Noël 2022

Messe de la nuit

Frères et Sœurs, vous connaissez le proverbe, « Noël au balcon, Pâques au tison ». Il ne s’agit pas ici pour moi de vous parler météo, mais de redire le lien entre ces deux fêtes. Et non pas qu’il fallait, de toute évidence, que le Christ naisse pour pouvoir un jour mourir et ressusciter. Mais plutôt, il fallait que le Christ ressuscite pour que l’évangéliste Luc relate sa naissance et que l’Eglise la célèbre en cette nuit très sainte. Ainsi, si de par sa résurrection, Jésus est fait « Christ et Seigneur », il est, dans ce récit que nous venons d’entendre, dès sa naissance, à la lumière de cette résurrection, Christ et Seigneur : « Aujourd’hui », dit l’Ange aux bergers et à nous-mêmes, « vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur ». Ce « nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire » est « signe qui [nous] est donné » que le salut de Dieu est déjà à l’œuvre, en marche, inarrêtable. Et pas seulement parce que 33 ans après cette naissance, le Christ ressuscitera, mais parce que dès maintenant, ce qu’il est venu apporter au monde est déjà là, en sa présence, en son humanité. Ainsi, Luc écrit son récit de Bethleem à la lumière de ce qui s’est vécu sur les routes de Galilée, sur la croix et au matin de Pâques.

D’abord, tout au long de sa vie publique, Jésus a montré son attention à chacun, la place irremplaçable de chacun. Et il l’a fait - contrairement aux conventions de son époque - en s’attardant auprès des plus pauvres, des exclus, des pécheurs, des femmes et des enfants. Et cela le conduira à être crucifié entre deux larrons, pour rejoindre les rejetés, les abandonnés, les trahis. Alors, si nous revenons à la crèche, en choisissant de s’incarner, de se faire homme parmi les hommes, Dieu dit et redit la valeur infinie de notre humanité, de toute personne, de toute vie. Ainsi, sur les routes, au matin de Pâques comme dans la nuit de Noël, il apporte le salut, la lumière et l’espérance dont nous avons besoin pour vivre les uns avec les autres.

Ensuite, sur la croix, le Christ est impuissant, sans force, les mains liées, clouées, pour être abandonnées aux mains hostiles d’autres hommes. Il s’est remis entre nos mains, mais nos mains, par peur, par paresse, par égoïsme, l’ont livré à la mort. Dans la crèche, le « nouveau-né emmailloté » n’a guère plus de possibilités d’user de ses mains et de se défendre. Là encore, il est entre les mains des autres, de leur bon vouloir, mais c’est ici un père et une mère, Joseph et Marie, qui apprennent à l’aimer. Les psychologues nous disent que nous sommes profondément marqués par l’expérience de notre naissance mais aussi de nos premiers mois dans cette vie, où nous avons conscience de notre impuissance et de notre totale dépendance vis-à-vis des autres. En résulte la découverte de l’amour, quand le visage qui se penche vers nous le fait pour nous nourrir, nous soigner, nous aimer. Mais aussi, en découle la persistance de l’angoisse d’être rejeté, abandonné, maltraité. Le Christ, par son incarnation, est venu traverser avec nous cette angoisse pour ne plus être - comme nous le disions à propos de sa vie publique - (ne plus être) qu’amour, proximité et, compréhension, nourriture et guérison. Sur la croix, il affrontera de nouveau cette angoisse, mais restera totalement ancré, cloué, emmailloté dans l’amour. Sur la croix comme dans la mangeoire, dans nos angoisses, le Christ nous sauve en se montrant à nos côtés, comme déjà là, comme toujours là.

Enfin, s’il en ainsi, c’est bien parce qu’il est totalement tourné vers son Père en qui il met toute sa confiance et de qui il se reçoit. En mourant sur la croix, en s’abandonnant dans les mains du Père au-delà des mains funestes des hommes, il ne veut être et naître que pour l’amour. Celui qui est allé jusqu’au bout de sa relation au Père est le même qui, en cette nuit, dort dans une mangeoire, n’ayant d’autre choix que la confiance. Et c’est dans cette confiance, cet abandon qu’il recevra du Père de trouver sa vie, son chemin, sa mission, et de retrouver la vie, ressusciter, renaître. Dans le tombeau comme dans la crèche, dans l’angoisse, le mal, la mort, le Christ nous sauve en nous montrant un horizon, un au-delà, qui se fait Père, amour, vie éternelle.

Ainsi, dans cette crèche, tout est déjà là ; tout est déjà dit dans cet enfant qui ne sait pas parler. « Emmailloté […] couché », il est pourtant, il est déjà « Sauveur, […] Christ et […] Seigneur ».

Alors, oui, frères et sœurs, réjouissons-nous, fêtons, célébrons. « Un enfant nous est né », nous disait Isaïe dans la première lecture, « un fils nous a été donné ! ». Son « pouvoir s’étendra, et la paix sera sans fin », ajoutait le prophète. Pendant les quatre semaines de l’Avent, nous avons désiré sa venue. Maintenant qu’il est là, puissions-nous, dans notre monde en souffrance, nous mettre à la suite de cet enfant, lui dont le seul désir, la seule naissance est la gloire de Dieu, le salut des hommes, la paix sur la terre.