24 janvier 2024 – Mercredi - semaine 3 du Temps Ordinaire

2 Sam 7, 4-17 ; Mc 4, 1-20

Homélie

          L'agriculture et le jardinage peuvent être une bonne école de patience, de confiance et de lâcher-prise. Une fois que nous avons mis la graine en terre et que nous l'avons arrosée, nous ne pouvons qu'attendre avec patience. Pendant un certain temps, il n'est pas possible de savoir avec certitude si la graine va pousser ou non. Nous pouvons agir de diverses manières sur les conditions susceptibles de favoriser la croissance. Mais nous n'avons aucun moyen d'influencer de quelque manière que ce soit le processus de croissance lui-même.

          Les prophètes d'Israël, ainsi que Jésus lui-même, venaient d'un peuple composé essentiellement d'agriculteurs et de pêcheurs. C'est pourquoi ils utilisent souvent des images et des paraboles qui traitent de la vie et de la croissance lorsqu'ils parlent du Royaume de Dieu.         

          Ce qui est remarquable dans l'Évangile d'aujourd'hui, c'est que nous n'avons pas seulement une parabole, mais en même temps une parabole et son interprétation. C'est très inhabituel, d'autant plus que l'usage classique de la parabole impliquait une technique selon laquelle le rabbin ou le maître amenait progressivement ses auditeurs à tirer eux-mêmes la leçon de la parabole. C'est pourquoi la plupart des exégètes et des commentateurs pensent que la deuxième partie de notre évangile, c'est-à-dire l'interprétation, n'est pas de Jésus lui-même, mais qu'elle est l'interprétation de l'Église primitive.

          Dans l'Évangile de Matthieu, où nous trouvons également cette parabole, elle suit immédiatement le récit dans lequel la famille de Jésus veut s'emparer de lui et le ramener à la maison, parce qu'elle pense qu'il a perdu la raison. Cette parabole est en réalité une réflexion de Jésus sur son ministère. Sa Parole - la Parole de Dieu - est reçue de différentes manières. Chez certains, elle trouve un cœur de pierre et ne grandit pas du tout ; chez d'autres, elle grandit difficilement, mais elle grandit quand même. Lorsqu'elle aura atteint sa pleine croissance, ce sera la Fin. Globalement, il s'agit d'un message d'espoir.

          Lorsque cette parabole a été racontée dans l'Église primitive, on y a ajouté une interprétation attribuée à Jésus. Et, de manière surprenante, l'accent a été changé - de la semence à la terre qui la reçoit. Toute l'attention et toute la préoccupation de Jésus portaient sur la semence elle-même - la Parole de Dieu, ou le Royaume de Dieu. Pour les premiers chrétiens, la préoccupation devient progressivement celle d'une terre qui soit assez bonne pour recevoir la semence.

          Une telle préoccupation est évidemment légitime et peut trouver un fondement dans la parabole elle-même, telle qu'elle a été racontée par Jésus. Mais ce changement d'accent montre aussi notre tendance humaine à nous préoccuper davantage de nous-mêmes et de la manière dont nous recevons la Parole que de la Parole elle-même. Jésus, lui, était préoccupé par la Parole ! Et son message est précisément que, malgré notre dureté de cœur et notre manque de coopération, la Semence du Royaume croîtra pleinement.

          La raison de ce changement de préoccupation est probablement notre peur de la souffrance. Nous trouvons facilement toutes sortes de bonnes raisons et de prétextes pour nous protéger de la réalité douloureuse de la croissance et pour nous réfugier dans l'activité plus sûre qui consiste à préparer le terrain. Nous nous sentons en sécurité lorsque nous sommes occupés à labourer le sol, à arracher les mauvaises herbes, à retourner la terre de diverses manières. Nous "faisons" quelque chose, nous nous sentons bien et nous en attendons une récompense. Tout cela est nécessaire et bon. Mais l'Évangile nous rappelle une autre dimension : la nécessité d'attendre avec patience lorsque la graine prend du temps à pousser - la nécessité de faire l'expérience de la mort de la graine sans être sûr qu'elle va vraiment pousser et dans quelle mesure. Nous ne contrôlons pas la croissance. Et c'est douloureux.

          Tout en restant conscients de notre besoin de pratiques ascétiques - de notre besoin de nettoyer le jardin de notre cœur et d'arroser les plantes, n'oublions pas de revenir à ce qui était le plus important pour Jésus : la Parole de Dieu - la Semence placée par le Père au cœur de l'humanité. Et attendons avec foi sa croissance en chacun de nous et dans l'humanité entière. Acceptons aussi de passer par la souffrance qui accompagne naturellement une telle naissance et une telle croissance.

Nous célébrons aujourd’hui la fête de saint François de Sales.

Armand Veilleux