FUNÉRAILLES DE MON FRÈRE RAYNALD
08.12.2023/ PAROISSE SAINTE CATHERINE D’ALEXANDRIE
Homélie
Chers Gaétane, Stéphanie, Josiane, Karl et Alexandre – je ne sais pas le nom des petits bouts de choux – frères et sœurs, amis et connaissances ? M. l’abbé Luiness, curé de cette paroisse, et moi-même nous vous offrons nos plus sincères sympathies et notre amitié en ces temps d’épreuve.
Le départ d’un proche nous laisse sans répit ni repos. Désemparés. Sans consolation possible. La mort nous laisse sans mots. Ceux-ci nous semblent dérisoires et vains. Et, en même temps, tellement nécessaires. Sans eux, la mort devient tout à fait inhumaine. Quand ils manquent, il nous est bon d’emprunter ceux des autres : il arrive qu’ils sonnent juste et parlent pour nous. Mots sensibles des amis, mots intimes des proches, mots étonnants d’un inconnu. Mots qui nous arrivent comme une tendresse bienvenue.
Ces mots de réconfort sont des compagnons de silence et de solitude. Des compagnons de voyage aussi, invitant à lever les yeux vers le paysage qui défile à la fenêtre de notre vie, ou vers le ciel resté ouvert. Ils ne sont pas à garder pour soi mais à offrir à qui affronte la maladie ou le départ d’un proche, à lire à haute voix dans l’intimité d’une rencontre ou lors de funérailles. De nombreuses paroles ou gestes de sympathie sont ainsi offerts gratuitement car on ne peut faire plus. Mais ils marquent une profonde communion.
Ces paroles de sympathie et de bon courage vont de l’étonnement d’être encore là à l’interrogation sur le mystère de la vie, ou de l’effroi devant un mystère si grand et si obscur. Il faut les écouter tout comme certaines paroles du Christ. Car ces paroles qui puisent aux sagesses ou aux spiritualités ouvrent à la consolation, à la réflexion, parfois à la prière, voire à la guérison. Ils marquent les temps d’une vie humaine confrontée à la mort. Ils marquent les rythmes d’une traversée de la naissance à une autre vie, à une vie sainte et désormais heureuse, sans problème.
On a peut-être tort de penser que la sainteté est ce qui intervient à la fin de la vie, comme le résultat de nos mérites. Non ! La sainteté est plutôt une affaire d’ici et de maintenant ! Bien sûr, il y a toutes les personnes que l’Église honore et déclare saintes du fait de leur vie exemplaire, de leur courage pour servir le Christ et pour vivre les Béatitudes. Mais les noms de ceux qui remplissent nos calendriers ne sont pas les seuls. Plus large et plus longue est la liste des saints du calendrier de Dieu ! Il y a, par exemple, ceux que le pape François désigne du nom de « saints de la porte d’à côté » : ceux qui vivent proches de nous et sont un reflet de la présence de Dieu, des hommes et des femmes qui travaillent pour apporter le pain à la maison, qui veillent sur leurs enfants, prennent soin des malades. Qui ont toujours les mains tendues ou les bras ouverts.
Les saints ne sont pas des surhommes, il nous arrive d’en rencontrer. Ils se reconnaissent à quelques signes : ils sont capables d’écouter sans juger ; ils éveillent en nous ce que nous avons de meilleur ; près d’eux nous sommes quelqu’un qui compte ; ils aiment leurs frères d’une manière discrète et efficace ; ce qu’ils disent passe par le cœur. Leur vie nous montre à quel point les manières de révéler le Christ diffèrent d’une personne à l’autre. Selon sa personnalité et son tempérament, chaque saint, chaque sainte, met en pratique l’une ou l’autre des béatitudes.
La sainteté des hommes prend racine dans celle de Dieu. Nous sommes donc tous appelés à la sainteté. Les saints d’aujourd’hui, ce sont les justes, chrétiens ou pas, qui font chaque jour leur devoir, des personnes qui se soucient du bien commun, et qui, souvent à leur insu, servent Dieu, l’aiment, l’ignorent ou le rejettent. Dans les saints que nous fêtons, Dieu nous procure un modèle. En réponse à l’appel des Béatitudes, ils ont travaillé à semer autour d’eux l’amour, la droiture, la paix et la justice. Je crois que Ti-Nours est de ceux-là. S’il y a une béatitude qui le décrit, je crois que c’est celle qui dit : « Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu.
Le cœur humain est comme un vase vide en forme de Dieu et ce vacuum ne peut être comblé que si Dieu lui-même vient y prendre sa place comme source du bonheur véritable. En Jésus, Dieu inaugure son règne d’amour, de justice et de paix. Il nous appelle à aller au-delà de nous-mêmes et à nous ouvrir au bonheur qu’il nous réserve.
La vie est le lieu premier de notre bonheur et de notre conversion, qui précède notre baptême dans l’Esprit, celui qui est conversion totale de l’être humain à Dieu. Ce baptême de l’Esprit, c’est celui qui accomplit la promesse du projet de Dieu pour chacun et chacune de nous. C’est celui que Jésus résume dans son discours sur la montagne, celui des Béatitudes. Heureux sommes-nous, quelles que soient nos déficiences, car l’Esprit de Dieu habite en nous. De nos jours, il y a de plus en plus de baptêmes d’adultes. Cela signifie qu’il se passe quelque chose au cœur des humains que nous sommes.
Dès que nous accueillons l’Esprit, dès que nous acceptons de nous laisser guider et secourir par lui, nous nous levons alors pour accomplir les promesses des béatitudes. Qu’importent alors les insultes qui nous sont proférées et le mal qui nous est fait, car le secours nous vient du Seigneur qui a fait le ciel et la terre.
Quelles que soient nos différences, nous cherchons tous le bonheur. Mais il nous en coûte d’avoir à faire des efforts pour le trouver. Aujourd’hui, non seulement Jésus nous rappelle que nous sommes faits pour être heureux, mais il nous trace le chemin pour y parvenir, celui des béatitudes.
Parmi toutes les béatitudes, il en est une qui n’a pas bonne presse : « Heureux les doux… ». La douceur est plutôt mal vue dans le contexte actuel, car on l’associe spontanément au comportement du mouton. Être doux comme un mouton équivaut à être entièrement passif. Mais lorsque Jésus proclame heureux les doux, fait-il l’éloge de la passivité et du laisser-faire ?
Les doux sont comparables à des démineurs, ces experts qui, sans perdre leur sang-froid, risquent leur vie pour désamorcer ces engins meurtriers que sont les mines anti personnelles. Les doux de la béatitude sont de cette trempe. Ils font tout pour que n’éclatent pas les mines de la méchanceté humaine. Je crois que Ti-Nours était de cette trempe.
Passeport pour le bonheur. Le bonheur, voilà la clé de l’Évangile ! Un bonheur surprenant, un bonheur sans pareil, un bonheur révolutionnaire. Mais Dieu est comme ça. Jésus l’affirme sans hésitation le secret du bonheur, c’est un cœur de pauvre, un cœur ouvert à l’amour, un cœur ouvert à recevoir de Dieu et à donner aux plus petits.
Frères et sœurs, le Seigneur veut notre bonheur. Mais beaucoup de gens ignorent Dieu ou vivent comme s’il n’existait pas. Pour l’accueillir il faut faire une brèche dans notre mur de protection. Ça peut nous faire peur au début. Mais rapidement son Esprit nous libère de nos peurs et nous réconforte. On peut alors partir en paix comme Ti-Nours et laisser en héritage une force que rien ne peut abattre.