20 décembre 2020 - 4ème dimanche de l'Avent

2 S 7,1-5.8b-12.14a.16; Rm 16,25-27; Lc 1,26-38

H O M É L I E

           On ne cesse jamais d'admirer l'art avec lequel l'Évangéliste Luc, dans les deux premiers chapitres de son Évangile, présente à la fois les personnages principaux et les thèmes majeurs de son Évangile dans un récit qui relève du genre midrash.  Ce genre littéraire religieux, très utilisé du temps de Jésus, n'essayait pas de décrire des situations historiques comme le ferait un journaliste, mais s'efforçait de transmettre un message spirituel, souvent sans grande préoccupation de distinguer entre faits historiques et données symboliques.

 

           De même qu'il établira un parallèle très important entre Jean-Baptiste et Jésus, Luc établit un parallèle encore plus frappant entre le père de Jean-Baptiste et la mère de Jésus, et la façon si différente dont l'un et l'autre reçoivent l'annonce qui leur est faite par l'ange Gabriel. 

           La première scène se situe dans le Temple de Jérusalem, au coeur de l'institution religieuse et politique du judaïsme, au cours de l'offrande du sacrifice de l'encens.  La seconde se situe dans un village de Galilée.  Luc, qui n'est pas familier avec la géographie de Palestine, parle d'une ville appelée Nazareth.  En fait Nazareth, absolument inconnue dans tout l'Ancien Testament, devait être une humble bourgade de quelques dizaines d'habitations.  De plus, la Galilée était la partie la moins orthodoxe de tout le pays, toujours prête à se révolter politiquement et peu observante de la loi et des coutumes, si bien qu'on en parlait d'une façon péjorative comme de la "Galilée des Nations".

           Zacharie était un vénérable vieillard, dont l'arbre généalogique contenait la crème de la bourgeoisie d'Israël.  Sa carte de visite était impressionnante : prêtre, d'origine lévitique, strict observant de la Loi, qui accomplissait le service sacerdotal dans le Temple, et qui y était entré ce jour-là pour offrir le sacrifice de l'encens.  Marie, à l'opposé, est une toute jeune fille, d'une humble famille et d'une humble bourgade, dont on ignore la lignée ancestrale bien qu'il soit dit que son fiancé était de la lignée de David.

           Ce que Luc veut montrer c'est que l'Institution religieuse, avec tout ce qu'elle a non seulement de prestige, mais aussi de vertu et de grandeur, ne reçoit pas -- en tout cas, pas sans demander des preuves -- le message de Dieu et elle est réduite au silence.  Le petit peuple -- celui des Anawim, des "pauvres de Yahvé", représenté par Marie -- ce petit peuple, pas très observant de la loi qu'il ne connaît que vaguement et méprisé par les grands, reçoit ce message avec une foi toute fraîche et ingénue; et sa bouche se délie dans un chant de louange : Mon âme exalte le Seigneur.

           Il y a peut-être en cela une leçon pour l'Église d'aujourd'hui.  La situation de nos pays déchristianisés d'Europe et d'Amérique n'est peut-être pas tellement différente de celle de la Galilée appelée avec mépris par les "purs" la "Galilée des Nations", c'est-à-dire la "Galilée des païens".  Des secteurs entiers du peuple ne savent plus que faire de l'institution ecclésiastique, sans pourtant avoir perdu une attitude religieuse face au prochain et face à Dieu.  À qui s'adressent les messagers de Dieu aujourd'hui ?  et comment y répondent aussi bien les représentants de l'institution que ceux du petit peuple ?

           Nous qui sommes restés fidèles non seulement à notre foi, mais aussi à nos pratiques religieuses, ne nous en enorgueillissons-nous pas un peu trop parfois?  Ne sommes-nous pas comme David qui voulait construire un beau temple au Seigneur et qui s'est entendu dire par Natan de ne pas s’en préoccuper; car Dieu lui-même lui bâtirait une maison, à lui et à ses descendants ?  Dieu ne manquera pas de rebâtir sa maison, dont des pans entiers sont tombés.  Sera-ce de notre temps?  Y habiterons-nous? Cela n'a guère d'importance.  Entre-temps, préférons la Galilée des Nations à la Jérusalem des Grands Prêtres et habituons-nous, s'il le faut, à vivre sous la tente et à voyager à l'étoile.  L'Étoile de Bethlehem qui se lèvera bientôt nous guidera.  .

Armand VEILLEUX