Homélie

 

          Derrière le récit de Luc que nous avions comme première lecture se trouve, comme en filigrane, celui de la tour de Babel.  Dans ce récit de l’Ancien Testament, la construction d’une tour qui avait la prétention d’atteindre le ciel représentait l’effort du pouvoir politique et militaire des Assyriens d’exercer son autorité sur toutes les populations du monde connu et de leur imposer l’uniformité des coutumes et de la langue.  Dieu intervient alors pour assurer la diversité des langues. Ce récit conserve cependant une certaine ambigüité, cette diversité pouvant être interprétée aussi bien comme un don que comme une punition.

 

          Dans le récit de Luc, par ailleurs, la diversité apparaît clairement comme une richesse.  Ce qui se produit le jour de la Pentecôte, ce n’est pas un miracle transformant les Apôtres (et tous les disciples présents, qui sont au nombre de 120 – cf. Actes 1,15) en autant de polyglottes parlant toutes les langues.  Le miracle se produit plutôt chez les auditeurs.  Les Apôtres parlent leur patois galiléen ; mais tous les entendent, chacun dans sa langue.  Les Juifs présents, qui sont venus de la diaspora pour célébrer la Pâque à Jérusalem, représentent toutes les cultures et toutes les races connues à l’époque.  Tous entendent le message des Apôtres chacun dans sa langue.

          Déjà dans le récit de la création, au Livre de la Genèse, l’Esprit – ou le Souffle -- de Dieu engendre la vie à travers un processus de la diversification.  C’est lorsque l’Esprit de Dieu plane sur le chaos initial, que la lumière se sépare des ténèbres, les eaux de la terre, que la vie animale se distingue de la vie végétale et qu’apparaît l’être humain, homme et femme.

          Quant au passage de l’Évangile de Jean que nous venons de lire, il comporte deux récits nettement distincts, tirés tous les deux des discours de Jésus à ses disciples durant la dernière Cène.  Dans la première citation, Jésus parle d'un "Défenseur" (paraclètos, en grec) qu'il nous enverra d'auprès du Père.  Mais il faut bien faire attention au fait que l'Esprit est présenté ici non pas comme le défenseur des Apôtres – ou le nôtre – mais bien comme le Défenseur de Jésus lui-même.  Il est l'avocat qui prendra la défense de Jésus dans le Procès qui l'oppose au monde.

          La deuxième partie du texte évangélique que nous avons lu nous décrit un deuxième rôle de l'Esprit de Dieu -- en nous.  Cet Esprit, défenseur de Jésus, est aussi l'Esprit de vérité qui nous conduit à la vérité tout entière. Jésus ne parle pas ici du témoignage des disciples face au monde mais le témoignage de l'Esprit-Saint au coeur de la communauté ecclésiale.  On ne peut témoigner du Christ que si l'on a foi en lui.  Or, la foi est une relation personnelle, une connaissance au sens le plus profond et le plus intime de la parole.  Cette relation n'est pas le résultat de paroles ou d'un enseignement.  On aurait beau recevoir cet enseignement, même de la bouche de Jésus lui-même, il ne produira rien en nous si nous ne sommes pas encore disposés à le recevoir et à l'assimiler. 

          "J'aurais encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l'instant vous n'avez pas la force de les porter", dit Jésus à ses disciples. Le rôle de l'Esprit-Saint sera de les guider vers la vérité toute entière.  Il les guidera vers Celui qui est la Vérité.  Ils devront accepter de Le rencontrer, de faire l'expérience du Christ tout entier, c'est-à-dire dans l'entièreté de son mystère, comprenant sa mort aussi bien que sa résurrection.  C'est sans doute ce que veut dire Jésus, lorsqu'il dit à ses disciples : "Vous aussi, vous rendrez témoignage, vous qui êtes avec moi depuis le commencement".  Le Christ de qui ils doivent rendre témoignage, ce n'est pas seulement le Christ ressuscité, mais le Christ fait homme, le Christ qui a passé en faisant le bien, le Christ qui est mort et qui est ressuscité.

          Tel doit être le témoignage des Chrétiens dans le monde -- un témoignage qui ne consiste pas simplement à "enseigner" les vérités de la foi ou à les "défendre", mais un témoignage de vie qui consiste à "conduire" tous les humains vers la Vérité toute entière, vers le Christ afin qu'ils en fassent eux-mêmes l’expérience ; afin qu'ils le rencontrent eux aussi dans une relation personnelle intense.

          Dans son Exhortation apostolique Evangelii gaudium, le pape François cite ce texte de l’Évangile de Jean d’une façon tout à fait originale. C’est dans le passage où il parle de la dimension sociale de l’évangélisation et de la nécessité de privilégier les processus de croissance sur l’accaparement des espaces de pouvoir. S’il y a aujourd’hui tellement de conflits au sein de la société, tellement de guerres entre les peuples et même de tensions au sein de l’Église, c’est qu’on a trop voulu reconfigurer le monde et l’Église par voie d’autorité, en exerçant le pouvoir. Nous ne pouvions pas encore comprendre... Le temps est venu de nous laisser guider vers la Vérité, de faire confiance au dynamisme interne de la vie, d’où nous tenons notre être propre, de savoir nous insérer avec confiance dans un dynamisme de croissance dont nous ne connaissons pas toutes les possibilités – en nous-mêmes, dans la société et dans l’Église.

          L’exercice du pouvoir a largement démontré sa capacité de destruction.  L’ouverture confiante en l’avenir nous réserve des surprises. Laissons-nous conduire par l’Esprit de Jésus.

Armand Veilleux