C VENDREDI SAINT JEAN 18,01-19,42 (6) Chimay : 18.04.2025
Frères et sœurs, le prophète Isaïe (52,13-53,12) a annoncé le chemin du Serviteur du Seigneur. Il sera lumière pour les multitudes, signe d’alliance, flèche de choix dans le carquois du Seigneur. Il a une oreille de disciple pour entendre sa parole, dût-il durcir son front face à ses adversaires. D’ailleurs désormais, ses adversaires semblent l’emporter. Silencieux comme une brebis menée à l’abattoir, le Serviteur n’a même plus visage humain, devant lui on se détourne. Pourtant, brebis dispersées de toutes parts, nous avons éprouvé qu’il nous rassemblait.
De qui parle ce texte d’Isaïe écrit six siècles avant Jésus ? Il a été médité longuement par les premiers chrétiens, leur donnant peu à peu les mots pour dire l’horreur du scandale de la croix. L’évangéliste Jean a des paroles fortes, fulgurantes même, pour dire la Passion. Les soldats qui arrêtent Jésus tombent face contre terre quand il leur dit, non pas simplement « c’est moi », mais « Je suis » (Jn 18,6-7). Ces mots ont l’incandescence du buisson ardent. C’est le nom même de Dieu. Pilate échangera avec Jésus en une singulière remise en question de son pouvoir : « Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi si tu ne l’avais reçu d’en haut » (Jn 19,11). Il ne pourra alors que balbutier une interrogation : « Qu’est-ce que la vérité ? » (Jn 18,38). Il nous faudra aussi laisser se déployer l’onde de choc de sa parole devant tous : « Voici l’homme » (Jn 19,5), défiguré, moqué, et pourtant image de Dieu. Élevé de terre, il est source, pour toujours du salut.
Tous ceux qui ont eu à souffrir et à donner leur vie pour leurs frères trouvent en Jésus l’accomplissement de l’espérance qui les portait, car lui, il sauve la multitude des hommes.
En ce Vendredi Saint la mort du Christ révèle un Dieu qui nous aime sans mesure. Il n’a pas refusé son Fils unique. Il l’a livré pour sauver tous les hommes. Bien sûr, il n’a pas voulu qu’il meure ainsi. Il a simplement voulu qu’il nous aime comme lui, le Père, nous aime. Le Christ nous a aimés jusqu’à mourir sur une croix. Dans sa Passion c’est l’amour du Père qui est à l’œuvre. C’est la réussite du projet de Dieu annoncé dans la première lecture : « Mon serviteur réussira » (Is 52,13).
À première vue, cette réussite n’est pas très évidente. En effet, nous voyons une foule qui rejette Jésus. Puis il y a la croix, la mort atroce réservée aux esclaves. Mais le serviteur broyé deviendra le Sauveur de tous ses frères. C’est par la croix que Jésus est devenu cause du Salut éternel. Saint Jean nous présente la Passion comme une marche triomphale du Fils de Dieu vers son Père. Il nous faut la lire comme un récit de glorification.
En lisant ce récit de la Passion, nous découvrons que Jésus a parfaitement conscience de ce qui va lui arriver. C’est lui qui donne librement sa vie : « Ma vie, nul ne la prend mais c’est moi qui la donne » (Jn 10,18). C’est lui qui interpelle Judas et non l’inverse : « Ce que tu as à faire, fais-le vite » (Jn 13,27). Il porte lui-même sa croix. Crucifié, il confie sa mère au disciple qu’il aimait. Puis il dit « J’ai soif » et enfin « Tout est accompli » (Jn 19,28.30). En mourant, Jésus pose un acte d’amour suprême envers le Père entre les mains duquel il remet l’Esprit. Par son Esprit répandu sur le monde, Jésus devient roi d’une royauté qui n’est pas de ce monde. Enfin, franchissant les cieux, il établit un pont entre Dieu et l’humanité.
En ce Vendredi Saint, nous nous tournons vers la croix du Christ et nous faisons silence. Nous ne demandons pas au Seigneur de comprendre ce trop grand mystère mais d’y communier. Pour nous chrétiens, c’est une démarche absolument essentielle. Au cours de cette célébration, une grande prière universelle nous sera proposée pour le monde entier. C’est en effet pour tous les hommes de tous les temps que Jésus a donné sa vie. Il n’y a pas d’être humain qui souffre dans le monde sans que le cœur du Christ ne vibre à sa souffrance.
En ce jour, notre pensée et notre prière vont vers tant d’hommes et de femmes qui portent une croix douloureuse. Pour beaucoup cette croix s’appelle solitude, longue maladie, précarité, guerre, trahison, abandon… Nous n’oublions pas les victimes de la haine et de la violence des hommes, en particulier ceux qui sont retenus loin de chez eux contre leur volonté. Nous pensons aussi aux chrétiens persécutés et aux victimes de la guerre dans de nombreux autres pays. Beaucoup sont persécutés à cause de leur foi. Ils sont les nouveaux martyrs d’une chaîne incessante.
Mais à travers ces petits, ces exclus, ces personnes qui souffrent, le Seigneur est là. Il se reconnaît dans celui qui a faim, celui qui est malade et seul, celui qui est persécuté. Il nous rejoint dans notre vie et notre mort pour que nous soyons avec lui dans sa résurrection. En ce Vendredi Saint, nous contemplons la gloire de Celui qui nous a aimés jusqu’au bout. Et avec toute l’Église, nous chantons et nous proclamons : « Victoire, tu règneras ; O Croix, tu nous sauveras ».