Vigile Pascale 2019 (Luc 24,1-12)

 Frères et sœurs, vous le savez, la liturgie ne se limite pas à des rites, voire des rubriques, mais elle est un acte, une action, et d’abord un acte de Dieu en notre faveur. Vivre la liturgie, et à fortiori la liturgie eucharistique de cette nuit de Pâques, c’est vivre le Salut qui se réalise, qui est en action, ici et maintenant.

Et c’est donc ce que nous vivons depuis le début de cette célébration, comme ont voulu le manifester cette lumière qui s’impose à la nuit ; cette marche, ensemble, rassemblés, libérés ; et cette écoute des récits du salut où nous avons pu réentendre Dieu à l’œuvre dans notre histoire, dans notre monde, dans notre avenir.

Le dernier récit que nous avons entendu est celui des femmes au tombeau qui ont vécu, croyons-nous, ce qui ne nous a pas été donné de vivre ; oui, nous n’étions pas là il y a 2000 ans ! Et pourtant, à y regarder de plus près, si elles ont vu des anges – que Luc qualifie d’ailleurs tout simplement d’ « hommes… en habit éblouissant » (4) - elles n’ont pas vu Jésus. Si nous restons dans ce registre du voir, elles ont vu une « pierre roulée sur le côté (d’un) tombeau » vide (2). Et j’oserais dire que si nous en avons la possibilité, nous pouvons, nous aussi, aller à Jérusalem et voir ce même tombeau vide, ou tout au moins ce qu’il en reste. Et c’est en quelque sorte ce que fait Pierre à la fin de notre évangile : il court, se penche, voit des « linges, et eux seuls (et s’en retourne…) tout étonné », encore incapable de comprendre « ce qui était arrivé » (12).

Alors en effet, certains d’entre nous sont allés en Terre Sainte et ont eu la grâce d’entrer dans ce tombeau. Là encore, je crois, il n’y a rien à voir avec les yeux, en tous les cas pas l’essentiel. Mais ce qui donne toute sa force à ce moment où l’on se penche, où l’on entre, où l’on voit, c’est l’Ecriture, le souvenir de l’Ecriture, l’aujourd’hui de la Parole. Et c’est ce qui s’est passé pour ces femmes, qui s’ouvrent au mystère de la Résurrection parce que les anges les renvoient au Verbe, à la Parole : « Rappelez-vous ce qu’il vous a dit » (6). Les paroles de Jésus, ses annonces de la Passion, soudain s’éclairent, prennent sens, prennent corps. Quand nous parlons de la Résurrection, nous pensons anges, tombeau vide, apparition, mais Luc nous dit qu’il nous faut penser Ecritures, Parole. C’est là que le Christ ressuscité nous attend, et qu’il se fait entendre ; c’est là qu’il est vivant et qu’il nous donne rendez-vous pour nous ressusciter avec lui, c’est-à-dire pour nous ouvrir à sa vie. Et c’est pourquoi en Luc, contrairement à Marc et Matthieu, les femmes n’entendent pas qu’elles verront le Vivant en Galilée : il ne s’agit pas de le voir, mais de découvrir, d’entendre sa présence, sa vie, dans ce qui nous est donné de vivre maintenant. Et là encore, à la différence des deux autres évangiles, les femmes ne sont pas invitées à se rendre auprès des disciples pour leur annoncer la Bonne Nouvelle, mais elles le font naturellement, évidemment. Elles le font comme l’avait fait Marie avant elles, juste après l’Annonciation, pour se rendre chez sa cousine Elisabeth. Comme Jésus a été annoncé à Marie et a pris chair en elle, il est de nouveau annoncé aux femmes et prend corps en elles pour un nouveau commencement. Ce sont elles qui deviennent maintenant les « deux hommes… en habit éblouissant », les messagères, les porteuses de la Parole, mais les Onze demeurent fermés, et même enfermés dans le diktat du voir plutôt que de l’entendre. Nous pourrions penser ici à la parabole du pauvre Lazare et à la réponse que fait Abraham au riche : « S’ils n’écoutent pas Moïse ni les Prophètes, quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts : ils ne seront pas convaincus. » (16,31). Et il faudra attendre le récit suivant, celui d’Emmaüs, pour que les disciples s’ouvrent enfin à la Parole : « Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait les Écritures ? » (24,32).

Frères et sœurs, notre célébration de cette nuit est une véritable immersion dans les Ecritures qui pourrait ainsi symboliser l’immersion dans les eaux du baptême. Cette nuit, c’est en nous - nous qui avons écouté la Parole - que le salut prend chair, que le salut prend corps, à la fois comme personne et comme assemblée, communauté. Et c’est nous qui, au terme de cette eucharistie, serons envoyés, comme les femmes, pour annoncer. Dans cette perspective, peut-être faut-il réentendre la deuxième partie du message des anges : « Il faut (qu’il) soit livré… crucifié et … qu’il ressuscite. » (7) Notre Bonne Nouvelle n’est pas exempte de larmes ni de sang, ce qui veut dire qu’elle n’est pas hors de la vie, déconnectée. C’est bien au cœur de notre vie, de nos journées, de nos épreuves, que nous devons entendre résonner en nous et autour de nous cette parole qui ouvre les tombeaux, qui remet en marche, qui fait de nous, malgré tout, mais avant tout, des vivants.