C 24 LUC 15,01-32 (17)

Chimay : 11.09.2022

Frères et sœurs, dans le livre de l’Exode, nous trouvons l’histoire du veau d’or (Ex 32,7-14). Pendant que Moïse était en présence de Dieu sur le mont Sinaï, les Hébreux se sont fabriqué un dieu en forme de veau d’or, puis ils se sont prosternés devant lui. Nous pouvons nous donner bonne conscience en nous disant que ce comportement est dépassé. Mais en fait, il est toujours d’actualité : on ne se prosterne plus devant le veau d’or mais devant l’argent, les dieux du stade, les vedettes, le pouvoir politique ; et nous voyons bien que la course effrénée qu’ils engendrent est la cause de nombreux malheurs.

Le peuple hébreu regrettait l’Égypte où, du moins, on mangeait à sa faim, et il troquerait volontiers son Dieu invisible contre une statue fabriquée de main d’homme. Par conséquent Dieu se vexe et menace d’exterminer son peuple infidèle. Plus tard, les croyants comprendront que ce n’est pas Dieu qui punit ; c’est nous qui faisons notre malheur en nous détournant de Lui. Les Hébreux ont fait connaissance avec un Dieu libérateur. Il a vu la misère de son peuple esclave en Égypte. Il a fait appel à Moïse pour les sortir de cette situation de misère et les conduire vers la liberté. Il est allé jusqu’à faire alliance avec eux. Mais après cette expérience religieuse extraordinaire, les voilà retombés dans le péché par légèreté, par manque de vigilance, car ils n’ont de mémoire que pour leurs ventres repus et satisfaits.

Face à la menace qui pèse sur son peuple, Moïse se met à supplier le Seigneur. La fidélité de Moïse à son peuple est mise à l’épreuve : il pourrait s’en tirer seul, et le peuple, laissé à lui-même, périrait dans le désert. Mais, pour Moïse, on ne se désolidarise pas de ceux qu’on aime, fussent-ils bornés et ingrats ; il le rappelle au Seigneur dans sa prière. Cette intercession de Moïse pour son peuple est comparable à la prière de Jésus crucifié, demandant à Dieu le pardon de ses bourreaux.

Jésus et Moïse sont des modèles pour nous. Nous sommes tous plus ou moins portés à dénoncer les coupables et à les enfoncer. On ne voit que le mal chez eux. Leurs bêtises sont stigmatisées. Cela crée un climat malsain et on les condamne : coupables ou pas. Mais le texte biblique d’aujourd’hui nous invite à rejoindre Moïse qui supplie le Seigneur. Comme lui, nous voyons tout ce qui va mal et nous pouvons le porter dans la prière. Cette supplication nous aidera progressivement à nous ajuster à Dieu qui aime tous les hommes et qui veut leur salut.

« Le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs » (Tm 1,15). Dans l’évangile, Jésus dit trois récits qui racontent que Dieu est Amour. Beaucoup de gens viennent l’écouter. Mais les scribes et les pharisiens ne sont là que pour récriminer : « Tu te rends compte, il va chez les gens de mauvaise vie… Pourquoi s’intéresser à eux. Ils ne valent pas la peine qu’on s’occupe d’eux… ils sont irrémédiablement perdus… ». Jésus voit tous ces gens qui sont restés fidèles à la tradition jusque dans ses moindres détails. Malheureusement pour eux, ils confondent fidélité et raideur ; et c’est pour eux qu’il raconte les trois paraboles de la miséricorde, celle de la brebis perdue, celle de la pièce perdue et celle du fils perdu.

La bonne nouvelle, c’est précisément que Jésus est venu chercher et sauver ceux qui étaient perdus (Lc 19,10)Pour lui, ils sont tellement importants qu’il est allé jusqu’à donner sa vie sur une croix. Sa miséricorde est infiniment plus importante que tous les péchés du monde. Dieu croit à la capacité de chacun de se convertir. Comprenons bien : la conversion c’est un changement de direction, un véritable demi-tour. Nous avons tourné le dos à Dieu, nous revenons à Lui. Lui-même nous prend par la main pour nous sortir des chemins de perdition et nous conduire vers la vraie vie. Dieu nous cherche.

Ces trois paraboles nous disent l’amour démesuré de Dieu pour nous et pour le monde entier. Une brebis, une pièce d’argent, un fils. Tous perdus et finalement retrouvés. La brebis, après la quête persévérante d’un berger qui a pris le risque d’abandonner son troupeau. La pièce d’argent, grâce à la recherche soigneuse d’une femme dans les moindres recoins de la maison. Le fils, grâce à la patience et à la compassion d’un père qui attend sur le seuil le retour de l’enfant prodigue parti si loin mais toujours chéri. Peut-être est-ce cette persévérance et cette espérance qui manquent aux scribes et aux pharisiens qui récriminent contre Jésus qui « fait bon accueil aux pécheurs » (Lc 15,2) et va jusqu’à manger avec eux. Ils se sentent pourtant proches de Jésus mais ils ne comprennent pas son attitude : pourquoi fréquente-t-il les pécheurs, pourquoi passe-t-il tant de temps avec eux ?

Les scribes et les pharisiens sont à l’image du fils aîné de la parabole resté à la maison. Ils mènent une existence fidèle à la loi. Ils en tirent fierté, mais jusqu’à devenir méprisants pour ceux qui ne sont pas aussi vertueux qu’eux. Leur amour de la loi ne les autorise pourtant pas à regarder de haut ceux qui peinent sur le chemin de l’obéissance à Dieu. Ils risquent de passer à côté de la vie, comme le fils aîné qui pense avoir été fidèle, mais vit une existence triste, qui lui interdit d’entrer dans la fête organisée pour le retour de son frère. Dieu pourtant se réjouit de la conversion du pécheur. Comment ne pas se réjouir avec lui qui nous invite à nous associer à sa joie et à rendre grâce ?

Trop souvent, nous sommes comme le fils aîné qui récrimine et qui dénonce les coupables. Ces jeunes « qui ne valent rien », « ces tricheurs qui ne pensent qu’à s’enrichir au détriment des plus pauvres… » Toutes ces lamentations, nous les connaissons trop bien. C’est alors qu’il nous faut revenir à la prière de Moïse. Comme Moïse, nous sommes invités à supplier le Seigneur pour notre monde, nos quartiers, nos familles. Lui confier tout ce qui ne va pas. Et découvrir que la véritable conversion doit commencer par nous-mêmes.

Dans sa lettre à Timothée, saint Paul rend grâce pour ce pardon qu’il a reçu : « Il m’a été fait miséricorde » (Tm 1,13). Nous nous rappelons qu’il a passé une partie de sa vie à persécuter les chrétiens. Mais un jour, il a fait une rencontre extraordinaire qui a complètement bouleversé sa vie. Il a compris que le Christ est venu dans le monde pour sauver ceux qui étaient perdus. Jésus a pardonné à Paul, et ce pardon n’est pas resté sans effet ; l’apôtre a voulu annoncer à tous cet amour incroyable de Jésus. La transformation que le Christ a opérée en lui remplit Paul de reconnaissance. Puisqu’il a pu toucher du doigt la générosité du Christ à son égard, son amour pour le pécheur qu’il est, la confiance qu’il a placée en lui en l’appelant à être son apôtre, « puisqu’il a été saisi par le Christ » (Ph 3,12), comment ne pas être certain que le Christ veut et peut sauver tous les pécheurs ? Nous autres, pécheurs pardonnés et aimés, pourrions-nous refuser de faire connaître à notre tour aux autres le Christ Sauveur ? N’oublions pas que nous faisons tous partie du même lot. Ce que nous sommes devenus, nous le devons à la grâce du Christ. Comme Paul nous sommes tous des pécheurs pardonnés. Cette joie d’être pardonné est une source d’amour : Luc l’évangéliste nous l’enseigne à travers la rencontre entre Jésus et la pécheresse que la tradition nomme Madeleine (Lc 7,36-50).

La conscience du mal que nous avons commis peut être source de souffrance et de remord ; la miséricorde nous invite à dépasser cette culpabilité en laissant la grâce opérer en nous : cette guérison intérieure portera de bons fruits pour nous et pour les autres. La conversion d’un seul pécheur compte plus que la persévérance de nonante-neuf justes.