31 juillet 2022 – 18ème dimanche « C·

Qo 1,2 ; 2,21-23 ; Col 3,1-5.9-11 ; Lc 12,13-21 

HOMÉLIE

          « Vanité des vanités, disait l’Ecclésiaste.  Vanité des vanités, tout est vanité ! ». Le livre de l’Ecclésiaste, appelé aussi Qohéleth, est déconcertant au premier abord.  Ce cher Qohéleth nous apparaît pour le moins désabusé.  Par ailleurs, par certains côtés il nous apparaît plutôt moderne.  On peut dire qu’il est passablement contestataire – un soixante-huitard du 3ème siècle avant le Christ... à moins de le considérer comme un post-moderne !

          Contrairement à ceux qui pensent que, pour être croyant, il faut continuellement parler de Dieu, cet auteur est le meilleur représentant de la tradition de l’Ancien Testament qu’on appelle celle des écrits de Sagesse.  Ces auteurs sont convaincus que la vie humaine est régie par un ensemble de lois dont Dieu est la cause ultime, puisqu’il est le créateur du monde.  Plutôt que d’être toujours à l’affût d’une nouvelle « révélation divine », ces « sages » croient que pour vivre « sagement », il faut scruter le sens profond des choses – un sens la plupart du temps caché à l’ensemble des hommes et des femmes.  Ces sages se posent, en tout premier lieu, la question du sens de la VIE ; et ils posent cette question d’une façon très générale, universaliste, sans référence spéciale au peuple d’Israël.  Finalement ce qui semble un livre très peu religieux est rempli de sagesse divine.  Nous savons d’ailleurs que les personnes les plus religieuses ne sont pas nécessairement celles qui parlent le plus facilement et le plus souvent de Dieu, mais celles qui vivent selon Dieu en vivant le mieux possible la vie humaine que Dieu leur a donné de vivre.

          La vie humaine est faite de beaucoup de choses : le travail, la richesse, le plaisir, la douleur, la pauvreté, les joies, les déceptions, la religion, le temps, etc.   Quel est le sens de toutes ces choses ?  En fin de compte une seule chose est importante : c’est la vie.  Ce dont est remplie la vie a certes son importance ; mais il serait idiot de rechercher toutes ces choses si l’on oublie la seule chose qui compte : la vie elle-même.  C’est d’ailleurs l’expérience de Job, l’un des meilleurs représentants de cette grande tradition sapientielle.  Job fait la découverte extraordinaire qu’après avoir perdu tout ce qui remplissait sa vie : richesses, amis, famille, santé, il vit toujours ; et il peut alors retrouver toutes ces réalités qu’il a perdues et en jouir vraiment, librement, pour la première fois. 

          Cette sagesse tout humaine de l’Ecclésiaste est réellement une excellente introduction à la sagesse que nous livre Jésus dans l’Évangile de ce jour.  Le riche agriculteur de la parabole que Jésus raconte, n’était préoccupé que de l’accroissement et de la garde de ses richesses ; il oubliait de vivre – oubliait cette seule réalité qui continue d’exister après notre existence d’ici-bas. Il oubliait de vivre parce qu’il oubliait les autres. Il semble n'exister que pour lui-même. Il parle comme s'il était la seule personne sur terre.  Tout, dans sa brève déclaration, est à la première personne :  "Que vais-je faire ? je n’ai pas de place où mettre ma récolte...  Voici ce que je vais faire : je vais démolir mes greniers, j'en construirai de plus grands et j'y entasserai tout mon blé et tous mes biens. Alors je me dirai à moi-même... Repose-toi, mange, bois, jouis de l'existence."  Il parle comme s'il n'avait rien reçu des autres et comme s'il n'était pas devenu riche à cause du travail de ses serviteurs.  C'est un homme terriblement seul.

          Il est seul, même dans l'usage de ses richesses.  Sa préoccupation est uniquement d'accumuler toujours plus.  Il ne lui vient même pas à l'idée que les pauvres et les affamés auraient besoin de cette richesse accumulée dans ses magasins. Sa folie réside dans son incapacité de comprendre que tous les hommes -- et tous les peuples -- sont interdépendants.  Cette folie a conduit l'humanité au bord de la catastrophe, les pays pauvres devenant toujours plus pauvres et les pays riches s'adonnant toujours plus à une consommation effrénée.  La même division s'accentue d'ailleurs au sein de chaque pays, même au sein des pays pauvres.

          L’oubli de cette valeur suprême de notre propre vie conduit au non respect de la vie de l’autre.  L’avidité conduit aux querelles – même entre frères, comme dans le cas de cet homme qui demande à Jésus de régler son problème d’héritage -- ; elle conduit aussi à l’oppression, l’injustice et les guerres.  D’où l’importance de la recommandation de saint Paul aux Colossiens, de centrer le sens de leur existence non pas sur les choses périssables – qu’il appelle le vieil homme – mais sur la réalité de la Vie nouvelle reçue en plénitude dans le baptême. Alors, tout ce qui peut nous séparer perd toute son importance :  il n’y a plus de Grecs ou de Juifs, de Chrétiens ou de Musulmans, d’orientaux ou d’occidentaux, de barbares ou de civilisés.  Il n’y a que le Christ qui en chacun est la plénitude de Vie. 

          Nous, chrétiens, nous nous gargarisons trop facilement de belles formules.  En quelque sorte nous parlons trop facilement de Dieu et des choses spirituelles.  La sagesse toute terre à terre de Qohéleth, reprise par Jésus et par saint Paul, nous rappelle que c’est tout d’abord en vivant et en vivant pleinement la vie humaine telle qu’elle a été voulue et créée par Dieu, que non seulement nous atteindrons notre propre bonheur ici bas et dans l’au-delà, mais que nous contribuerons à l’établissement du Royaume de Dieu.

Armand VEILLEUX