18 août 2019 -- 20ème dimanche "C" - Jer 38, 4...10; Heb 12, 1-4; Luc 12, 49-57  

H O M É L I E

« Je suis venu apporter un feu sur la terre... ». Vous conviendrez avec moi que ce n’est pas un texte évangélique facile. C’est une noix plutôt dure; mais une fois qu’on en a cassé l’enveloppe on y trouve une amande fort savoureuse.

Dans l’antiquité, dans toutes les religions primitives, le feu était considéré comme quelque chose de sacré. Pour les peuples primitifs, il y avait un fossé, une séparation radicale, entre ce qui est était considéré comme le domaine des dieux, et l’espace habité par les humains; entre le sacré et le profane. Le feu, qui est une chose si mystérieuse, qui réchauffe et nourrit la vie, mais qui peut aussi détruire, était considéré comme divin. C’est pourquoi dans les mythologies anciennes, par exemple dans le mythe grec de Prométhée, un point tournant de l’histoire humaine fut franchi lorsque Prométhée, l’un des titans, arracha aux dieux le secret du feu et le donna aux humains.

 

Nous pouvons garder cela présent à l’esprit lorsque nous lisons les paroles de Jésus : « Je suis venu apporter le feu sur la terre... » Il est venu en effet pour supprimer le fossé entre Dieu et les hommes. C’était déjà l’enseignement du premier livre de la Bible, le Livre de la Genèse, et du récit de la création qu’on y trouve. Dans la tradition juive et la tradition chrétienne, contrairement à ce qu’on trouvait dans les religions païennes, Dieu a confié aux humains l’ensemble de la création et a fait d’eux les gardiens de celle-ci. Il n’y a donc plus rien qui soit sacré par nature. Tout est profane. Toute la création est à la disposition de l’homme. Mais tout peut devenir sacré s’il est utilisé pour rendre gloire à Dieu.

 

Jésus est venu précisément pour combler le fossé entre Dieu et les humains; il est venu combler aussi le fossé entre les humains. Dans l’ancienne tradition d’Israël, telle qu’on la trouve dans l’Ancien Testament – tout comme, d’ailleurs, dans les traditions des autres peuples de l’antiquité -- les liens familiaux avaient une importance extrême. Une personne devait tout à sa famille, et ces liens familiaux s’étendaient aux cercles concentriques de la famille élargie, du clan, de la tribu, de la nation. En dehors de ces cercles, il n’y avait que des ennemis. Dans un contexte de guerres presque continuelles, une personne devait aimer les siens et haïr tous les autres. C’était une condition de survie.

 

Jésus a voulu combler aussi ce fossé. Il était venu apporter le salut à tous les hommes et toutes les femmes. Il aimait tout le monde et voulait que chacun étende sa capacité d’aimer au-delà des limites de sa famille et de ses proches. Pour Jésus, les liens familiaux demeurent importants; mais ils doivent être subordonnés à quelque chose d’encore plus élevé : à l’amour de Dieu et à son appel à l’amour universel. Rien ne peut barrer la route à un tel engagement. Si ton œil est pour toi une occasion de chute, arrache-le... Si ta main est une occasion de chute, coupe-la... Jésus a montré lui-même plus d’une fois qu’il ne voulait pas être emprisonné par les liens qui l’attachaient aux siens.

 

« Je vous donne la paix; je vous donne ma paix... » Cette paix apportée par Jésus n’est pas la simple absence de conflit et encore moins une forme romantique de tranquillité. Des conflits sont inévitables entre les humains. S’ils sont toujours évités, la paix qui en résulte n’est pas la paix que Jésus est venu apporter. S’ils sont bien gérés, de la façon dont Pierre et Paul l’ont fait au premier Concile de Jérusalem, et comme l’ont fait à leur manière les premiers martyres chrétiens, alors la paix du Christ est établie sur notre terre. Cela est vrai de l’Église, d’une famille, d’une communauté. Il y a des groupements humains, des communautés, où tout le monde est toujours souriant, où il n’y a jamais de conflits, parce toute question pouvant être l’objet de conflit est toujours soigneusement évitée. C’est alors une situation semblable à celle de certains échangeurs parfois très complexes sur nos autoroutes : le danger d’accident est limité; mais il n’y a plus aucune rencontre. Chacun va droit devant soi en ignorant les autres.

 

Jésus est venu apporter le feu sur la terre. Une communauté chrétienne, que ce soit l’Église universelle, une église diocésaine, une communauté monastique ou une famille, est une place où il doit y avoir du feu, parfois même des feux d’artifice. Car le feu apporte la vie et purifie. Demandons à Dieu pour chacun de nous la grâce d’être fidèles à notre appel à l’Évangile, fidèles à nos principes, fidèles au Royaume de Dieu, et capables de subordonner tout le reste à cette fidélité. C’est dans un engagement radical et honnête comme celui-là que se trouve la source de toute paix ultime.

 

 

Armand VEILLEUX