B SAINT SACREMENT MARC 14, 12-16.22-26 (10) Chimay : 06.06.2021

Frères et sœurs, nous célébrons aujourd’hui la fête du Corps et du Sang du Christ. Pour comprendre cette fête, il faut se rappeler que dans le monde de la Bible, le mot corps ne désigne pas seulement le corps physique mais la personne tout entière. Quand nous entendons à la consécration que Jésus « livre son Corps pour nous et pour la multitude », cela signifie qu’il s’est entièrement donné pour le salut du monde, qu’il nous a aimés jusqu’au bout (Jn 13,1).

 

Dans la première lecture (Ex 24,3-8), nous voyons le peuple hébreu qui se trouve rassemblé devant Moïse pour faire alliance avec son Dieu. Cette alliance est symbolisée par le sang versé sur l’autel puis sur l’assemblée. Même si ce rituel sanglant qui remonte à la nuit des temps nous met mal à l’aise, il met en pratique l’alliance conclue entre le peuple d’Israël et son Dieu. Nous savons que le sang c’est la vie. Sans avoir une connaissance exacte de son rôle, les gens avaient bien vu que la perte de sang conduisait à la mort. Actuellement, nous voyons qu’un sang donné à la Croix Rouge peut sauver des vies. Le sang est porteur de vie. C’est donc un pacte de vie qui lie Dieu et son peuple. A chaque messe, c’est le même Dieu qui rejoint les communautés réunies en son nom. Comme les Hébreux, nous y redisons notre joie d’être aimés et choisis par Dieu qui livre son Sang, c’est-à-dire sa Vie, pour nous.

La lettre aux Hébreux (Hb 9,11-15) s’adresse à des chrétiens qui restaient fascinés par les cultes sacrificiels juifs. Ils regrettent de ne pas trouver cette splendeur dans les célébrations chrétiennes. Ce qu’ils doivent bien comprendre, c’est que les sacrifices de l’ancienne alliance n’étaient qu’un point de départ. Le véritable don du sang qui nous fait participer à la vie même de Dieu c’est celui qu’a accompli le Christ sur la croix. Il nous arrache à l’emprise du mal en nous proposant de vivre de son amour. C’est là le véritable sacrifice. A chaque messe, nous assistons « en direct » au moment où Jésus fait don de sa vie. C’est la victoire de la vie sur la mort et nous en recevons les fruits. En communiant à Jésus le Christ, sous les espèces du pain et du vin, nous communions aussi les uns aux autres.

L’Évangile nous parle du dernier repas de Jésus au soir du Jeudi Saint. En lisant ce récit de plus près, nous remarquons un point qui risque de passer inaperçu.  Les disciples ne disent pas : « pour que nous mangions la Pâque » mais « pour que TU manges la Pâque » (Mc 14,12). Pour l’évangéliste, c’est une manière de relier le repas pascal juif à Jésus, le Christ cosmique dont parle Teilhard de Chardin. Ce repas devient celui de Jésus : « Ceci est mon Corps… Ceci est mon sang » (Mc 14,22.24). Le rite de l’alliance de l’Ancien Testament est repris ; mais le véritable Agneau Pascal immolé et mangé, c’est Jésus lui-même. Il se livre pour libérer l’humanité tout entière de ce qui l’éloigne de Dieu. L’eucharistie actualise le don de sa vie pour que nous en vivions.

Historiquement Jésus et ses disciples partagent le repas de la Pâque qui, selon la tradition juive, rappelle la sortie d’Égypte (Ex 12). Au cours de ce repas de fête, Jésus annonce qu’un disciple le trahira, que tous l’abandonneront, que Pierre le reniera. Dans ce contexte, Jésus ajoute un autre sens au repas pascal : être en communion avec lui conduit au don de sa vie. Les gestes qu’il fait et les paroles qu’il prononce sont pour les premiers chrétiens et pour nous le fondement du rite du partage du pain et du vin, mais aussi du don de sa vie.

Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que l’Eucharistie est « le sacrifice de toute l’Église ». Cela nous est rappelé à la fin de l’offertoire. Ce sacrifice ce n’est pas seulement celui de l’assemblée présente à l’église. A travers cette assemblée, c’est toute l’Église qui fait monter sa prière vers le Seigneur. Et quand le prêtre dit avant la communion « Voici l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn 1,29), il ne s’adresse pas seulement aux fidèles présents mais au monde. Le Christ ne demande qu’à se donner à tous pour être leur nourriture. Il aime chacun d’un amour qui dépasse tout ce que nous pouvons imaginer, un amour qui n’a pas de frontières.

Au moment de la Consécration, le pain et le vin deviennent le Corps et le Sang de Jésus. Mais c’est surtout nous-mêmes et notre monde que le Seigneur veut consacrer et diviniser. C’est nous-mêmes qu’il veut remplir de sa présence. Ce don n’est pas seulement réservé à ceux qui sont rassemblés dans l’église. Il est pour tous. Jésus a été envoyé au monde non pour le juger mais pour le sauver (Jn 3,17 ;12,47).

Notre civilisation perd le sens de cette gratuité. Un cadeau n’est pas toujours un don : les enfants dressent une liste de ce qu’ils veulent, comme un dû, pour leur anniversaire, pour Noël. Et c’est la surenchère entre parents séparés pour être le meilleur, la jalousie envenime la relation, et bientôt les enfants deviennent blasés de ce qu’ils ont mais manquent d’affection, de présence, d’écoute et de partage. Misant sur l’avoir plus que sur l’être, nous nous fourvoyons et la vie perd son sens.

Apparue tardivement dans l’Église (xiiie siècle), la solennité de ce dimanche rappelle que la logique de Dieu est tout autre : nous célébrons le don de Dieu entré en Alliance avec l’humanité, la gratuité de son amour, le don de son propre Fils devenu pour nous offrande parfaite. En amour il n’y a ni calcul ni limites. Son sang « fait bien davantage » (He 9,14) que les sacrifices anciens : par son Corps livré, par son Sang versé, Jésus est la victime parfaite qui porte le péché du monde et nous obtient le pardon. Cependant l’Eucharistie est offrande réciproque : nous nous offrons à l’amour du Seigneur pour qu’il transforme notre existence. Dès lors son Pain nous est confié mais pour le partager, en mémoire de son amour.

Voilà ce repas auquel nous sommes tous invités. C’est vraiment LE moment le plus important de la semaine. Le Christ ressuscité est là ; il nous rejoint. A chaque messe, nous célébrons celui qui nous a aimés comme on n’a jamais aimé. C’est la moindre des choses que nous répondions à cette invitation. C’est vrai que dans certains endroits, cela devient difficile. En raison du manque de prêtres, nous assistons à une baisse drastique du nombre de messes. Mais quand il n’y a plus de boulanger dans un village, on sait s’organiser pour ne pas rester sans pain. Aujourd’hui, le Christ se présente à nous comme « le pain vivant qui est descendu du ciel. Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement » (Jn 6,51). 

En cette fête du Corps et du Sang du Christ, renouvelons notre action de grâce pour la merveille que nous célébrons. Ce dimanche met en évidence le rapport particulier que les chrétiens entretiennent avec l’eucharistie. Et nous faisons nôtre cette prière du prêtre avant la communion : « Que ton Corps et ton sang me délivrent de mes péchés et de tout mal ; fais que jamais je ne sois séparé de toi ».