La Sainte Trinité (Jn 16,12-15)

 Frères et sœurs, lorsque nous étions enfants, on nous a appris à faire le signe de croix, à dire « Au nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit », mais on nous a surtout parlé de Jésus. C’est lui – Incarnation oblige – qui a pris pour nous le visage de Dieu. D’ailleurs, il suffit de rentrer dans une église pour bien s’en rendre compte : c’est la croix, avec souvent Jésus sur la croix, qui nous dit qui est Dieu.

En conséquence, je pense qu’il a été bien difficile à nos parents de répondre à nos premières questions sur la Trinité. D’ailleurs, je me souviens bien d’une discussion avec un camarade de classe, alors que je n’avais pas 10 ans, qui me disait que Dieu était Père, Fils et Esprit Saint, là où pour moi Dieu était tout simplement Jésus. J’en ai parlé le soir à ma mère, qui a confirmé les dires de mon copain, mais je n’ai aucun souvenir de ses tentatives d’explication. Et 40 ans plus tard, c’est à moi de tenter de nous éclairer sur la Trinité… Nous l’aurons compris, en fêtant la Sainte Trinité, nous sommes au cœur de la foi chrétienne, au cœur de la spécificité de notre foi, et en même temps, nous sommes peut-être aussi au cœur du plus difficile à comprendre.

Comme je le disais, Jésus est la révélation-même du visage de Dieu, mais ce n’est pas lui, Jésus, qu’il est venu révéler, manifester. Si nous croyons en la Trinité, c’est bien parce qu’en Jésus, elle nous a été révélée, elle nous a été donnée. Par sa parole et son action, par toute sa vie et sa personne, et cela de façon unique, Jésus s’est révélé comme Fils, et donc Fils du Père, et il s’est manifesté animé par l’Esprit du Père. Par sa mort et sa résurrection, Jésus est proclamé aimé du Père, et surtout justifié par lui ; et Jésus, fait Seigneur, nous donne son Esprit. La Trinité n’est donc pas une élucubration intellectuelle, mais une expérience, une rencontre faite par les premiers chrétiens, et finalement une adhésion de leur part et, je l’espère, de la nôtre.

En méditant et contemplant la vie de Jésus, nous avons donc découvert la Trinité, et la Trinité qui est relation. Au sein de cette relation, il n’y a pas de domination ; au contraire, on se donne et on se reçoit. Le Père est celui qui n’a pas voulu garder pour lui ce qu’il est, mais qui au contraire a voulu le donner. Et de la même manière, le Fils a voulu donner sa Parole, se donner tout entier, jusqu’à la croix, pour finalement nous donner le souffle qui l’habitait, cet Esprit Saint « qui nous conduira dans la vérité tout entière » (13).

La distinction en Dieu se joue dans la relation, relation qui est finalement sa réalité ultime, à la fois « être par un autre » et « être pour un autre ». Il y a en Dieu ce que les théologiens appellent la périchorèse, c’est-à-dire cette pénétration réciproque des personnes divines qui sont pourtant non-séparées et non-mélangées. Concrètement, pour nous, cela veut dire que notre unité avec Dieu, comme notre unité entre nous, ne nous fait pas disparaître. Nous ne sommes pas destinés à nous fondre ni en Dieu, ni dans la masse, ni même dans la communauté, mais à devenir davantage nous-mêmes en choisissant de vivre le don de soi, en optant pour une vie au service des autres. C’est ce que le cardinal Kasper appelle une « mystique de la rencontre, de l’amitié et de la communauté avec Dieu, qui a lieu, (se réalise et rayonne) par la rencontre, l’amitié et la communauté humaine … Le mystère trinitaire est (donc) le fondement le plus profond et le sens ultime du mystère de la personne humaine et (de) son accomplissement dans l’amour ». La Trinité est don, et c’est le don qui est à l’origine et au terme de notre humanité. Dieu se donne lui-même - en lui-même et à nous - et c’est notre capacité de donner qui dit la qualité de notre accueil, la qualité de notre foi.

« L’Esprit nous conduira dans la Vérité tout entière », l’Esprit nous donnera de comprendre peu à peu ce mystère de la Trinité, mais cette vérité, qui est le fondement de notre vie, n’est pas seulement un but à atteindre. Elle est déjà, aujourd’hui, le milieu dans lequel nous évoluons, le milieu qui nous engendre à la vie : Dieu nous engendre à la vie par l’amour qu’il est capable de donner, et nous vivons dès aujourd’hui de cet amour qui se donne entre le Père et le Fils par l’Esprit ; nous vivons déjà de et dans la Trinité. Comme le dit le Père Jean Corbon, « Le Père aime chaque personne d’un amour unique, si proche d’elle que son Fils en assume toute l’humanité concrète et que son Esprit Saint travaille fidèlement en son cœur pour la conduire à la vie ».

Frères et sœurs, Jésus nous dit qu’il a « encore beaucoup de choses à (n)ous dire, mais pour l’instant (n)ous ne pouvons pas les porter » (12). C’est vrai, mais alors prenons le temps, le désir de la méditation de l’Evangile, regardons le Fils dans sa relation au Père, invoquons l’Esprit pour qu’il nous éclaire, et alors, simplement, évidemment, la Trinité sera présente et agissante, non dans notre cerveau, mais dans notre cœur et notre vie.