B 28 MARC 10,17-30 (11)

Chimay : 10.10.2021

Rassurez-vous, frères et sœurs, je ne collecterai pas vos porte-monnaie à la sortie de l’église. Les textes bibliques de ce dimanche nous montrent avant tout l’importance du regard dans notre vie. Nous connaissons le regard méfiant, celui qui ne voit que le mal chez les autres. Nous rencontrons également le regard bienveillant, celui qui est attentif aux besoins des autres, celui qui fait confiance.

 

La première lecture de ce jour nous parle du regard de la Sagesse (7,7-11). Dans le monde biblique, la sagesse c’est Dieu. Pour lui, « tout l’or du monde n’est que du sable… L’argent sera regardé comme de la boue » (Sg 7,9). C’est pour chacun de nous un appel à changer notre regard sur ces richesses qui risquent de nous détourner de l’essentiel. Dans notre prière, nous sommes invités à demander la sagesse de Dieu, celle de son Esprit Saint, pour que le discernement nous soit donné (Sg 7,7), c’est-à-dire l’intelligence du cœur qui rend l’homme capable de juger avec droiture. C’est grâce à lui que nous trouverons le vrai bonheur. En effet, « que sert à l’homme de gagner l’univers s’il vient à ruiner sa vie ? » (Mc 8,36). Mais cette sagesse n’est pas refus des responsabilités, ni de celles du pouvoir ni de celles du détenteur de la richesse. Elle consiste à en faire un service des hommes et du projet de Dieu.

Dans un même ordre d’idée, la lettre aux Hébreux (4,12-13) nous renvoie au regard de la Parole de Dieu. Nous n’oublions pas que pour l’Évangile de saint Jean, la Parole de Dieu, le Verbe fait chair, c’est Jésus lui-même. « Soumis à son regard, nous aurons à lui rendre des comptes » (Hb 4,13). Nous recevons ces paroles non comme une menace mais comme une mise en garde, une invitation à la prudence. L’auteur de la lettre aux Hébreux nous a présenté l’Évangile comme une « promesse d’entrer dans le repos de Dieu » (Hb 4,1). Cette promesse ne tiendra pas si nous faisons preuve d’incrédulité. Nous serons jugés d’après nos actes et nos paroles mais aussi d’après nos pensées. J’ajoute les pensées, car avant de faire des choix, nous devons réfléchir. Cela signifie que nous subirons les conséquences ultimes de nos choix. La Parole de Dieu montre en qui l’homme a mis sa confiance. Mais la Parole de Dieu ne vient pas contester l’homme pour le condamner, elle vient pour le faire changer de route s’il se trompe. Au dernier jour seulement, quand nous lui rendrons des comptes, elle sera notre avocat ou notre accusateur, selon que nous aurons misé notre vie sur elle ou non. C’est pour nous un appel à accueillir la Parole de Dieu dans la confiance et la docilité.

Dans l’Évangile d’aujourd’hui, nous lisons que Jésus regarde l’homme qui vient à lui et se met à l’aimer : « Jésus posa son regard sur lui et l’aima » (Mc 10,21). Sans doute qu’il reconnaît en lui une vraie richesse intérieure. Le tableau de cette rencontre est bouleversant : un homme aux pieds du Christ, « tombant à ses genoux » (Mc 10,17), nous dit l’évangile, et le regard aimant de Dieu plongé au plus profond de son être. Une question taraude le cœur de cet homme. Elle traduit un immense désir mêlé d’une inquiétude fondamentale : serai-je sauvé ? « Que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? » (Mc 10,17). À vrai dire, cet homme de bien a tout pour être rassuré : il connaît les commandements et les met en pratique. Sa richesse matérielle est signe de félicité : souvenons-nous comment le Seigneur a béni en son temps le roi Salomon : « Le roi Salomon surpassait tous les autres rois de la terre par ses richesses et par sa sagesse » (1 R 10,23). Le Christ ne berce pas notre homme dans d’illusion. Il lui ouvre une fenêtre sur l’infini : « Vends tout ce que tu as ; donne-le aux pauvres ; alors tu auras un trésor au ciel » (Mc 10,21). Tu ne gagneras pas le Royaume en tentant de le monnayer, mais en te laissant façonner par lui. De la satisfaction courte d’un devoir accompli, je te conduirai à la plénitude du bonheur enfin partagé. Pour cela, tu dois te séparer de tout ce que tu crois posséder. Nos richesses nous possèdent plus que nous ne les possédons.

La tristesse de l’homme en réponse immédiate peut nous décevoir, même si elle rejoint nos propres limites. Léon Bloy a pu dire qu’« il n’y a de tristesse que de n’être pas des saints ». Cette tristesse n’est-elle pas déjà le signe d’une vie retrouvée, d’un chemin qui conduit vers la joie du Royaume ? La conversion est une tristesse lumineuse. Car avec l’homme de l’Évangile, nous savons désormais que rien n’est impossible à Dieu.

À travers cet évangile d’aujourd’hui, Jésus nous invite à changer notre regard. L’essentiel ce n’est pas l’argent ni les richesses ; ce n’est pas non plus le respect de la loi et des commandements, même si c’est important. Le seul vrai trésor c’est celui dont Jésus veut nous combler. Le vrai bonheur, c’est d’aimer, de donner et de se donner. Jésus a tout donné. Il est allé jusqu’au don de sa vie sur la croix. Il nous a ouvert un passage vers le monde nouveau qu’il appelle le Royaume de Dieu. Pour le suivre sur le chemin qu’il nous montre, il nous faut nous détacher des richesses de ce monde et donner toute sa place à l’amour et à la générosité.

La richesse est-elle vraiment un obstacle à l’entrée dans le Royaume ? Oui, déclare Jésus, mais l’acceptation du règne de Dieu est par elle-même impossible aux hommes sans l’aide de Dieu. Celui qui aura accepté de tout perdre, et pas seulement son argent, pour le Christ et l’Évangile, celui-là réussira sa vie et obtiendra la vie éternelle que désirait l’homme riche qui aborda Jésus.

Pour beaucoup, c’est trop demander. Les disciples eux-mêmes demeurent sceptiques : « Voici que nous avons tout quitté pour te suivre » (Mc 10,28) – en sous-entendu : « Qu’est-ce que ça va nous donner ? » Alors, Jésus les regarde pour leur délivrer un message de la plus haute importance. C’est vrai qu’il leur demande l’impossible. Mais il leur promet que les renoncements à cause de l’Évangile leur vaudront le centuple, même si cela passe par les persécutions et l’incompréhension du monde (Mc 10,30).

Ce qui nous est proposé, c’est de nous laisser envahir par ce regard plein d’amour du Christ. Au jour de notre baptême, nous avons été immergés dans cet océan d’amour qui est en lui. Si nous restons en communion avec lui, nous comprendrons que ses exigences ne sont pas une menace mais un appel à vivre en plénitude. Saint Benoît nous recommande de « ne rien préférer à l’amour du Christ » (RB 4,10). Oui c’est possible car tout est possible pour Dieu.

 Aujourd’hui comme autrefois, le Seigneur continue à nous appeler. Il compte sur chacun de nous ; il est avec nous tous les jours, non pour nous surveiller mais pour nous conduire sur le chemin de la vraie vie. Un sondage récent affirme que 51 % des Français ne croient pas en Dieu. C’est une lecture pessimiste : il aurait pu dire que 49 % y croient. Pourtant, le Seigneur les regarde tous avec beaucoup d’amour. Il est saisi de pitié pour tous ces hommes, ces femmes et ces enfants qui sont « comme des brebis sans berger » (Mc 6,34). Il est venu pour que tous les hommes du monde entier et de tous les temps aient « la vraie vie en abondance » (Jn 10,10). Sa priorité est de chercher et sauver ceux qui courent à leur perte (Lc 19,10).

Frères et sœurs, recevons les textes bibliques de ce jour comme un appel à nous ajuster au regard de Dieu. Se laisser regarder par l’amour, se laisser porter par la Parole, se laisser emplir de la Sagesse, c’est la porte de la Vie éternelle, c’est le chemin du vrai bonheur. Comme les disciples nous ne comprendrons pas tout du premier coup. Mais ce regard de Jésus changera notre vie et la transformera. Ce regard passionné de Dieu, c’est comme un feu qui ne demande qu’à se répandre dans le monde entier (Lc 12,49). Il suffit d’une étincelle. C’est de cela que nous avons à témoigner tout au long de notre vie. Prions le Seigneur pour qu’il nous garde fidèles à cette mission.