C CHRIST-ROI LUC 23, 35-43

(14) Chimay : 20.11.2022

Frères et sœurs, la fête du Christ Roi marque la fin de l’année liturgique. C’est vrai que le Christ est roi. Mais comme il le dit lui-même, sa royauté n’est pas de ce monde. Elle n’est pas dans les couronnes, ni dans la soif du pouvoir. Sa seule puissance est celle d’un amour sans limite, qui transforme les cœurs et le monde. Offrant sa vie par amour, Jésus est le roi de tous les hommes. Mais le premier à le suivre dans son règne est un malfaiteur crucifié auprès de lui. La Rédemption est en marche, et elle commence par un bandit, mais un bandit qui a compris qui est Jésus : le Roi de l’Univers. C’est ce message que voudraient nous faire comprendre les lectures bibliques de ce dimanche.

Nous avons tout d’abord l’histoire de David, le petit berger d’Israël (2S 5,1-3). David est choisi par Dieu comme roi d’Israël pour être le pasteur de son peuple. Quand il est devenu roi, il a rassemblé les tribus du Nord et celles du Sud. C’était une annonce de ce que le Christ réaliserait lors de sa venue. Jésus s’est présenté comme le grand rassembleur. Il est ce berger qui part à la recherche de la brebis perdue (Lc 15,1-7). Cette mission ne concerne pas le seul pays d’Israël. Elle rejoint tous les hommes du monde entier et de tous les temps. Le Christ a réconcilié tous les peuples de la terre en livrant son Corps et en versant son Sang. Ce qui est extraordinaire, c’est qu’il nous appelle tous à son œuvre de rassemblement. Il nous envoie pour être des artisans d’unité, de justice et de réconciliation : « Là où est la haine, que je mette l’amour… Là où est la discorde, que je mette l’union ». C’était la prière attribuée à saint François d’Assise.

Dans sa lettre aux Colossiens (1,12-20), saint Paul nous parle aussi du Christ Roi de l’univers, « faisant la paix par le sang de sa Croix, la paix pour tous les êtres sur la terre et dans le ciel ». Mais il précise que sa puissance est infiniment supérieure à toutes les forces royales d’ici-bas. Elle est unique. Elle concerne le monde d’en haut, le monde divin. Le Roi Jésus nous apporte la Rédemption, le pardon des péchés. Il est le chemin qui nous permet d’aller vers le Père. Il est l’image du Dieu invisible. Il est notre Roi parce qu’il est la tête de l’Église. En livrant son Corps et en versant son Sang, il nous ouvre un passage vers le Royaume de Dieu.

Dans l’Évangile, saint Luc nous présente le visage bouleversant de Jésus entre deux malfaiteurs. Nous le voyons tourné en dérision. Une inscription était placée sur sa tête : « Celui-ci est le roi des Juifs » (Lc 23,38). C’était, bien sûr, un titre de dérision vis-à-vis de Jésus ; il était également très méprisant pour les juifs de la part de Pilate ; un peuple dont le roi est crucifié n’a pas à être fier. Et pourtant, c’est bien par son sacrifice que Jésus manifeste sa Royauté. La croix est le trône où il monte librement pour dire son amour non seulement aux juifs mais aussi au monde entier ; car « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15,13).

L’Évangile nous montre plusieurs manières de répondre à ce sacrifice du Christ : le peuple reste là à observer, les chefs religieux le tournent en dérision ; les soldats se moquent de lui ; ses amis l’ont abandonné ; l’un des malfaiteurs, condamné en même temps que lui, se met à l’injurier – Jésus ne répond pas à ces provocations – tandis que l’autre malfaiteur, qu’on appellera le bon larron, le prie : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton royaume » (Lc 25,42).

En lisant cet évangile, nous pensons aux réactions des victimes de la souffrance, de la misère et des catastrophes en tous genre. Même dans nos quartiers, nos villages, il y a des hommes, des femmes et des enfants qui n’ont pas le minimum pour vivre. À travers eux, c’est toujours le Christ qui est bafoué et rejeté. La tentation est grande de dire : « Si tu es le Fils de Dieu, fais quelque chose ». Quelquefois, nous entendons : « S’il y avait un bon Dieu, il n’y aurait pas tout ce mal et toutes ces souffrances dans le monde ». C’est vrai que devant tant de malheurs, certains se révoltent contre Dieu et finissent par quitter l’Église.

Mais une fois de plus, Dieu n’est pas un magicien qui résout nos erreurs par un coup de baguette magique. Il nous a donné le monde avec tout ce qu’il contient pour que nous puissions vivre heureux. N’oublions pas qu’à travers les exclus de notre société, c’est le Christ qui continue d’être bafoué et rejeté. Si nous voulons le rencontrer, c’est vers eux qu’il nous faut aller. Et c’est avec eux que nous devons nous engager en lien avec les secours de toutes sortes. À travers eux, c’est le rendez-vous le plus important de notre vie qui nous attend.

Ce qui est extraordinaire c’est que Jésus accueille la prière de celui que nous appelons le « bon larron ». Cette attitude de confiance et d’abandon est à peine croyable de la part « d’un hors-la-loi, d’un hors-la-foi ». Dans l’Évangile de saint Luc, la parole que Jésus lui adresse est sa dernière parole avec un frère en humanité. Jésus lui annonce qu’en mourant ensemble, ils se retrouveront ensemble au paradis.

L’évangile de Luc est un refuge, une terre d’accueil pour les pauvres, pour les étrangers. Pensons au publicain Zachée, au Samaritain brûlant de charité, à l’enfant prodigue, à l’homme à la main desséchée ou encore au bon larron, dont le dialogue avec Jésus, éveille en nous des larmes et de la reconnaissance : « Comment, même en croix, cloué par la haine et perclus de douleur, Jésus panse les plaies d’une brebis galeuse qui a fréquenté les loups, sa grâce cueille un prodigue de fils en agonie ? » Sur la croix, Jésus poursuit sa mission de compassion et de salut. Car il est de la noblesse, il est roi, roi de l’univers. Ils sont prophètes malgré eux, ceux qui lui posent une couronne sur la tête et se gaussent de lire, au-dessus de sa noble tête en sueur d’eau et de sang : « Celui-ci est le roi des Juifs » (Lc 23,38). Jésus n’est pas un roi de pacotille, alourdi de couronnes brillantes de mille diamants et de festins trop arrosés. Non, il ne s’abrite pas derrière un sceptre. Son humanité distille une autorité bienveillante, qui fait grandir. Il est le roi, celui qui guide vers la vie, même en croix ! A quel moment en effet un roi répond-il le plus à sa mission ? Lors d’un gala, d’une soirée aux cent mille flambeaux ? Ou au plus près des blessés de la vie, les rescapés d’un séisme, d’un naufrage, d’une épidémie ? Lorsque tout semble perdu, Jésus souffle l’espérance et la vie. Ce roi meurt, comme meurt tout homme, sur une croix, comme un esclave. Telle est la marque de sa royauté.

Devant le Roi de l’Univers qui meurt en esclave sur sa croix, nous pouvons nous sentir désorientés, désolés, apeurés, abandonnés, révoltés, ou simplement curieux, comme les badauds attroupés qui observent. Mais nous pouvons aussi, comme le malfaiteur qui ose faire cette ultime demande au moment de mourir, dire en notre cœur : « Souviens-toi de nous. Souviens-toi de ce monde.  Souviens-toi des chrétiens persécutés. Souviens-toi de ceux et celles qui vont à la dérive. Souviens-toi des personnes éprouvées par la maladie, les infirmités, la précarité, l’exclusion. Souviens-toi de ceux et celles qui vivent sans espérance et sans amour. Tu es le Roi de l’univers. Tu veux rassembler tous les hommes dans ton Royaume. Nous avons la ferme espérance qu’un jour tu nous diras : “Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis” ».