Homélie pour le 17e dimanche "C"
(Lc 11,1-13)
Juillet 2016
« Seigneur, apprends-nous à prier ». Frères et Sœurs, au début de cette homélie, je serais tenté de vous demander qui vous a appris à prier ? Et comment vous l’avez appris ? Les disciples, eux, demandèrent naturellement à leur maître de leur apprendre. Mais notre maître à nous, c’est également le Seigneur, celui à qui nous devons, nous aussi, demander de nous apprendre à prier. Ainsi, celui que l’on prie est tout autant celui qui nous apprend à prier, nouvelle preuve de son infinie miséricorde à notre égard. Quand on prie, on n’est pas seul, on n’est plus seul ; et Dieu ne veut pas nous laisser seul face à notre prière, face à ce qui jaillit de notre cœur et de celui du monde.
La réponse de Jésus à ses disciples n’est pas celle d’un professeur. Ce qu’il leur propose, c’est de suite une prière, de se mettre en prière, de la même manière que leur désir d’apprendre à prier n’est pas venu d’entendre Jésus faire de grands discours, mais de voir Jésus en prière. Et nous aussi, c’est parfois en regardant telle ou telle personne prier que l’on désire prier plus profondément, vivre la même relation.
Et cette prière de Jésus, nous le savons maintenant, elle est prière au Père. Prier, c’est être fils, devenir fils ; se recevoir. Cette prière du « Notre Père » que nous disons si souvent, qu’il nous est finalement si difficile de nous y attarder vraiment, de la dire du début à la fin sans distractions, d’être vraiment conscients de ce que nous disons, de ce que Jésus nous a laissé. Car, sachons-le, tout y est !
« Notre Père » : cette vie de fils dont nous parlions est inséparable de cette vie de frères, de sœurs. La prière, dans son seul à seul, est rencontre de l’autre et des autres ; la prière nous ouvre à la fraternité.
« Notre Père, qui es aux cieux, que ton nom soit sanctifié ». Nous exprimons ici combien celui à qui nous nous adressons nous dépasse, nous enveloppe. Il y a là une vénération, mais qui n’est pas servile ; qui dit le mystère, ce vers quoi nous allons, sans cesse. Un mystère que nous sommes invités à incarner dans notre vie. Et ce serait cela ce que nos Pères appellent la crainte de Dieu.
« Que ton règne vienne ». Vouloir que le règne de Dieu vienne sur la terre, et d’abord dans ma vie, dans nos vies. Là encore, rien de servile, mais l’attente, oh combien nécessaire, d’un monde de justice et de paix.
Et nous insistons : « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. » Une volonté d’amour, de bien, de bon, de beau qui transforme la terre. Une volonté qui crie, s’insurge contre les drames de notre temps et de tous les temps, ceux de l’égoïsme, du pouvoir, de l’argent ; ceux de la peur et de la haine ; ceux, dirait saint Benoît, de la volonté propre qui mène nos vies et le monde.
« Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien. » Un pain qui n’est plus celui du labeur, mais celui du don, de la relation. Un pain quotidien qui est seulement, surtout, ce dont nous avons besoin pour aujourd’hui. Et, nous arrive-t-il encore de nous demander ce dont nous avons vraiment besoin pour aujourd’hui ? Rien qu’aujourd’hui ?
« Pardonne-nous nos offenses », parce le règne et la volonté de Dieu que nous espérons au plus profond de nous, nous sommes les premiers à leur faire barrage, à ne pas les attendre. Nous sommes des êtres blessés et blessants, indissociablement.
« Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensé. » De nouveau, la relation à Dieu qui nous ouvre à celle de nos frères et sœurs ; cette invitation à aller plus loin, au-delà de ce que nous sommes, de ce dont nous nous contenterions si bien ; cet appel à imiter Dieu, à mettre nos pas dans les siens, à se laisser façonner par lui.
« Et ne nous laisse pas entrer en tentation », parce que nous sommes fragiles, sans cesse sollicités, si peu vigilants.
« Mais délivre-nous du mal », du mal absolu qui frappe plus ou moins fort dans notre monde, selon les lieux où Dieu ou le hasard nous a donné de naître. Désir, besoin de protection parce que nous sommes faits – non par hasard, mais par Dieu - pour la vie !
Alors oui, je le répète, tout y est ! Et c’est le Christ qui nous a fait un tel cadeau. Cette prière, c’est en réalité celle qui habite au plus profond de nous et qu’il nous faut mettre à jour, qu’il nous faut vouloir, désirer, vivre. Une prière qui nécessite de faire place à l’autre dans nos vies car sans l’autre – qu’il soit Dieu ou mon frère – pas de prière. Une prière qui n’est pas un marchandage, comme pourrait le laisser penser la première lecture et l’attitude d’Abraham, mais bien un long cheminement commun, un apprivoisement par lequel je découvre combien je dépends de Dieu et des autres, et combien les autres dépendent de moi, ont besoin de moi, de mon amour.
Que cette Eucharistie qui nous rassemble pour prier et louer Dieu ; que cette Eucharistie où nous recevons le nécessaire, l’unique nécessaire pour vivre aujourd’hui, nous donne de demander, de chercher, de frapper, car, croyons-le, on nous donnera, nous trouverons, on nous ouvrira.