Pâques 2016

Spontanément, si nous pensons à ce matin de Pâques d’il y a 2000 ans, nous pouvons imaginer le jardin, le tombeau ouvert, la visite des femmes, et Jésus, éblouissant, vivant. Et puis, il y a ce cri qui déchire le silence, qui pénètre le monde, un cri tel une naissance : « Le Seigneur est ressuscité ! ». Or en ce jour de Pâques, ce cri n’est pas exprimé dans l’évangile de saint Jean que nous venons d’écouter. Et d’ailleurs, le cri qui s’y trouve est loin de l’enthousiasme : « On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a déposé. » Lors des chapitres précédents, nous avons assisté à l’arrestation de Jésus, à sa condamnation, son supplice, sa mort et sa mise au tombeau, et voici que maintenant l’heure est à la disparition de son cadavre, comme si tout ce qu’il avait fait et avait été devait disparaître, être totalement anéanti, livré à l’oubli, comme pour mieux signer l’échec de Jésus, voire sa supercherie.

 

Eh bien aujourd’hui encore, dans nos vies et notre monde marqués par la violence, la souffrance et la mort, nous pourrions faire le même constat : où est-il ce Jésus ? Où est ce Royaume de paix qu’il annonçait ? Où est ce Dieu d’amour dont il nous parlait ? Oui, c’est bien « alors qu’il fait encore sombre…ténèbres » que nous nous rendons au tombeau ce matin.

Avouons-le, il y a des jours où nous avons de quoi désespérer face à ce que nous apprenons dans les actualités – et comment ne pas penser aux attentats ? – ou, plus égoïstement, face à nous-mêmes, voyant combien il nous est difficile de devenir, d’être, le chrétien, l’homme ou la femme, le frère que nous voudrions être. Oui, finalement nous pourrions être tentés de croire que Jésus est bel et bien définitivement mort, et que la foi est vaine, illusion.

 

Mais voilà, il y a dans ce texte un second cri, cri dans le sens où le silence, l’absence de sens, sont soudain déchirés ; cri qui repousse les doutes que nous venons d’émettre : « Il vit et il crut ». Pas une parole n’est prononcée et pourtant tout est dit. Saint Jean lève le voile et nous ouvre un avenir que nous n’attendions plus. Autre chose est possible ; Christ est ressuscité ; la vie, la vie en plénitude, s’impose au-delà de la mort, de la souffrance et du mal.

Mais alors comment passer du désespoir, de la révolte ou de la résignation à l’espérance et à la vie ? Que s’est-il donc passé entre ces deux cris puisque finalement nous n’avons rien vu ? Nous n’avons pas vu Jésus ressuscité bien sûr, mais ce récit ne nous a pas non plus donné grand-chose à voir. Nous sommes comme Pierre qui constate l’absence du cadavre et observe les linges bien rangés : des signes, des indices, mais pas de quoi fonder la foi en la Résurrection, pas de quoi inverser le triste constat que nous faisions sur notre monde.

Les récits qui suivent sont beaucoup plus convaincants, puisque Jésus y apparaît et, davantage qu’il est vu, il se manifeste, il se donne à voir. Aujourd’hui, dans l’évangile, Jésus, comme peut-être dans notre monde, est apparemment absent. ‘Apparemment’ car derrière cette absence il y a comme une présence, puisque tous les regards et toutes les courses sont tournés vers lui. Oui, finalement il est là dans le désir et l’amour des disciples et dans ce qui les rassemble. Et surtout, il est là, nous dit saint Jean, dans l’Écriture : « Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris que, selon l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts. » L’Écriture, c’est bien sûr pour les disciples la Loi et les prophètes, ce que nous appellerions l’Ancien Testament. Pour nous aujourd’hui, c’est aussi le Nouveau Testament. Mais l’Écriture, c’est également nos vies et notre monde. Alors certes nous pouvons les lire, les décrypter comme nous le ferions dans à un tombeau vide, en observant ici des linges et là un suaire, simple examen qui ne nous apprendrait pas grand-chose. Mais nous pouvons aussi les lire comme « un disciple bien-aimé », c’est-à-dire en relation avec Celui que nous cherchons, Celui à qui nous avons choisi de lier notre vie, et alors, par sa grâce, l’Écriture devient Parole et nous ouvre, tel un tombeau dont « la pierre a été enlevée », à une autre réalité : « il vit et il crut ».

 

Frères et sœurs, alors « qu’il fait encore sombre…ténèbres », Dieu vient faire triompher la vie, mais il le fait humblement. La Résurrection n’a rien d’éclatant ni de brillant, car elle se joue d’abord dans le secret du cœur de chacun. Alors, en ces jours difficiles pour la Belgique, jours qui nous disent quelque chose de ce que vivent tant de personnes à travers le monde, n’ayons pas peur de courir vers nos tombeaux, de débusquer et d’observer ce qui, en chacun de nous, nous fait tomber ;et, de par la grâce du Père qui a ressuscité Jésus, de pouvoir y lire la présence de la vie qui nous attend pour s’éveiller et pour vaincre, tel un cri qui inaugure un jour nouveau en déchirant la haine, la peur, la violence et la mort.