21 novembre 2021 – Fête du Christ, Roi de l'Univers, année "B"

Dn 7, 13-14; Ap 1, 5-8; Jn 18, 33-37

Homélie

           En 1925, encore au début de son pontificat, le pape Pie XI instituait la fête du Christ, Roi de l’Univers, dans un effort pour lutter contre les forces de destruction à l’œuvre dans le monde, qu’il identifiait avec la montée de l’athéisme et la sécularisation. Depuis lors, les Chrétiens célèbrent chaque année le Christ sous ce titre ; mais cela n’a pas empêché de grandes nations d’Europe qui se considéraient chrétiennes de se faire une guerre meurtrière quelques années plus tard. Cette fête, que nous célébrons à notre tour, doit être pour nous l’occasion de nous attacher au message que nous a laissé Jésus encore plus qu’aux titres et concepts toujours inadéquats que les hommes lui ont attribués à travers les âges.

 

           Vers la fin de la vie de Jésus, alors qu’il montait vers Jérusalem où il serait mis à mort et alors même qu’il avait déjà annoncé sa mort par trois fois, la mère des fils de Zébédée, Jacques et Jean, était intervenue auprès de Jésus pour demander que ses fils aient des places de choix dans son cabinet quand il serait devenu roi. Ce fut pour Jésus l’occasion de leur faire cette recommandation : « Les chefs des nations les tiennent sous leur pouvoir et les grands sous leur domination.  Il ne doit pas en être ainsi parmi vous. Au contraire si quelqu’un veut être grand parmi vous, qu’il soit votre serviteur. » (Mt 20, 25-26).

           Si on voulait dégager la fête d’aujourd’hui du contexte historique – plutôt défensif et polémique – dans lequel elle fut instituée et lui donner un titre plus proche de l’esprit du Nouveau Testament, on pourrait l’appeler la « Fête du Christ, Serviteur Universel ».

           Dans son dialogue avec Pilate, que nous raconte le passage de l’Évangile de Jean que nous venons de lire, Jésus se trouve dans une situation qui serait comique si elle n’était si tragique. D’une part, il se trouve devant un roi paranoïaque qui se demande s’il n’a pas devant lui un opposant qui risque de le détrôner, et il se trouve aussi devant les autorités religieuses de son peuple qui ne lui reconnaissent aucune autorité mais qui, pour le faire mettre à mort, prétendent qu’il a voulu se proclamer roi. 

           Jésus se situe admirablement au-dessus de tous ces calculs politiques, même s’il sait bien que ce sont ces calculs politiques qui le feront mettre à mort, et il redonne la même leçon qu’il avait donnée aux fils de Zébédée, à leur mère, et à tous les disciples : son autorité est d’un ordre tout différent.

           « Je suis né et je suis venu dans le monde », dit-il. Jésus ne se situe pas comme une autorité au-dessus du monde. Il se situe « dans le monde ». Son Père a tant aimé le monde qu’il lui a envoyé son Fils. Et le Fils a tant aimé le monde qu’il s’y est incarné et qu’il s’est fait le serviteur de tous. De même il a envoyé ses disciples dans le monde pour y être comme le levain dans la pâte ou le sel de la terre. Détester le monde, le mépriser ou le condamner n’est pas chrétien. La seule attitude chrétienne face au monde est celle du service, qui, en certains cas, peut impliquer un service jusqu’à la mort.

           Jésus est venu, nous dit-il Lui-même, « pour rendre témoignage à la vérité ». Il ne dit pas qu’il est venu enseigner la vérité, encore moins l’imposer.  Il est venu simplement pour lui rendre témoignage.  Et quelle attitude à l’égard de la vérité attend-il de ses disciples ? : « Tout homme qui appartient à la vérité, dit-il, entend ma voix ».

           Nous ne possédons pas la vérité et ne pouvons pas la posséder. C’est elle qui nous possède et tout ce que nous devons faire est d’accepter de lui appartenir. Il est toujours dangereux et souvent catastrophique de penser posséder la vérité. L’histoire nous montre abondamment que chaque fois que l’Église a voulu faire des alliances avec les puissants de ce monde pour propager la vérité qu’elle pensait « posséder » les résultats furent dramatiques. Les croisades ne furent pas des aventures évangélisatrices.  Ce ne sont pas non plus des cohortes de « nouveaux évangélisateurs » partant en campagne à la conquête du monde qui réaliseront cette évangélisation toujours nouvelle dont le monde d’aujourd’hui a besoin, comme celui de tous les temps. Ce que recherche Jésus ce sont des personnes qui reconnaissent humblement qu’ils appartiennent à la vérité et se laissent posséder par elle.

           Ceux-là, dit encore Jésus, entendent sa voix.

           Écoutons, frères et soeurs, la voix de celui qui nous appelle à nous faire humblement les serviteurs les uns des autres et de tous nos frères et soeurs en humanité. C’est à travers ce service que la foi se répandra comme un feu à travers le monde dont nous faisons partie, le réchauffant et le purifiant.

Armand Veilleux