Homélies du Père Jacques Pineault

C30 2025

C 30 LUC 18, 09-14 (19) Chimay : 26.10.2025

Frères et sœurs, en ce mois d’octobre, mois du Rosaire, on nous rappelle souvent le rôle missionnaire de l’Église. Nous, chrétiens baptisés et confirmés, nous sommes tous envoyés en mission. Notre pensée et notre prière vont vers ces prêtres, religieux et laïcs qui ont quitté leur famille et leur pays pour porter l’Évangile sur d’autres continents, souvent au péril de leur vie. Et nous n’oublions pas ceux qui viennent chez nous pour nous évangéliser. Notre mission à tous, c’est d’annoncer la miséricorde. C’est Jésus lui-même qui nous envoie. Pour mieux répondre à cette mission, nous nous mettons à l’école du Seigneur et à l’écoute de la Parole de Dieu.

Le livre de Ben Sira le Sage (Si 35,15b-22a) nous invite à rectifier l’image que nous nous faisons de Dieu. Il vient nous rappeler que “le Seigneur ne fait pas de différence entre les hommes” (Ac 15,9). L’expression “le Seigneur ne fait pas de différence entre les hommes” signifie que Dieu est un juge impartial qui regarde l’attitude du cœur et non les apparences ou les origines sociales. Il aime tous les hommes et offre le salut à tous ceux qui l’invoquent, sans privilégier une race, une classe sociale ou une religion en particulier. Le cœur de l’homme est ce qui importe, et l’amour, le service et la prière sont les qualités que Dieu valorise.  Il entend la prière et la plainte du pauvre, de l’opprimé, de la veuve et de l’orphelin. Nous pensons à toutes les victimes des guerres en Ukraine, en Afrique et ailleurs. Nous ne pouvons pas rester indifférents face à tant de souffrances. Plus tard, Jésus proclamera que l’Évangile, c’est la Bonne Nouvelle annoncée aux pauvres. « La Bonne Nouvelle annoncée aux pauvres » est une expression clé du message de Jésus, tirée de l’Évangile de Luc (Lc 4,18-19), où Jésus proclame sa mission : libérer les pauvres et apporter un temps de grâce. Ce message est à la fois une promesse de justice divine, une libération face à l’oppression des riches et une restauration de l’ordre des choses brisé par la malédiction.  Et il précisera qu’il se reconnaît à travers celui qui a faim, celui qui est sans vêtement, celui qui est étranger ou prisonnier (Mt 25,31-46). À travers eux, c’est lui que nous accueillons ou que nous refusons.

À moment où il écrit sa lettre à Timothée (2 Tm 4,6-18), l’apôtre Paul se trouve lui aussi en situation de détresse. Il est en prison et il sait que bientôt, il va être exécuté. Toute sa vie a été un combat, mais il est resté fidèle jusqu’au bout. Il s’est totalement impliqué dans sa mission qui était d’annoncer l’Évangile aux nations païennes. Il attend maintenant la récompense promise au “serviteur fidèle”, rencontrer le Seigneur et être avec lui dans son Royaume. C’est là son espérance et sa force. Sa prière est entièrement tournée vers Dieu.

L’Évangile est précisément là aujourd’hui pour mettre en valeur la prière du pauvre. Jésus nous raconte une parabole pour faire passer un message de la plus haute importance. Il nous présente un pharisien et un publicain. Tous deux montent au temple pour prier. Ils pratiquent la même religion, mais ils ne sont pas ensemble. L’un priait pour demander à Dieu de reconnaître ses mérites ; l’autre pour obtenir sa miséricorde. Le pharisien présente à Dieu un bilan impressionnant : il n’a commis aucune faute, il jeûne, il fait l’aumône. Tout ce dont il est fier est sans doute vrai. D’ailleurs, ce n’est pas cela que Jésus lui reproche.

Le problème de cet homme c’est son orgueil. Il est convaincu d’être juste mais il n’a que mépris pour les autres. Il ne se contente pas de se donner des coups d’encensoir. II fait en même temps l’examen de conscience du publicain. Il n’a pas compris que pour être exaucé, il nous faut être plein de bonté et de compréhension pour les autres, même s’ils sont pécheurs. Dieu veut le salut de tous les hommes.

Bien à distance, nous avons le publicain. C’est un homme méprisé et même détesté de tous. Il a pactisé avec l’occupant romain. De plus, il a rançonné la population. Il s’avoue pécheur et se reconnaît coupable. Il est au fond du gouffre. La seule chose qu’il peut faire c’est d’implorer le pardon de Dieu à son égard : « Mon Dieu, montre-toi favorable au pécheur que je suis » (Lc 18,13).

En nous racontant cette parabole le Christ vient nous annoncer une Bonne Nouvelle : il nous dit que Dieu est Amour. Et cet amour va jusqu’au pardon. Tout cela nous est offert gratuitement et sans mérite de notre part. Celui qui se croit supérieur aux autres n’a rien compris. Comment pouvons-nous nous adresser à Dieu si nous n’avons que du mépris pour ceux qui sont autour de nous ? Si nous réalisons quelque chose de bien, ce n’est pas dû à nos mérites, mais à l’action du Seigneur en nous. Il attend de nous que nous venions à lui les mains vides pour les remplir de son amour. N’oublions pas qu’il a donné sa vie et versé son sang pour nous et pour la multitude, y compris pour les publicains. Il est venu chercher et sauver ceux qui étaient perdus (Lc 19,10). Il compte sur nous pour les aimer et les porter dans notre prière.

S’il y avait un secret, ce serait celui-là : « Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé » (Lc 18,14). Les mots sont ceux de Jésus s’adressant à ses disciples. On ne peut pas être plus clair, ni plus explicite pour décrire cette mystérieuse dynamique à l’œuvre dans la Création, dynamique qui brouille nos repères sociaux et perturbe notre instinct de compétition. Cette réalité est d’une telle centralité que la Bible s’échine à en parler, la divulgue, la répète, la serine, la crie sur tous les toits et à toutes les occasions, la déclare à temps et à contre-temps. Ce secret – le moins gardé du monde – décrit le processus qui permet d’entrer dans le royaume de Dieu en passant par le chas de l’aiguille (Mc 10,24-25). Il raconte à qui veut bien l’entendre que le chemin le plus court pour aller à Dieu passe par le point le plus bas, la situation a priori la moins enviable. L’affirmation selon laquelle le chemin le plus court vers Dieu passe par le point le plus bas est une idée théologique et spirituelle qui suggère que l’humilité, la repentance et l’abaissement de soi sont des étapes clés pour se rapprocher du divin. Cette perspective est souvent liée à la croyance que la voie vers Dieu n’est pas celle des conquêtes terrestres ou du statut social élevé, mais plutôt d’un chemin de vulnérabilité et de dépendance envers Dieu. 

Le Dieu de la Bible est le Dieu des exclus, de ceux qui, pour une raison ou pour une autre, sont privés de quelque chose d’essentiel : pauvres, opprimés, orphelins, isolés, abandonnés, ainsi que de tous ceux qui pensent que leur vie n’est pas à la hauteur. Il y a de la place pour beaucoup de situations, et pour toute personne qui consent à se reconnaître dépassée par sa situation. Dieu invite chacun d’entre nous à venir comme nous sommes pour, à partir de là, renouer avec ses bienfaits à notre égard.

En célébrant cette Eucharistie, nous venons nous nourrir de la Parole de Dieu et de son Corps. Le Seigneur se donne à nous pour nous, il vient nous remplir de force pour annoncer l’Évangile. Cette force, c’est la grâce du baptême sans cesse vivifiée par l’Eucharistie. Nous le prions pour que tous les hommes puissent entendre et accueillir cette Bonne Nouvelle qu’il est venu apporter au monde.

C 29 LUC 18, 01-08 (23)

Chimay : 19.10.2025

C29 2025Frères et sœurs, dans l’évangile de ce jour, « Jésus dit une parabole pour montrer qu’il faut prier sans se lasser » (Lc 18,1). Voilà un message qu’il veut faire passer en nos cœurs. C’est ce qu’on veut nous faire comprendre dans l’extrait du livre de l’Exode que nous avons entendu (Ex 17,8-13). Il nous montre Moïse suppliant le Seigneur pendant que Josué combat victorieusement les Amalécites. Cette lecture est une réponse à la question que se posaient les hébreux : « Le Seigneur est-il au milieu de nous ou pas ? »

Cette question a été posée par le peuple d’Israël à Moïse alors qu’ils étaient éprouvés et frustrés dans le désert, parce qu’ils manquaient d’eau et craignaient de mourir de soif. Il peut arriver que les circonstances de notre vie nous amènent à la même question car nous sommes nous aussi éprouvés et incertains pour notre avenir. Alors il ne faut pas tomber dans le piège qui nous ferait croire que le Seigneur nous a abandonnés et que par conséquent, nous ne voulons plus croire en ce Dieu qui nous a déjà témoigné son assistance. Il nous a peut-être même secourus plus d’une fois dans le passé !

C CROIX GLORIEUSE JEAN 03, 13-17 (1)

Chimay : 14.09.2025

Croix glorieuseFrères et sœurs, dans le livre des Nombres (Nb 21,4-9), entendu en première lecture, Dieu demande à Moïse de fabriquer un serpent d’airain et de le placer sur un mât, pour guérir les Israélites mordus par les serpents. Quiconque le regardait le serpent de bronze était guéri de ses blessures et restait en vie. C’était une image du salut qui nous viendrait du Christ crucifié sur la croix. Que la croix, un instrument de supplice et de mort, soit qualifiée de glorieuse et, plus encore, de croix précieuse et vivifiante a de quoi nous donner à méditer. La croix dans sa nudité peut nous effrayer ! Mais bien mieux que le serpent de bronze, le Christ en croix s’offre à nos regards pour nous guérir de toutes nos fautes. Et qui d’entre nous n’en commet pas ?

Comme ces Israélites, nous sommes marqués par la morsure du péché qui nous fait perdre courage. Notre salut consiste à nous tourner vers le Fils de Dieu, à nous tourner vers la cause de notre salut : le Christ qui meurt sur la croix. Remarquons que c’est son amour jusqu’à la mort qui est vainqueur du péché et non sa souffrance. C’est pourquoi tous les êtres sont appelés à tomber à genoux devant le Christ en croix et à le proclamer « Seigneur, à la gloire de Dieu le Père » (Ph 2,11).

C 28 LUC 17, 11-19 (18)

Chimay : 12.10.2025

C28 2025Frères et sœurs, le pape François ne cessait de nous inviter à aller « aux périphéries ». En octobre, il demandait à l’Église de vivre « un mois missionnaire extraordinaire ». En effet, la Bonne Nouvelle de l’Évangile doit être annoncée au monde entier et à tous les milieux. En communion avec toute l’Église, nous, chrétiens baptisés et confirmés, nous sommes envoyés pour en être les messagers. Car l’Évangile de Jésus Christ est pour tous.

C’est ce message que nous trouvons dans les lectures bibliques de ce dimanche. Le peuple d’Israël a été le premier à bénéficier de cette annonce de la Parole de Dieu. Mais dans le Livre des Rois (2 R 5,14-17), nous découvrons que ce trésor est également offert à des étrangers. Le général Syrien Naaman ne connaissait pas le Dieu d’Israël. Mais il a eu foi en la parole du prophète Élisée. C’est cette foi qui a été le point de départ de sa guérison et de sa conversion. Il décide alors de quitter les idoles pour ne plus adorer que le Dieu d’Israël. Ce Dieu n’est pas celui d’un seul peuple mais celui de toute la terre. C’est de cela que nous avons à témoigner.

C’est ce qu’avait compris l’apôtre saint Paul (2 Tm 2,8-13) : il a quitté son pays pour annoncer l’Évangile au monde entier. Au moment où il écrit sa lettre à Timothée, il est en prison, parce que son message dérangeait beaucoup de gens. Ceux qui l’ont arrêté pensaient enrayer la diffusion de l’Évangile. Mais, écrit saint Paul « on n’enchaîne pas la Parole de Dieu » (2 Tm 2,9). Rien ni personne ne peut l’empêcher d’être communiquée au monde entier. Le témoignage des martyrs a toujours été source de conversion. « Le sang des martyrs est semence de chrétiens ». En voyant leur foi courageuse, des étrangers et même des persécuteurs se sont convertis à Jésus Christ. À la suite de Paul et des premiers chrétiens, ils sont devenus des messagers de l’Évangile.

La citation « Le sang des martyrs est semence de chrétiens » est de Tertullien, un des premiers Pères de l’Église du iie siècle. Cette phrase, extraite de son œuvre Apologétique, exprime l’idée que les persécutions et les sacrifices des premiers chrétiens, loin d’anéantir la foi chrétienne, la renforcent et la propagent. Le martyre devient ainsi un moyen de semer et de faire grandir la foi chrétienne. 

En d’autres termes, la mort des martyrs, loin d’être une perte, est perçue comme un acte fécond, un témoignage puissant qui attire de nouvelles conversions et renforce la communauté chrétienne. Tertullien utilise cette formule pour répondre à l’Empire romain, soulignant que les persécutions ne font que rendre la foi chrétienne plus forte. La citation suggère que la foi chrétienne ne peut être vaincue par la violence, mais qu’elle est au contraire renforcée par les persécutions. En ce temps-là, comme de nos jours, « on n’enchaîne pas la Parole de Dieu ! (2 Tm 2,9).

L’Évangile de ce dimanche nous montre Jésus au cours de sa montée à Jérusalem. C’est là qu’il va livrer son Corps et verser son Sang pour nous et pour le monde entier. Or voici que dix lépreux viennent à sa rencontre. Ils supplient Jésus d’avoir pitié d’eux. Ces hommes étaient des exclus car leur lèpre les rendait impurs. Jésus les renvoie vers les prêtres pour faire constater leur guérison. Ils pourront alors être réintégrés dans leur communauté.

Mais parmi eux, il y avait un Samaritain. En tant que Samaritain, même guéri, il demeurait un exclu. Il ne pouvait donc pas se présenter au prêtre. Alors il revient vers Jésus « en glorifiant Dieu à pleine voix » (Lc 17,15). Sa foi ne l’a pas simplement guéri, elle l’a sauvé, lui dit Jésus. Il peut maintenant retourner auprès des siens qui ne font pas partie du peuple de Dieu. Il pourra y témoigner de cette Bonne Nouvelle : Jésus est le sauveur de tous les hommes, de ceux qui font partie de son peuple et de ceux qui en sont loin. Au jour de l’Ascension, Jésus demandera à ses apôtres d’aller annoncer l’Évangile au monde entier. « Soyez mes témoins à Jérusalem, dans toute la région de la Judée et de la Samarie, et jusqu’aux endroits les plus lointains de la terre » (Ac 1,8).

Voilà donc trois textes bibliques qui nous disent tout l’amour de Dieu pour nous. Il ne s’intéresse pas seulement à ceux qui font partie de son Église. Son grand projet c’est de rassembler tous les hommes du monde entier, y compris ceux qui sont les plus éloignés et même les plus opposés à la foi. Il aime chacun bien au-delà de tout ce que nous pouvons imaginer. C’est pour tous qu’il a donné sa vie sur la croix.

Notre réponse à cet amour infini doit être l’action de grâce. Naaman est revenu vers le prophète Élisée pour rendre grâce à Dieu. Toute la vie de saint Paul a été une action de grâce car, même en prison, il constate que la Parole de Dieu porte du fruit. Et dans l’Évangile, nous voyons le Samaritain lépreux se prosterner au pied de Jésus : il reconnaît en lui l’origine de sa guérison. À notre tour, nous sommes invités à rendre grâce à Dieu pour tout ce qu’il nous donne. Trop souvent, nous ne voyons que ce qui ne va pas. Nous oublions que Dieu est « là, au cœur de nos vies » (Raymond Fau). Alors oui, rendons-lui grâce par nos chants de louange et par toute notre vie.

Le seul désir de Dieu c’est de voir l’homme debout, vivant et aimant. Saint Irénée de Lyon nous le dit à sa manière : « La gloire de Dieu c’est l’homme vivant. La vie de l’homme, c’est de voir Dieu » (A.H. IV,20,7). Dieu nous a créés pour la vie en plénitude. Il ne se contente pas de nous pardonner nos péchés. Avec lui, c’est la porte de la Vie éternelle qui s’ouvre. C’est de ce salut que nous avons à témoigner auprès de ceux et celles que nous croisons sur notre route.

Tout au long de ce mois du Rosaire, nous nous tournons aussi vers la Vierge Marie. Dans le Magnificat, elle rend grâce au Seigneur non seulement pour ce qu’il a fait en elle mais aussi pour son action dans l’histoire du Salut. En célébrant cette Eucharistie, nous nous unissons à cette action de grâce de Marie et nous lui demandons de nous aider à rester fidèles à la mission qui nous est confiée.

C 26 LUC 16, 19-31 (19) Chimay : 28.09.2025

C26 2025Frères et sœurs, la liturgie de ce dimanche nous fait entendre encore une fois la voix du prophète Amos (Am 6,1a.4-7). Le prophète, c’est quelqu’un qui parle de la part de Dieu. Sa mission n’est pas d’enfoncer le pécheur dans son mal mais de l’appeler à se convertir. Aussi Amos se montre implacable envers la société corrompue de son temps. Il dénonce le luxe insolent des classes dirigeantes du pays, luxe qui les rend aveugles sur « le désastre du peuple » (Am 6,6). Il critique d’une manière virulente l’exploitation des pauvres par les riches et les puissants. Quand le droit et la justice sont bafoués, le pays court à sa perte. C’est connu !

Ces paroles très dures sont pourtant celles d’un amour qui ne veut que le bonheur de son peuple. Mais quand on aime, on se met parfois en colère. Dieu ne supporte pas qu’une petite minorité s’enrichisse au détriment des plus pauvres. Si Amos revenait, il dénoncerait tout notre gaspillage qui est une gifle à tous ceux et celles qui n’ont pas de quoi survivre. Dans son encyclique Laudato si’, le pape François nous invitait tous à une véritable conversion à propos du droit et de la justice.

C’est aussi l’appel que nous retrouvons dans l’Évangile de ce dimanche : il nous montre un homme riche qui fait bombance tous les jours. Son péché est d’ignorer le pauvre Lazare couvert d’ulcères devant son portail. Dieu ne peut pas tolérer cette situation dramatique. Il a créé le monde pour que tous les hommes y vivent ensemble et en frères. Il nous invite à partager les biens qu’il a créés en abondance. Il ne supporte pas qu’une infime minorité possède plus de la moitié des richesses globales. Entendons-nous bien : la richesse n’est pas mauvaise en soi. Mais elle peut nous entraîner au péché quand elle nous rend sourds et aveugles à la misère de notre monde. Les nouveaux pauvres sont de plus en plus nombreux dans nos villes mais aussi dans nos campagnes. Ils ont besoin d’une aide matérielle, oui, bien sûr. Mais ils attendent surtout que nous les regardions et que nous leur parlions.

Le péché du riche, c’est qu’il n’a pas vu. Ses richesses lui ont fermé les yeux, bouché les oreilles et fermé le cœur. C’est absolument dramatique parce que c’est son avenir éternel qui est en jeu : il n’y aura pas de séance de rattrapage ; la mort lui aura enlevé toutes les richesses qui l’aveuglaient et lui rendra la vue ; ce jour-là, il ne pourra plus repartir à zéro. L’Évangile nous parle d’un grand abîme entre lui et Lazare ; cet abîme infranchissable, c’est lui, le riche, qui l’a creusé. Cette solitude dans laquelle il se trouve, c’est lui qui l’a organisée. Il s’y est complètement enfermé. Maintenant, personne ne peut rien pour lui. Cet abîme perpétue celui que le riche, dans son aveuglement, avait creusé avant sa mort entre les pauvres et lui.

Ça donne des frissons, mais il nous faut recevoir cet Évangile comme un appel pressant à nous convertir. Le Seigneur compte sur nous pour que nous ouvrions nos yeux, nos oreilles et surtout notre cœur à tous ceux et celles qui souffrent de la précarité, du mépris et de l’exclusion. Nous ne devons pas attendre qu’une apparition vienne nous dire qui est Lazare et où le trouver : il est à notre porte, même s’il habite au bout du monde. Si nous ne le voyons pas, c’est que nous sommes aveugles. Il devient urgent de combler les ravins d’indifférence, de raboter les montagnes de préjugés et d’abattre les murs d’égoïsme.

La grande priorité, c’est de construire des ponts, de tracer des routes et d’aller à la rencontre des autres. Le Christ est là pour nous accompagner, car il sait bien que c’est au-dessus de nos forces personnelles. Sa grande mission a été de réconcilier les hommes avec le Père mais aussi entre eux. Il nous veut unis à lui et entre nous. C’est le grand commandement qu’il nous laisse : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 13,34). Nous n’aurons jamais fini de nous ajuster à son regard d’amour sur les personnes qui nous entourent. C’est pour tous que le Christ a livré son Corps et versé Son sang.

Dans sa lettre à Timothée (1 Tm 6,11-16), saint Paul nous dit avec finesse que nous serons jugés sur nos actes : s’emparer de la vie éternelle, c’est mener le combat de la foi, c’est-à-dire se montrer doux, juste, aimant et persévérant. À travers son disciple Timothée, c’est à chacun de nous qu’il s’adresse. Il nous invite « à garder le commandement du Seigneur, en demeurant sans tache, et irréprochable jusqu’à la Manifestation de notre Seigneur Jésus Christ » (1 Tm 6,14).

Ne vous est-il jamais arrivé de détourner le regard d’un pauvre ? ou de détourner vos pas ? … Ne vous est-il jamais arrivé de vous inventer une de ces raisons que l’on invente pour ne pas donner de l’argent à ceux qui nous mendient ? … « Elle va le boire ». « Il va s’acheter de la drogue ». Sans parler de la légende urbaine du mendiant qui a refusé le sandwich qu’on lui tendait. Comme si un pauvre devait toujours manger la nourriture que d’autres choisissent pour lui… Je me souviens d’un responsable de banque alimentaire qui me disait recevoir des riches beaucoup de cans de petits pois verts, mais pas de viande, ni d’œufs, ni de lait, ni de fromage. Que dire alors de ceux qui ne supportent pas de voir la pauvreté à leur porte ? Pas de colporteurs ! Je sais que parfois, on n’en peut plus de voir la souffrance.

Toutes les pauvretés reflètent un manque d’amour. Ça ne veut pas dire que c’est le manque d’amour qui les cause toutes. Tous, nous sommes nés nus et pauvres, et nous serions morts si, par amour, quelqu’un ne nous avait pas nourris et soignés. Il y a une pauvreté naturelle de l’humanité. Et comme le Pape François l’a rappelé : « Un linceul n’a pas de poches » ; nous n’emportons rien dans la mort, sinon l’amour dont notre cœur sera rempli.

La pauvreté est toujours un creuset pour l’amour et c’est parce qu’ils reflètent notre dureté de cœur que nous ne voulons pas voir les pauvres qui nous entourent. A cet égard, ils cristallisent comme un caillou piquant le commandement d’aimer de Dieu. Et c’est d’abord sur celles et ceux que nous pouvons aider mais que nous essayons de ne pas voir, qu’achoppe notre refus de Dieu. La parabole que donne le Christ est très sévère à cet égard. « N’est méritoire que ce qui n’est pas fait en vue d’une récompense » (Sainte Édith Stein).

Sans doute l’avez-vous remarqué, la parabole ne donne pas le nom du riche ; seulement celui du pauvre. Je n’ai pas fait grand-chose d’humain en donnant à un pauvre de quoi manger, si je n’ai même pas pris la peine de demander son nom. Comme Dieu, connaissons-nous le prénom des pauvres sur notre seuil ? Il s’appelait Lazare, ce qui signifie Dieu m’a aidé.

L’Eucharistie qui nous rassemble nous annonce un monde où il n’y aura plus de pauvres. Dans ce monde nouveau, tous, riches et pauvres se retrouveront à la même table ; ils partageront ce qu’ils possèdent. Personne n’y manquera du nécessaire. Tous auront assez pour entrer dans la fête. Le monde que l’Eucharistie annonce, c’est celui-là même que le Christ est venu instaurer. Rendons-lui grâce et prions les uns pour les autres : c’est une aumône que chacun peut faire.

C 21 LUC 13,22-30 (17)

Chimay : 24.082025


Luc 13Frères et sœurs, nous sommes invités ce dimanche à faire un pas de plus sur le chemin de la foi et à changer notre mentalité : par exemple, le vrai Dieu n’est pas le Dieu de quelques-uns ; il est celui qui veut rassembler tous les hommes : c’est cette Bonne Nouvelle que nous trouvons dans le livre du prophète Isaïe (Is 66,18-21) : « Je viens rassembler toutes les nations, de toute langue. Elles viendront et verront ma gloire… » (Is 66,18). Ces paroles de réconfort sont adressées à des croyants qui viennent de vivre une longue période d’exil ; ils ont vécu plus de 50 ans en terre étrangère au milieu des païens. Ils découvrent progressivement que Dieu veut rassembler toutes les nations. La dispersion d’Israël en exil parmi les nations avait pour but non pas d’en faire des païens, mais d’en faire le témoin du Dieu qui veut rassembler toutes les nations.