B 26 MARC 09,38-43.45.47-48 (13)

Chimay : 29.09.2024

          Frères et sœurs, nous sommes invités ce dimanche à accueillir le don de Dieu partout où il se manifeste. Le don de Dieu nous provoque à l’ouverture, à l’inattendu et également à la tolérance ; par exemple lorsque Josué, l’auxiliaire de Moïse, et saint Jean, l’un des Douze, font preuve d’intransigeance : « Maître, nous avons vu quelqu’un expulser les démons en ton nom ; nous l’en avons empêché, car il n’est pas de ceux qui nous suivent » (Mc 9,38) Jésus réplique : « Ne l’en empêchez pas… Celui qui n’est pas contre nous est pour nous » (Mc 9,39-40).

         On imagine la scène extrêmement vivante d’un homme guérissant un malade et l’apôtre Jean s’interposant : « Mais, tu ne suis pas Jésus, tu n’as pas le droit de faire cela ». Jean est perplexe : il aimerait que les choses soient claires : on suit Jésus et on fait éventuellement des miracles ou on ne suit pas Jésus et on ne fait pas de miracles. Jean voudrait que les choses soient noires ou blanches. Mais la vie avec Jésus est un chemin, une progression, et les points de départ ainsi que les étapes intermédiaires sont aussi variés que les individus ! Et le nom de Jésus, point de départ du chemin pour cet homme, l’entraîne à être pour Jésus. Imaginez qu’on dise à saint Paul : « Tu as combattu l’Église, tu ne peux pas devenir disciple ». Saint Paul ne pourrait plus être assimilé au groupe des apôtres, mais à la horde des persécuteurs. C’en serait révolu des Épitres de saint Paul !

Dans le livre des Nombres (11,25-29), nous remarquons Moïse qui vient de désigner 72 anciens pour les associer à la direction de son peuple. Moïse et les anciens du peuple sont réunis dans la tente où Dieu se rend présent pour donner son Esprit. Dieu a promis à Moïse de répandre son Esprit sur eux. Or voici que ce même Esprit se repose également sur deux autres hommes, Eldad et Médad, qui se mettent à prophétiser dans le camp sans avoir été mandatés. Josué les dénonce à Moïse. Ce dernier lui fait comprendre qu’on ne peut empêcher l’Esprit de souffler où il veut. « Serais-tu jaloux pour moi ? Ah ! Si le Seigneur pouvait faire de tout son peuple un peuple de prophètes ! Si le Seigneur pouvait mettre son esprit sur eux ! » (Nb 11,29). Personne n’a le monopole de l’Esprit Saint. L’Esprit de Dieu est libre, il souffle où il veut.

Dans l’Évangile, c’est un peu la même question qui est posée à Jésus. Nous nous rappelons que les disciples viennent de se disputer les premiers postes (Mc 9,30-37). C’était l’évangile de dimanche dernier. Les apôtres pensent qu’ils sont les seuls titulaires du pouvoir. Ils sont donc contrariés de voir un homme qui chasse les démons sans faire partie de leur groupe. Aux Douze prétendant limiter la pratique des actes de miséricorde aux seuls disciples reconnus, Jésus rappelle qu’ils ne sont pas propriétaires de la mission qui leur est confiée.

Ce qui est dénoncé, ce n’est pas le désir de vivre de l’esprit de Moïse ou de celui de Jésus. Ce qui est condamnable, c’est la prétention de se le réserver. L’Église pourrait alors devenir sectaire et repliée sur elle-même. L’institution n’a pas le monopole de l’inspiration. Le don de Dieu n’a pas de frontières. La tolérance, c’est le refus des monopoles. L’Esprit Saint ne travaille pas que dans l’Église. Il travaille aussi dans l’humanité toute entière. Ces hommes et femmes de bonne volonté, nous les rencontrons dans toutes les religions : Mahatma Ghandi, Albert Einstein, Nelson Mandela, Marie Curie, Simone Veil, Billy Graham, et d’autres. Ni un groupe fermé et intolérant, ni un groupe de purs qui méprisent les humbles croyants, ni un groupe de tièdes qui pactisent avec le mal : reconnaissez-vous là notre communauté chrétienne ?

On ne peut que se réjouir de tout ce qui se fait et se vit en bienveillance, en bonté, en fraternité et solidarité, en amour du prochain en dehors de la communauté de l’Église. Chaque fois que quelqu’un fait le bien, il se rapproche de Jésus et Jésus de lui. Quand saint Marc écrit son évangile, il pense à ceux qui ne sont pas de « notre Église » ; parmi eux, se trouvent des sympathisants qui sont prêts à franchir le seuil. On ne doit pas les refouler. Bien au contraire, nous sommes envoyés pour travailler au salut de tous les hommes. Dieu les aime tous et il ne veut pas « qu’un seul se perde » (Mt 18,14).

C’est pour cette raison que Jésus a des propos très durs contre tout ce qui entraîne au péché. Après nous avoir parlé de tolérance envers les autres, il nous parle de rigueur envers nous-mêmes. Le risque est grand de devenir une cause de scandale pour les plus fragiles de nos frères. Mieux vaut perdre un pied, une main, un œil, que de se laisser aller au mal. Mieux vaut être sauvé avec une seule main, un seul pied, un seul œil, que de périr pour l’éternité avec les deux. Si Jésus tient des propos si durs, c’est qu’il veut nous secouer. Il veut nous faire mesurer la gravité du péché dont nous nous accommodons si facilement.

La main qui entraîne au péché, c’est celle qui cherche à accumuler les richesses au détriment des plus pauvres. Elle n’hésite pas à frapper pour en avoir encore plus. C’est cette soif de richesses qui peut entraîner la chute d’un petit. C’est extrêmement grave, surtout quand ça vient d’un chrétien. « Ça se dit chrétien, et ça me met un couteau à la gorge ».

Le pied, c’est l’indépendance et l’autonomie. Il permet d’aller et venir. Aujourd’hui, nous comprenons que Jésus nous appelle tous à marcher à sa suite. Il est « le chemin la vérité et la vie » (Jn 14,6). C’est par lui que nous allons au Père. On peut pécher quand on court vers le mal et qu’on y entraîne les autres. Pécher avec le pied, c’est se détourner de Dieu et s’engager sur des chemins de perdition.

Le péché de l’œil, c’est de voir bon ce que Dieu déclare mauvais. Les yeux peuvent nous entraîner dans l’illusion et nous détourner de Dieu et des autres. Nous pensons au riche qui n’avait pas vu le pauvre Lazare au pied de sa porte (Lc 16,19-31). Son péché a été de ne voir que lui-même et ses intérêts personnels immédiats. Il n’était pourtant pas aveugle.

C’est exactement ce que dénonce la lettre de saint Jacques (5,1-6). Il nous avertit que l’exigence de justice dans la société est inscrite au cœur de l’Évangile. Plus qu’une fausse sécurité, l’accaparement des richesses est un danger. Il s’attaque à ceux qui accumulent pour eux richesses et argent. Il s’en prend à ceux qui exploitent les travailleurs qui sont sous leurs ordres. Ces richesses qu’ils empilent « sont pourries ». Elles ne font que fausser les relations de fraternité et de justice. Si Dieu nous donne plus de biens, c’est pour faire plus d’heureux. Ce qui fait la valeur d’une vie, c’est l’amour ; pas l’accumulation de biens et de richesses.

Dans l’Évangile, Jésus nous demande de couper et de trancher. Heureusement il ne s’agit pas de mutilation ; nous formerions alors une assemblée d’estropiés. Ce qui nous est demandé, c’est de rompre d’une manière catégorique avec ces habitudes qui nous entraînent au mal et au péché. Le Seigneur attend de nous un véritable retournement : que notre main soit tendue vers Dieu et vers les autres, que nos pieds marchent à la suite de Jésus, que nos yeux voient les autres avec le regard même de Dieu, un regard plein amour et de tendresse.

En ce jour, faisons nôtres les paroles de ce chant de Jean-Paul Lécot : « Changez vos cœurs, croyez à la bonne nouvelle. Changez de vie, croyez que Dieu vous aime ! » (Jean-Paul Lécot, G 162).