LES MONIALES CISTERCIENNES A LA CROISÉE DES CHEMINS

(Collectanea Cisterciensia 32 (1970), P. 314-320)

L'Ordre des Cisterciens de la Stricte observance comprend des monastères de moines et des monastères de moniales. Bien qu'elles ne possèdent pas l'exemption canonique et dépendent donc dans une certaine mesure de l'évêque local, les moniales cisterciennes appartiennent à l'Ordre tout autant que les moines, et sont soumises à l'autorité du Chapitre Général. Elles n'ont cependant aucune participa­tion au gouvernement de l'Ordre, le Chapitre Général étant composé exclusive­ment de supérieurs masculins. Cette situation, qui est certes une anomalie, est ressentie de plus en plus explicitement comme telle depuis une quinzaine d'années, et les moniales expriment leur désir d'une plus grande intégration dans le gouver­nement de l'Ordre.

 

Dans cet article je voudrais montrer comment cette prise de conscience s'est réalisée graduellement au cours des dernières années, et comment est né ce désir des moniales. Auparavant, je dirai en quelques mots comment on en est arrivé historiquement à la situation que nous connaissons présentement. Enfin je ferai remarquer qu'en plus de la participation des moniales au gouvernement de l'Ordre, une autre solution est possible, et qu'il serait sage de la bien considérer avant de la rejeter.

L'incorporation des moniales à l'Ordre

Durant les premiers siècles du monachisme, il arrivait assez souvent que des moniales s'installent à proximité d'un monastère de moines, adoptant leur genre de vie, et faisant appel à eux pour leurs besoins spirituels et liturgiques. C'est ainsi que Marie, la soeur de saint Pachôme, fonda un monastère de vierges près de celui des moines à Tabennèse.Pachôme leur désigna un senior dont le rôle était de « les entretenir fréquemment des Écritures » et de leur célébrer l'Eucharistie. Il leur transmit aussi les « règles » des frères, mais on ne voit pas qu'il ait exercé sur elles une autorité semblable à celle qu'il exerçait sur ses monastères d'hom­mes. Les moniales avaient adopté le même genre de vie que les moines, mais le menaient librement, sous la direction de leur « mère ». Ce cas est assez typique de ce qui se passa un peu partout dans le monachisme ancien.

A partir du Xe et du XI' siècle, il n'était plus guère possible à des vierges de vivre leur célibat dans l'Église sans se clôturer dans un monastère, et Rome les obligeait à s'affilier à l'un ou l'autre des Ordres masculins officiellement reconnus. Au XIIe siècle, à commencer par la fondation de Tart, vers 1120, de très nombreux monastères féminins, anciens ou nouvellement fondés, s'affilièrent à l'Ordre de Cîteaux. Selon une excellente étude de Soeur Michael Connor,cette popularité de Cîteaux auprès des moniales était due en grande partie au fait que la législation cistercienne, ne leur imposant pas l'institution du u prieur local », leur laissait plus d'autonomie et une plus grande indépendance. Ces monastères suivaient d'une façon plus ou moins rigoureuse les observances de Cîteaux. Leurs liens avec l'Ordre pouvaient être très divers selon les cas. Aux origines, les moniales demeuraient sous la juridiction de l'évêque local mais elles étaient sous le pouvoir dominatif d'un abbé de l'Ordre, sans que l'Ordre comme tel les prenne à sa charge. Ce n'est que peu à peu qu'elles furent pleinement incorporées à l'Ordre. Cette incorporation était complètement réalisée -- au moins pour un certain nombre de monastères -­au début du XIIIe siècle. L'expression elle-même d'incorporation n'apparaît pour la première fois dans un texte officiel qu'en 1213, et encore est-ce pour tenter de freiner ce mouvement.

Pendant longtemps, ces communautés de moniales cisterciennes eurent une assez grande autonomie au sein de l'Ordre. Deux grands groupes de monastères eurent leurs Chapitres Généraux d'abbesses : la filiation de Las Huelgas et celle de Tart, et les abbesses de ces deux abbayes faisaient la visite régulière dans les maisons de leur filiation. Cependant, à mesure que les moniales furent plus pleinement in­corporées à l'Ordre, et que les Chapitres Généraux de Cîteaux commencèrent à s'occuper plus explicitement des affaires des moniales, les Chapitres d'abbesses perdirent leur raison d'être ; ils furent délaissées, puis disparurent. Les Chapitres de la filiation de Tart se tinrent cependant jusqu'au début du XIVe siècle.

Ainsi, les moniales, qui étaient venues nombreuses dans l'Ordre de Cîteaux, parce qu'elles y trouvaient une meilleure sauvegarde de leur autonomie et de leur indépendance, finirent par perdre cette autonomie et cette indépendance, à mesure qu'elles étaient plus incorporées à l'Ordre, sans par ailleurs n obtenir jamais aucune participation au gouvernement de l'Ordre comme tel. D'où l'on voit que la pleine incorporation des moniales à l'Ordre et leur participation au gouvernement de l'Ordre sont deux choses tout-à-fait distinctes. De soi, de nos jours, la pleine incorporation signifierait simplement que les moniales seraient à nouveau soustraites à la juridiction de l'évêque local, pour être soumises à la juridiction de l'Ordre. Mais leur participation au gouvernement de l'Ordre est une tout autre question, et cette question est de beaucoup la plus importante.

Participation des moniales au gouvernement de l'Ordre

La participation des moniales au gouvernement de l'Ordre est contemporaine des efforts modernes d'adaptation et de rénovation. On peur dire que le premier effort sérieux d'adaptation au sein de notre Ordre, à l'époque moderne, fut réalisé par le Chapitre Général de 1955. C'est précisément à la suite de ce Chapitre que les moniales sentirent le besoin d'étudier elles-mêmes, dans des réunions d'abbesses, leurs propres observances. Cette idée d'une réunion de toutes les abbesses de l'Ordre à Cîteaux ---- réunion qu'il fallait bien se garder d'appeler un Chapitre » ---- fut approuvée au Chapitre Général de 1957. Cette approbation fut donnée, non sans une certaine timidité, car il était bien entendu que ce serait une réunion exceptionnelle, qui n'aurait qu'une valeur consultative, le droit de décision continuant à être réservé au Chapitre GénéralDe plus, c'est l'Abbé Général qui devait y présider, assisté du Procu­reur Général et d'un Secrétaire. De fait, Dom Gabriel Sortais dirigea la réunion de main de maître, et le Chapitre Général de 1959 en constata les résultats heureux dans les termes suivants : Les RRdes Mères ont pris conscience de faire partie d'un Ordre (après sept siècles, il n'était pas trop tôt), elles ont mis en commun leurs expériences et leurs désirs, des liens de charité mutuelle se sont créés ». Mais le rapport s'empresse d'ajouter : « Sans doute n'ont-elles pas eu de décisions à prendre, mais elles comptent sur la courtoisie des PP. Abbés pour examiner leurs propositions avec la plus grande bienveillance .Les Pères Abbés furent effecti­vement courtois et ils examinèrent avec soin les propositions des Mères Abbesses. C'est ainsi que les moniales furent autorisées à aller prier à l'église pendant les intervalles et les temps de lectio divina ou y faire une lecture méditée d'Écriture Sainte ou de spiritualité. Elles eurent même la permission de prendre en main un missel pendant la Grand’messe en dehors des moments où elles chantent.La vénérable assemblée daigna même se pencher sur des questions d'ordre vesti­mentaire. En relisant ces décisions après quelques années, on ne voit vraiment pas trop bien pourquoi les abbesses n'auraient pas pu avoir droit de décision en de telles matières !

A cette première réunion, les abbesses n'avaient guère traité que de questions d'observances. Une autre question extrêmement importante faillit cependant être étudiée. En effet, dans la lettre par laquelle elle accordait à l'Abbé Général l'auto­risation de tenir la réunion des abbesses à Cîteaux, la Sacrée Congrégation des Religieux ajoutait ceci : « La S. Congrégation saisit en outre l'occasion favorable pour recommander à votre Paternité Révérendissime de bien vouloir examiner l'op­portunité de constituer entre les monastères cisterciens de la Réforme d'éventuelles Fédérations qui, tout en laissant intacts les rapports juridiques avec l'Ordre des Trappistes, faciliteraient de façon certaine l'aide réciproque et la mutuelle colla­boration entre les divers Monastères ». Cette suggestion ne fut pas étudiée par les abbesses, car le Révérendissime leur montra dès le point de départ « que la création de telles Fédérations risquerait rapidement de séparer les deux parties de l'Ordre moines et moniales, rompant ainsi notre unité et privant les RRdes Mères d'une collaboration que l'expérience a montrée fructueuse »

Une deuxième réunion d'abbesses eut lieu en 1964. La façon dont l'Abbé Géné­ral en communiqua les résultats au Chapitre Général de 1965 montre bien qu'une évolution importante s'était déjà faite dans les esprits. L'Abbé Général avait en effet réservé à l'examen du Chapitre les points plus importants, qui supposaient une modificaton des Constitutions ou qui étaient communs aux moines et aux moniales, mais « sachant que la mentalité des Pères abbés (était) de laisser aux RR. MM. abbesses le soin de décider des questions qui leur sont propres », il avait déjà fait insérer dans les nouveaux Us des moniales (rédigés par le Définitoire) un certain nombre des propositions des Mères abbesses.Ce principe fut quand même discuté de nouveau au Chapitre Général de 1967. Dès cette époque, l'avis général des abbés et des abbesses était de laisser aux moniales le soin de décider de tout ce qui leur était propre... Mais le malheur veut que les questions qui sont propres aux moniales sont de peu d'importance - tout comme les questions qui sont propres aux moines -- car les questions vraiment importantes sont communes aux moines et aux moniales.

La troisième réunion des abbesses, tenue en 1968, marqua un très net progrès sur les précédentes. On n'y traita plus seulement de questions d'observances, mais de problèmes importants. Dès le début de la réunion, les abbesses abordèrent la question fondamentale de la signification de la Règle de saint Benoît pour nous aujourd'hui. L'étude de cette question aboutit à la rédaction d'un texte sur la vie de la moniale cistercienne,dont s'inspira beaucoup le Chapitre Général des abbés en 1969 dans sa déclaration sur la vie cistercienne.D'autres points im­portants furent discutés et décidés, en particulier concernant le gouvernement de l'Ordre. Le désir d'une participation plus directe des abbesses au gouvernement de l'Ordre fut clairement exprimé. A un vote qui leur fut proposé sous cette forme « Voulez-vous que nos moniales soient incorporées d'une façon plus totale à l'Or­dre ? », les abbesses répondirent par un vote presque unanime, mais il ne semble pas qu'on leur ait expliqué d'une façon très claire ce que signifiait cette plus grande incorporation. D'après le compte rendu, il semble que les abbesses étaient surtout désireuses que soient laissées à leur décision certaines choses qui sont actuellement réservées à l'évêque. Mais de soi l'incorporation implique simplement le transfert à l'autorité de l'Ordre comme tel des pouvoirs actuellement réservés à l'évêque.

À la croisée des chemins

Il serait faux de croire que cedésir toujours grandissant des moniales de parti­ciper au gouvernement de l'Ordre n'est qu'une modalité cistercienne d'un mouve­ment de libération de la femme ! II s'agit de quelque chose de plus profond. Nous vivons un tournant de l'histoire, et l`Église se trouve engagée dans un mouvement de renouveau qui ressemble étrangement à celui de la grande réforme grégorienne du X' et du XI' siècle, qui donna naissance à la floraison de nouveaux Ordres monastiques de la fin du XIe et du début du XII' siècle. Pour les Ordres monasti­ques, aujourd'hui comme alors, il ne s'agit plus simplement de réformer des abus ou d'adapter des observances, il s'agit de réaliser une rénovation en profondeur, et pour cela de redéfinir leur identité par un effort soutenu de recherche et de réflexion. Nos Chapitres Généraux n'ont plus seulement à s'occuper de discipline et d'observances ; ils ont avant tout à prendre position sur des questions fondamen­tales qui touchent à l'identité de l'Ordre, et leurs options engagent de façon déci­sive le renouveau de l'Ordre dans des voies bien précises. Dans ces conjonctures, la situation juridique actuelle, dans laquelle les moniales dépendent totalement d'un Chapitre Général composé exclusivement de supérieurs masculins, est devenue intenable. C'est pour les moniales un devoir tout autant qu'un droit de prendre une part active à toutes les décisions qui touchent à leur identité monastique et orien­tent leur renouveau.

Dans ces circonstances, deux voies s'offrent aux moniales. Ou bien elles seront intégrées dans le gouvernement de l'Ordre, et prendront part au même titre que les moines aux divers organes de ce gouvernement : Chapitre Général, Conseil Général, Conférences régionales, etc... Ou bien, tout en conservant et même en intensifiant des liens de communion et de collaboration avec la branche masculine de l'Ordre, elles formeront une Fédération de moniales cisterciennes juridiquement autonome, vivant de la même tradition que les moines, mais selon leur charisme propre et leurs propres exigences spirituelles.

Actuellement les moniales de notre ordre sont presque à l'unanimité favorables à la première solution et rejettent même la seconde d'une façon assez catégorique. Nous venons de voir comment le besoin de contribuer à la solution des questions qui les concernent les a conduites graduellement depuis quinze ans à désirer une participation toujours plus effective au gouvernement de l'Ordre, sans que jamais l'ensemble du problème de leur dépendance à l'égard du pouvoir dominatif de l'Ordre ne soit abordé en lui-même. De toute façon, comme je l'ai dit, deux solu­tions sont logiquement possibles, et il ne serait certainement pas sage de s'en tenir à une prise de position spontanée sans s'arrêter au moins une fois à considé­rer objectivement les avantages et les désavantages possibles de chacune des deux solutions.

Disons dés le point de départ qu'il est peu utile de faire appel à la Tradition dans cette question, car nous nous trouvons dans une situation tout-à-fait nouvelle, et les deux solutions qui s'offrent aux moniales sont toutes deux des innovations par rapport à la Tradition de l'Ordre. II ne serait surtout pas exact de faire appel à notre Tradition séculaire pour retenir la première solution car, dans toute his­toire de Cîteaux, jamais les moniales n'ont eu la moindre participation au gouver­nement de l'Ordre comme tel. La deuxième solution aurait certes plus de racines dans la Tradition, si l'on se souvient de l'époque où se tenaient les Chapitres Généraux d'abbesses à Las Huelgas et à Tart, et où les abbesses de ces deux grandes abbayes faisaient régulièrement la visite des maisons de leur filiation. Mais là n'est pas le point. L'important n'est pas tellement de savoir ce qui s'est fait dans le passé que de trouver ce qui favorisera au mieux la vie spirituelle des moniales d'aujourd'hui.

Mon but, dans ces quelques pages n'est pas d'étudier la question sous tous ses aspects, ni de me faire l'avocat de la seconde solution : la pleine autonomie juridi­que des moniales cisterciennes. Je voudrais tout simplement essayer de montrer qu'il vaudrait la peine d'étudier les avantages que pourrait avoir cette seconde solution. Je le ferai à partir d'un argument que l'on apporte toujours en faveur de la première solution et qui me semble jouer au moins tout autant en faveur de la seconde : l'argument de la complémentarité.

L'expérience monastique de la femme est différente de l'expérience monastique de l'homme, et il y a, certes, avantage à ce que ces deux expériences s'éclairent mutuellement et se complètent. De plus, il suffit d'avoir voyagé un peu dans l'Or­dre pour s'être rendu compte que, dans beaucoup de domaines, les aspirations des moniales sont différentes de celles des moines. Ceux-ci sentent très fortement par­fois des besoins que les moniales ne sentent aucunement, et des problèmes se pré­sentent chez eux qui sont ignorés chez elles. La tentation des moines, y compris parfois de Pères Immédiats, est donc grande de croire que ces différences provien­nent tout simplement de ce que les moniales sont en retard sur les moines, et qu'elles sont moins évoluées ! On essaye alors de les mettre au pas, et il arrive qu'on introduise chez elles des problèmes tout-à-fait artificiels ou typiquement masculins. Par ailleurs leurs propres problèmes féminins ne sont pas toujours bien compris par des supérieurs masculins.

Un Chapitre Général mixte, composé d'abbés et d'abbesses, et légiférant pour moines et moniales en même temps, chercherait à ménager les intérêts et les aspirations spirituelles propres à chacun des deux groupes, et ne saurait aboutir qu'à des compromis. Si, au contraire, les moniales cisterciennes avaient leur pleine autonomie juridique, la vie cistercienne féminine pourrait s'épanouir plus sponta­nément et librement dans des cadres institutionnels pensés par des femmes en fonction des besoins féminins. Ce serait une richesse pour l'Ordre, et l'on verrait sans doute naître â nouveau de grands centres de rayonnement spirituel comme par exemple l'abbaye d'Helfta au XIII° siècle. La complémentarité suppose l'ab­sence de tout nivelage. La complémentarité de la vie cistercienne féminine et mascu­line présuppose nécessairement que tant les moniales que les moines aient la faculté d'évoluer à leur rythme propre dans des institutions répondant à leurs exigences spirituelles propres. Le partage de ces expériences complémentaires de la même vie cistercienne ne suppose aucune dépendance juridique. Les relations de personne à personne -- qui sont toujours les plus fructueuses --- resteront toujours possi­bles, sous la forme d'échanges de lettres, de rencontres occasionnelles au parloir ou encore lors de la participation à des sessions mixtes de spiritualité, de formation, etc..., ainsi que dans des réunions d'études d'abbés et d'abbesses et au sein des commissions spécialisées étudiant des problèmes communs (droit, liturgie, etc...)

Il est donc clair que, dans l'hypothèse de l'adoption de cette seconde solution, qui consisterait à donner aux moniales pleine autonomie juridique (avec leur propre Chapitre Général présidé par une abbesse), on ne pourrait parler purement et simplement de séparation, car les liens de communion au sein de la grande famille cistercienne demeureraient tout aussi intenses. On ne peut d’ailleurs traiter cette question indépendamment du problème plus général du gouvernement de l’Ordre, ni indépendamment de l'évolution actuelle de l'Église.

Le grand psychiatre Karl Stem, dans son beau livre sur la féminité, explique que « Amour et puissance constituent la polarité de toutes les relations humai­nes » et que « tout amour sincère pour autrui entraîne le renoncement -- pénible ou facile, conscient ou inconscient, voulu ou non, -- à la puissance Or les relations présentes des moniales à l'Ordre sont définies, dans leurs Constitutions, en termes de pouvoir dominatif et de soumission. La meilleure marque de charité du Chapitre Général à l'égard des moniales ne serait-elle pas de renoncer à cette « puissance » ?

Les moniales considèrent certes qu'elles reçoivent beaucoup des moines. Devront-elles recevoir moins si la dépendance juridique disparaît ? Notre charité serait-elle dépendante de relations juridiques ? Serait-ce alors vraiment de la cha­rité ? Il arrive aussi que l'on fasse remarquer que certaines communautés fémi­nines qui ne sont reliées à aucun Ordre masculin envient la situation de nos moniales cisterciennes. Il semble cependant qu'il s'agisse surtout de communautés qui ont négligé dans le passé la formation de leurs membres. Ce sont souvent des communautés contemplatives. Ne recevant pas d'orientation de l'extérieur, elles se trouvent facilement désorientées. Par ailleurs il existe un très grand nombre d'autres communautés féminines qui se sont depuis longtemps habituées à se gouverner elles-mêmes et à pourvoir à leurs propres besoins de formation. La plupart du temps ces religieuses ne veulent pas en croire leurs oreilles lorsqu'on leur dit que nos moniales sont sous l'autorité d'un Chapitre Général composé uniquement d'hommes.

Si la seconde solution était adoptée, bien des modalités devraient être étudiées de près. Par exemple, des ententes pourrraient assurer aux moniales les services d'aumôniers cisterciens. De toute façon, que la solution adoptée soit la pleine participation des moniales au gouvernement de l'Ordre ou leur pleine autonomie juridique, il est clair que cela ne pourra se faire que progressivement et lentement, et qu'un effort sérieux de préparation et de formation sera d'abord requis.

Le présent article n'était pas conçu comme ce qu'on appelle en Amérique un position paper. Mon but était tout simplement de signaler qu'il serait peut-être utile d'étudier plus à fond les avantages possibles d'une solution que l'on rejette facilement a priori.

Mistassini,

juin 1970.

Armand VEILLEUX