7e dimanche de Pâques C

(Jn 17, 20-26)

Homélie

Juin 2025

« Moi en eux, et toi en moi. » Frères et sœurs, à la fin du long discours de Jésus en saint Jean avant sa Passion, discours qui va des chapitres 13 à 17, le Christ proclame cette parole d’alliance, celle dont nous vivons encore aujourd’hui et dont nous vivrons éternellement : le Fils est en nous, indéfectiblement en nous, et il nous plonge totalement dans l’amour du Père, dans la vie de Dieu. Son amour pour nous, manifesté par son incarnation, démontré par sa passion, révélé par sa résurrection, va jusqu’à vivre en nous, jusqu’à être en nous. Ainsi, quelques jours après avoir fêté l’Ascension - le retour au Ciel du Fils dans notre chair - nous pouvons dire que nous sommes le lieu de Dieu – s’il est possible, bien sûr, de parler d’un lieu pour Dieu. Nous sommes le ciel de Dieu, pour reprendre les paroles du moine cistercien du XIIe siècle originaire de Liège, Guillaume de Saint-Thierry : « Lorsque vous habitez en nous, dit-il à Dieu, nous sommes votre ciel […] ; que nous habitions en vous ou que vous habitiez en nous, c’est pour nous le ciel. » Nous sommes le lieu de l’amour du Père pour le Fils, et du Fils pour le Père, ou plutôt nous sommes assumés, élevés, recueillis en ce lieu. Et si nous savons que Dieu nous aime parce qu’il nous a donné la vie en nous créant ; qu’il nous aime également parce qu’il nous a donné son Fils et que son Fils a livré sa vie pour nous ; mieux encore, nous pourrions dire que nous savons que Dieu nous aime parce qu’il vit en nous, parce qu’il vit son amour en nous, parce qu’il nous donne sa propre force de vie, son propre amour en vivant en nous. Ainsi, la foi chrétienne, la religion de l’incarnation, est finalement révélation de la présence du Dieu-Amour en nous.

Et ce qui nous est ainsi donné, révélé, à nous les chrétiens, ne l’est évidemment pas que pour nous-mêmes, mais pour toute l’humanité. Notre mission, notre témoignage, notre vie, consistent à être signe visible de cette présence et à accompagner nos contemporains, à cheminer avec notre monde désorienté et ensanglanté, pour faire découvrir à tout homme, à toute femme, que lui aussi, elle aussi, est habité par cet amour. Et cet amour, c’est l’amour même dont le Père aime le Fils , comme le dit Jésus dans cet évangile : « que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux ». Tout homme, toute femme, est aimé comme le Fils.

Cette présence de Dieu au cœur de chacun et au cœur du monde, nous convoque donc à ne pas désespérer du monde, ni des autres et a fortiori de nous-même. La foi et la charité nous conduisent ici à l’espérance pour toute notre humanité, même la plus abîmée. Mais cette présence de Dieu au cœur de chacun nous engage aussi, par conséquent, à la conversion. Car consentir à cet amour de Dieu pour tous n’est finalement pas si simple, puisque Dieu veut faire de chacun mon frère, ma sœur, et ce n’est pas toujours ainsi que je les perçois. En nous tournant vers lui, en accueillant sa présence en nous, Dieu nous appelle à dépasser les limites que nous posons trop vite et à recevoir le don de l’unité, le don de la communion qui est la vie-même du Dieu trois fois saint. L’amour sans limite de Dieu nous convoque à un amour sans limite ; la surabondance de Dieu, dont nous nous réjouissons et dont nous nous émerveillons, veut initier en nous la surabondance, la gratuité du don.

Et nous le disions, les paroles de cet évangile d’aujourd’hui concluent le long discours de Jésus en saint Jean, discours qui a commencé, comme nous l’avons célébré le Jeudi Saint, par le récit du lavement des pieds. Un lavement des pieds qui est eucharistique, qui est don, offrande et sacrifice, action de grâce et salut. Jésus invitait alors ses disciples à se laver les pieds les uns les autres, et aujourd’hui, nous qui savons qu’il est là en nous, nous sommes envoyés vers tous et toutes pour vivre le même don, la même offrande de nos vies, la même eucharistie.

Alors peut-être pouvons-nous revenir sur la première lecture, celle des Actes des Apôtres, car c’est bien ce que vit Etienne. Dans le récit de sa mort, il imite son Maître en donnant sa vie, en s’abandonnant à son Seigneur dans la confiance et en demandant le pardon pour ses bourreaux, parce qu’il les sait aimés et parce que, lui aussi, il les aime en Dieu, ce Dieu qui est en eux. Et Luc nous dit qu’un jeune homme était là, assistant à la lapidation, étant complice à sa façon. Nous savons que, quelques temps après, sur le chemin de Damas, ce jeune homme fera la rencontre foudroyante du Christ ressuscité. Eh bien ce matin, nous pouvons croire que cette rencontre n’était pas si foudroyante. Elle avait commencé bien avant, notamment dans le regard et la voix d’Etienne, dans sa mort et son don. Oui, Etienne ne désespérait pas des hommes, il ne désespérait pas de Saul, le futur saint Paul, parce qu’il ne désespérait pas de Dieu. C’est bien un avenir de joie, de paix, d’unité qui s’ouvre devant nous. Puissions-nous, en accueillant l’Esprit-Saint, en être les artisans et les témoins.