26e dimanche ordinaire A

(Mt 21,28-32)

Octobre 2023 

Frères et sœurs, dans cet évangile, nous sommes à Jérusalem, ville dans laquelle Jésus est entré triomphalement la veille, « roi… monté sur une ânesse » (21,5). Plus précisément, nous sommes dans le Temple, ce temple que la veille, là encore, Jésus a purifié en en expulsant les marchands, mais aussi en y guérissant « aveugles et […] boiteux » (14). Pendant trois chapitres, les chefs des prêtres, les scribes, les pharisiens ou autres saducéens, vont s’opposer à Jésus et Jésus va leur faire face jusqu’à ce que, trois chapitres plus loin, ils s’imaginent triompher de lui en le livrant à la mort. Avec leur attitude, nous sommes loin du « chemin de la justice » par lequel « Jean le Baptiste est venu à » eux, mais chemin qui a interpelé par contre « publicains et […] prostituées » (32), et auquel sont restés indifférents « grands prêtres et […] anciens du peuple » (23). Comment s’expliquer cet aveuglement du clergé de l’époque, alors que Jésus, nous l’avons dit, guérit des aveugles dans le Temple, comme il l’avait fait juste avant son entrée à Jérusalem ? Et est-ce que cet aveuglement est aussi, peut aussi, être le nôtre ?

Un homme avait deux fils qu’il invite à aller « travailler aujourd’hui à la vigne » (28). Le premier « ne veu[t] pas. Mais ensuite, s’étant repenti, il y alla » (29). Le second répond « oui […] et il n’y alla pas » (30). Jésus dit aux grands prêtres qu’ils sont ce second fils. Leur statut, leur tradition, leur prétention leur font répondre un « oui » qui n’en est pas un. Mais alors quel est ce « oui » que Dieu attend de nous. Eh bien ici, paradoxalement, c’est d’abord un « non ». En tout cas, ce n’est pas un « oui » automatique, irréfléchi, qui finalement ne demande rien de nous, rien de ce que nous sommes vraiment, rien de ce à quoi nous tenons. « Non », dit le premier fils, parce qu’il ne veut pas, parce que ça le dérange, parce qu’il ne voit pas ce que ce « oui » pourrait offrir. Pourtant, ensuite, il s’interroge ; et puis, il change d’avis. Il s’est « repenti », nous dit Matthieu. Et ce repentir, c’est peut-être d’avoir su s’extraire de son confort, de son point de vue, de son égoïsme, pour répondre à la demande, à l’appel, d’un autre. Soudain, l’autre prend une véritable place dans sa vie.

Mais peut-être aussi, surtout, il s’est repenti parce qu’il a compris que son père était lui aussi sorti de la tyrannie du moi. En lui proposant de travailler à la vigne, il l’appelait à travailler à sa propre vie, à son propre bien. Le fils a laissé résonner en lui la Parole du père. Tout en disant « non » – premier instinct, premier réflexe – il a donné à cette parole une place en lui où finalement elle a pu germer, grandir et révéler son fruit. Ce fils, avec les prostituées et les publicains dont parlent Jésus, « [n]ous précèdent dans le royaume de Dieu » (31) parce qu’ils « ont cru » (32) à la parole, parce qu’ils l’ont laissée les transformer, les déplacer. Jésus ne vient pas imposer une nouvelle loi aux prêtres ; il n’exige rien d’eux. Ce qu’il veut pour eux, d’abord pour eux, et donc pour nous, c’est qu’ils se laissent transformer, déplacer, convertir par une parole nouvelle, par une parole qui donne la vie, qui les sort de leurs certitudes, de leur immobilisme, de leur paralysie. Une parole qui ouvre au-delà de nous-mêmes, parole qu’il nous faut alors en conséquence accueillir.

Les prêtres disent « oui » au Seigneur pour être en paix, parce qu’ils se croient en paix, mais finalement ils ne font pas ce qu’il espérait d’eux. Derrière la façade religieuse, leur cœur était ailleurs, tourné vers autre chose ; emprisonné, aveuglé. Et cela ne peut, nous, que nous interpeler. Nous interpeler non pas pour nous condamner, ou pour juger les autres, mais comme pour le premier fils, pour nous laisser toucher par cette parole de Dieu, pour la laisser faire son travail en nous, et nous ouvrir un nouveau chemin de vie, un chemin de conversion à la vie, le chemin du don.

La Parole, ce matin, comme chaque matin, vient frapper à notre porte comme un père aimant vient à ses enfants pour les ouvrir à la vie : « Mon enfant, nous dit Dieu, va travailler aujourd’hui à la vigne. » Aujourd’hui ! « Je n’ai qu’un seul jour pour faire de l’éternel, écrivait le Frère Christian de Chergé, et c’est aujourd’hui ! ». Un aujourd’hui toujours unique pour écouter, pour donner, pour aller : « va », dit Dieu, comme il le disait jadis à Abraham. La Parole est un appel, une mission, à laquelle je suis le seul à pouvoir répondre, à laquelle mon frère ne peut répondre à ma place. Car cette vigne où Dieu nous envoie, c’est la vie qu’il nous invite à accueillir, cette vie à laquelle nos yeux aveuglés nous fermaient l’accès, cette vie dans laquelle il veut nous rassembler. Alors que cette eucharistie nous donne la grâce de percevoir l’appel du Seigneur, de saisir les déplacements qu’il nous invite à faire, d’accueillir sa Parole pour nous et pour le monde, aujourd’hui.