Noël 2023

(Lc 2,1-14)

« Je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple » (10). Frères et Sœurs, voici les mots de l’ange aux bergers dans la nuit de Noël. Et cette nuit, les bergers, c’est nous, et c’est donc à nous que l’ange annonce une bonne nouvelle ; nous, selon l’étymologie grecque, qu’il évangélise. Alors quelle est cette bonne nouvelle ? La naissance d’ « un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur », dit-il (11). La suite de la vie de Jésus, sa Résurrection, nous fera entrer dans ce mystère du Salut qu’il nous offre. Mais cette nuit, à la crèche, que pouvons-nous percevoir de ce salut ? Quelle est la bonne nouvelle de cet évangile, de cette naissance ?

Eh bien, je dirais l’inattendu. Habituellement, lorsque nous parlons d’inattendu, nous pensons facilement à des choses négatives : une crevaison, un retard, une maladie, la mort aussi. L’inattendu, même inconsciemment, nous le redoutons, car nous cherchons souvent à tout maîtriser, tout programmer. Et c’est peut-être l’exemple ici de l’empereur Auguste qui contrôle, se sécurise, compte ses forces et ses richesses, en « ordonnant de recenser toute la terre » (1).  Et tout se passe comme prévu : « Quirinius […], gouverneur de Syrie » s’exécute, « et tous allaient se faire recenser […]. Joseph, lui aussi, monta de […] Nazareth […à] Bethléem. » (2-4). Mais voilà que l’enfant attendu de Marie vient au monde, au moment et au lieu où peut-être on ne l’attendait pas, naissant et reposant dans « une mangeoire » inattendue (7). L’inattendu de Dieu est naissance. L’inattendu que Dieu met dans le monde, que Dieu est dans le monde, est vie, pour qui le reçoit.

L’inattendu de Dieu vient donc à nous dans « un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire » (12). Un nouveau-né qui ne peut ni bouger, ni parler et qui ne peut donc ici se manifester à nous que si nous consentons à nous pencher sur lui, à nous abaisser jusqu’à lui. Car lui, Dieu, s’est abaissé pour nous rejoindre le premier. Et il est là, dans la pauvreté d’une mangeoire, se donnant en nourriture pour qui sait le voir. L’inattendu de Dieu se manifeste dans le petit, dans ce qui est humble.

L’inattendu de Dieu se manifeste encore dans le fait qu’ « il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune », nous dit saint Luc (7). C’est ici dans l’exclusion, et donc dans l’inattendu, dans celui que l’on n’attend pas, que l’on ne désire pas, que Dieu se manifeste et prend naissance au milieu de nous. Et franchement, au quotidien, au rythme effréné de nos vies, de nos occupations, de nos rêves, attendons-nous vraiment que Dieu naisse concrètement dans nos vies, dans notre monde, dans nos attentes ? Oui, trop souvent Dieu est l’inattendu, et certainement moins l’absent, l’indifférent de ce monde en souffrance, que l’exclu d’un monde qui ne l’attend plus. Cette fête de Noël est pour nous un appel à mettre davantage en Dieu notre espérance, notre confiance, notre force. Trop souvent, nous ne pouvons pas le reconnaître, le rencontrer, parce que nous ne le cherchons pas, ne l’attendons pas, ou, quand nous le cherchons, nous le cherchons trop haut, trop loin, trop grand.

Dans l’évangile, d’autres sauront le reconnaître, exprimant une nouvelle fois l’inattendu de Dieu, ce Dieu tourné vers les exclus, les petits ; ce Dieu qui se fait l’un des leurs. Et c’est ici toute l’histoire de ces bergers, eux aussi rejetés, exclus, « qui vivaient dehors et passaient la nuit dans les champs » (8). C’est à eux que « l’ange du Seigneur se présenta » ; eux, dans la nuit, que « la gloire du Seigneur […enveloppe] de sa lumière » (9) ; devant eux qu’ « une troupe céleste innombrable […] louait Dieu » (13). L’inattendu de Dieu se révèle aux petits. Dans son humilité, il vient rejoindre ceux qui sont humiliés. Et il nous invite à tourner notre regard vers eux, nos oreilles, pour pouvoir le reconnaître lui, pour pouvoir l’entendre.

Contrairement à tous les César de la terre, Dieu ne se manifeste pas par la puissance, car alors elle nous écraserait. Dieu est tellement au-dessus de ce que nous pouvons concevoir, qu’il vient à nous par le seul chemin possible, ce chemin inattendu, celui de la petitesse, celui de l’humilité et de l’humilié, celui du simple quotidien.

Un Dieu inattendu, donc, qui peut faire naître la vie, naître à la vie, là où tout semblait programmé, cadenassé, prévu d’avance et finalement sans espérance. Dans un monde meurtri de massacres et d’injustices, ou encore d’un avenir qu’on nous impose ou qui se referme ; dans un monde dans la nuit, il nous est demandé à nous, chrétiens, d’apporter, de proclamer une lumière, un inattendu toujours possible qui ouvre, libère un nouveau chemin, un chemin de vie, de « paix sur la terre aux hommes, que [Dieu] aime » (14). Oui, en donnant son Fils, en nous rejoignant ici-bas, Dieu dit et redit combien notre monde, nos vies, chaque vie, ont de la valeur ; une valeur inattendue, toujours à découvrir.