Baptême du Seigneur C 

Si vous avez déjà participé à un meeting politique, vous connaissez la mise en scène qui est élaborée pour mettre en valeur le chef ou le candidat du parti. Alors que la salle est comble, les intervenants se succèdent, ceux qu’on appelle des seconds couteaux, qui ne cessent de vanter celui à qui tout le monde pense, que tout le monde attend, mais qui n’est toujours pas là. Puis, un ténor du parti, un homme ou une femme d’un charisme certain, qui a déjà assumé de hautes responsabilités, et dont la valeur met d’autant en plus en évidence celle de celui qu’on attend, prend la parole.

Alors, l’ambiance étant à son comble, on envoie une musique entraînante et, par une entrée et un chemin qu’il aura été le seul a empruntés, et ce à travers la foule, le grand leader arrive dans un enthousiasme délirant. Il monte sur la scène et, comme un passage de témoin, donne une franche accolade au dernier des orateurs, puis se dresse, les bras levés, face à la foule. Celle-ci a alors enfin devant elle celui qui incarne ses espoirs et demain peut-être, sûrement, la victoire.

 

Nous pourrions dire que saint Luc rédige le début de son évangile de la même manière, mais il y ajoute un coup de théâtre qu’aucun communicateur politique n’approuverait. Tout au long de ses deux premiers chapitres, que nous avons réentendus durant l’Avent et le temps de Noël qui s’achève aujourd’hui, avec les annonciations, la visitation, les naissances, la présentation au Temple et le périple de Jésus quand il avait douze ans, les projecteurs se sont tournés l’un après l’autre vers Jésus. Puis, au chapitre 3, avec Jean-Baptiste qui annonce, comme nous l’avons entendu, la venue d’un « plus fort » que lui, on attend, d’un instant à l’autre, l’arrivée de Jésus et, en quelque sorte, le début de son discours, de sa mission, de sa victoire.

Mais voilà que dans un verset que la liturgie de ce jour n’a pas retenu, Luc nous apprend que Jean-Baptiste - le ténor politique dont nous parlions précédemment, celui qui devait passer le témoin et dont nous attendions, enthousiastes, la rencontre fraternelle avec le leader – voilà donc que Jean-Baptiste disparaît puisque Hérode le fait emprisonner. Alors certes, Luc nous dit que Jésus a été baptisé, et il est clair que c’est par Jean-Baptiste, mais c’est comme si notre leader montait sur une scène vide puisque Jean-Baptiste n’y est plus. Et pour corser le tout, l’évangéliste précise que Jésus a été « baptisé lui aussi », comme « tout le peuple », mais donc en quelque sorte incognito ; non pas fendant la foule mais fondu dans la foule.

Bref, nous sommes loin de l’ambiance de notre meeting politique, et nous pouvons donc nous interroger sur le charisme réel de notre leader. Et c’est peut-être là la vraie question de ce texte : quel genre de Messie Dieu nous a-t-il envoyé ?

 

Le Christ ne se révèle pas d’abord dans le baptême qu’il reçoit, mais par cette prière dans laquelle il se plonge. C’est à ce moment, dans l’intimité de cette relation au Père, que le ciel s’ouvre, que l’Esprit descend et qu’une voix s’adresse à lui. Mais là encore, nous ne sommes pas dans l’ambiance d’un meeting, puisque rien n’indique que le peuple ait connaissance de ces manifestations.

Jésus n’agit donc pas comme un politique qui se servirait de la foule pour accéder au pouvoir, mais il vient pour en être le serviteur. Son pouvoir, il le tient du Père, de sa nature de Fils, et ce pouvoir est à notre service. Car dans cet épisode du baptême, le Père lui confirme sa mission de Messie, ou plutôt lui confirme qu’il agit comme doit le faire le Messie de Dieu. Un Messie qui vit dans l’intimité du Père – et c’est ce que manifeste sa prière – et qui est autant lié au Peuple qu’il l’est à Dieu. Lui qui n’a pas péché, se fait solidaire des hommes en acceptant, et même en demandant, ce baptême de conversion pour le pardon des péchés. Un Messie qui manifeste sa proximité avec Dieu et avec le pécheur, avec chacun d’entre nous ; qui manifeste comment Dieu est Dieu, c’est-à-dire proche et miséricordieux, doux comme une colombe.

Alors peut-être êtes-vous sceptiques en entendant parler d’ « une apparence corporelle, comme une colombe ». Mais il s’agit ici d’exprimer le caractère concret de la manifestation de l’Esprit qui désormais va se donner à voir, à entendre, à toucher, dans la vie de Jésus, comme il se manifeste aujourd’hui encore dans chacune de nos vies.

 

Nous disions que Jean-Baptiste avait disparu de la scène, et que le peuple n’a probablement pas vu le ciel s’ouvrir, l’Esprit descendre, ni entendu le Père. C’est peut-être parce que cette théophanie, cette manifestation de Dieu, nous est destinée, à nous, auditeurs de l’évangile. Luc ne relate pas d’abord un évènement d’hier, mais une rencontre pour aujourd’hui, et cette rencontre c’est nous, régulièrement rassemblés dans cette église, qui la faisons. Le Messie est au milieu de nous, il connaît nos faiblesses, mais aujourd’hui encore il nous redit l’amour de Dieu et nous communique son Esprit, concrètement, pour que nous marchions, derrière lui, tous ensemble, solidaires, vers la victoire, le Salut.