26 septembre 2021-- 26ème dimanche « B »

Nb 11,25-29 ; Jc 5, 1-6 ; Mc 9, 38...48

H o m é l i e

          Dans le Livre des Nombres, d’où est tirée notre première lecture, le peuple est très souvent en train de se plaindre.  La vie au désert est en effet exigeante et pénible.  Depuis des mois ils n’ont eu d’autre nourriture que la manne. Ils en ont marre de cette manne qui les a certes empêchés de mourir de faim, mais qui commence à leur donner la nausée. Et Moïse, qui a été leur guide depuis la sortie d’Égypte en a assez d’eux. Donc le Peuple se plaint de Dieu et Moïse se plaint du peuple. Dieu se met alors lui aussi en colère (Nb 11,10) et dit à Moïse : « D’accord ! C’est trop pour toi, de porter seul tout le peuple.  Assemble 70 anciens dans la tente de réunion et je vais leur donner une partie de l’Esprit que tu as reçu ». 

 

          Moïse fit ce que Dieu lui avait dit.  Mais deux des 70 qu’il avait choisis, Eldad et Médad, ne vinrent pas à la tente de réunion à l’heure fixée.  Or la chose étrange est qu’ils reçurent l’Esprit, comme les 68 autres, et se mirent à prophétiser.  Josué, le bras droit de Moïse, voulut les en empêcher.  Mais Moïse qui n’avait pas du tout un esprit mesquin, lui dit de les laisser faire, ajoutant même que son désir serait que tout le peuple manifeste ce même don de prophétie.  Pourquoi être jaloux de l’Esprit reçu par les autres ?  Personne ne possède l’Esprit.  Au contraire c’est l’Esprit qui peut nous posséder s’il le veut.  

          C’est quelque chose de semblable qui se passe dans l’Évangile que nous venons de lire.  Cette scène fait suite à celle nous avons lue dimanche dernier, et dans laquelle Jésus disait : « Si quelqu’un accueille l’un de ces petits, c’est moi qu’il accueille ; et celui qui m’accueille, accueille Celui qui m’a envoyé ».  Or, quelque temps après, les disciples sont frustrés de ce que quelqu’un qui n’est pas des leurs chasse les démons – c’est-à-dire fait des guérisons -- au nom de Jésus.  Jean, qui était le disciple bien-aimé, mais aussi, avec son frère Jacques, l’un des deux « fils du tonnerre » qui voulaient faire tomber le feu du ciel sur ceux qui ne recevaient pas Jésus, fait exactement comme Josué.  Il fait même plus, car il ne demande pas à Jésus de les empêcher ; il lui rapporte simplement qu’il a voulu – qu’il a pris sur lui-même -- de les en empêcher. Il s’est constitué lui-même le défenseur des droits d’auteur de Jésus.

          Pour comprendre la frustration des disciples et de Jean en particulier, il faut se souvenir que quelque temps auparavant, Jésus avait envoyé ses disciples en mission avec le pouvoir de chasser les démons.  Ils étaient revenus tout fiers de leurs prouesses, mais un homme avait aussi par la suite emmené son fils possédé à Jésus en lui disant que les disciples avaient été incapables de le guérir.  Le succès des autres est parfois difficile à accepter, surtout lorsque nous faisons nous-mêmes l’expérience de l’échec !  On peut aussi penser que ce récit reflète des tensions présentes dans la première communauté chrétienne à l’époque où fut écrit l’Évangile de Marc.

          La remarque de Jean est mesquine: « quelqu’un qui ne nous suit pas... Il ne dit pas « quelqu’un qui n’est pas de tes disciples », mais bien « quelqu’un qui ne nous suit pas » ... Il défend donc ses prérogatives tout autant que celles de Jésus, comme font d’ailleurs la plupart du temps ceux qui partent en croisade pour défendre les intérêts de Dieu ou de l’Église... À cette remarque mesquine Jésus répond simplement : « Ne les empêchez pas... celui qui n’est pas contre nous est pour nous ».

          Notre Évangile comporte une deuxième partie, où Jésus met en garde contre le scandale des « petits », utilisant des images très fortes – la main et le pied coupés et l’oeil arraché – pour souligner la gravité d’un tel scandale. Ces deux parties de l’Évangile sont vraiment complémentaires : la section sur les « petits » montrant clairement ce que signifie « être pour Jésus ». C’est avoir renoncé à l’ambition du pouvoir et des honneurs, avoir adopté une attitude de service, et aussi une largeur de coeur et d’esprit qui fait que personne ne peut être exclu du service réalisé au nom de Dieu.

Par sa réponse à Jean, Jésus nous apprend que le fait d’avoir été appelés à être ses disciples ne nous constitue pas les seuls dépositaires de sa vérité et du salut.  Nous avons entendu le message du Christ et nous y avons cru.  Ce message doit être annoncé par des paroles et par des actes -- par la vie.  L’important est qu’il soit annoncé.  Des millions de personnes vivant dans des parties du monde où le Christianisme n’a guère pénétré, vivent honnêtement et sincèrement les valeurs pour lesquelles Jésus a vécu et est mort.  Ils sont des témoins de Jésus même sans le savoir.  D’autres plus près de nous, sans se dire Chrétiens, ou même en se disant peut-être athées parce qu’ils ont rejeté de fausses images de Dieu, vivent l’Évangile dans leur vie quotidienne.  C’est aussi à leur sujet que Jésus dit : « Celui qui n’est pas contre moi est avec moi ».

De nos jours, alors que tant de voix appellent à la lutte entre les cultures et entre les religions, laissons ce message de Jésus ouvrir nos coeurs et nos esprits à cette première étape du dialogue qui consiste à reconnaître la grâce et la prophétie dans la vie de l’autre, quelle que soit son appartenance institutionnelle.

Armand Veilleux