23e dimanche A - Septembre 2017

 Frères et sœurs, dans le sport, la politique ou les jeux de hasard, il y a ceux qui gagnent et il y a, généralement plus nombreux, ceux qui perdent. C’est vrai aussi dans la société, au point que l’on nous encourage parfois, notamment dans de grandes écoles ou des multinationales, à être des gagnants, des vainqueurs, qui n’auraient pas à se préoccuper des autres, et encore moins de ceux que l’on appelle parfois, avec un pragmatisme glaçant, les perdants. Cette logique de compétition et de réussite à tout prix n’est évidemment pas celle de l’évangile et, nous l’avons entendu dimanche dernier, Jésus nous met en garde contre la tentation de vouloir « gagner le monde, si c’est au prix de (notre) vie » (16,26).

 

Nous le savons, Jésus s’est rangé du côté des perdants, des exclus, des pauvres et des petits et, à l’image de la brebis égarée, perdue, perdante, dans les versets qui précèdent l’évangile de ce jour, il redit combien ces perdants ont de la valeur aux yeux de Dieu. Jésus, par l’échec apparent de la croix et de la mort, sera là aussi du côté des perdants et, puisqu’il nous appelle à le suivre, il nous invite à être nous aussi, en quelque sorte, des perdants, à perdre notre vie à cause de lui (cf.16, 25) comme nous l’avons entendu là encore dimanche dernier.

Mais voilà qu’aujourd’hui, dans l’évangile, il ne nous invite pas à perdre, mais à gagner, à être des gagneurs de ce que nous n’aurions peut-être pas imaginé : « gagn(er) notre frère ». Non pas le gagner en l’embrigadant, encore moins en le vainquant, mais le gagner en se donnant les moyens de se rejoindre, de se comprendre, de délier ce qui était lié, ligoté ; d’aller ensemble sur le chemin de la vie pour, in fine, être réunis au nom du Christ, Christ présent au milieu de nous.

Jésus prend l’exemple de ce frère qui a commis un péché et nous indique un itinéraire de retour au sein de la communauté en trois paliers : le seul à seul, l’aide de témoins, l’appel à l’assemblée de l’Eglise et, peut-être encore un quatrième degré, la prise de distance vis-à-vis du pécheur. Si la traduction liturgique précise que le péché a été commis « contre toi », il est intéressant de noter que ce « contre toi » est absent dans un certain nombre de manuscrits. Le péché, que nous assimilons à notre rapport à Dieu, se vit, se commet concrètement, s’incarne dans notre rapport aux hommes.

Quand nous sommes en conflit avec quelqu’un, nous nous croyons souvent légitimement dans notre bon droit, et alors nous attendons de lui qu’il fasse le pas, les efforts de conversion nécessaires, voire qu’il prononce des excuses. Les étapes que Jésus nous propose nous aideront à objectiver la situation et à découvrir finalement notre part de responsabilité. Responsabilité dans la mesure où nous ne sommes certainement pas tout blanc. Mais responsabilité aussi dans le sens où nous ne sommes pas dans un chacun pour soi où l’autre ferait ce qu’il veut jusqu’à se perdre. Non, l’autre n’est pas d’abord « comme un païen et un publicain », mais un frère, et nous avons donc, l’un vis-à-vis de l’autre, une responsabilité. Et c’est bien en raison de cette responsabilité que Jésus nous propose ici ce chemin de communication et de correction fraternelle.

Ce chemin, nous l’avons dit, est victoire, bénéfice, plus de vie, puisqu’il s’agit de gagner son frère. Or, chaque fois que Jésus nous invite à perdre, c’est parce qu’il y a autre chose à gagner ou à ne pas perdre : perdre sa vie mais pour la garder ; ne pas vouloir « gagner le monde entier, si c’est au prix de sa vie » (16,26). Maintenant qu’il nous invite à gagner, c’est qu’il y a peut-être quelque chose à perdre, une défaite apparente, et par conséquent un combat préalable. Pour être vainqueurs, il nous faut d’abord être perdants. Comme aimait à le répéter André Louf : « pas d’humilité sans humiliations ». Si je veux rejoindre ce frère, ce sera d’abord en m’interrogeant moi-même, en reconnaissant tous ces sentiments qui montent en moi, en acceptant de vaincre mon égoïsme, ma fierté, ma volonté - qui n’ont certainement aucune envie de le rejoindre - afin de laisser grandir en moi l’esprit de vérité, l’esprit de charité. Ce retour à Dieu, c’est à chacun des deux frères de le faire, et c’est peut-être d’abord en cela que nous sommes frères, tous deux aussi blessés que blessants. Ce retour à Dieu est en fait la découverte que la seule façon de gagner mon frère c’est de me faire frère, donc fils du même Père, fils dans le Fils. Et je suis fils quand je renonce à ma volonté, à ma façon de voir, quand j’accepte de faire confiance à un autre, au Christ, en le suivant sur ce chemin de purification, de désencombrement de soi, chemin qui mène au Père, ce Père qui « ne veut pas qu’un seul de ces petits soit perdu » (18,14).

Frères et Sœurs, l’autre, bon ou méchant, sera toujours un frère, une sœur, si nous savons accueillir en lui la parole et le chemin de vie, parfois dérangeants, que le Seigneur nous propose.