B 20 JEAN 06, 51-58 (10)
Chimay : 18.08.2024
Frères et sœurs, en ouvrant l’Évangile de saint Marc, je suis tombé sur cette question de Jésus à ses disciples : « D’après ce que disent les hommes, qui est le Fils de l’Homme ? » (Mc 8,27). Les réponses des uns et des autres, c’est un peu n’importe quoi. Pour les uns, il est Moïse, pour d’autres Élie ou encore un prophète de l’Ancien Testament. La réponse à cette question, nous l’entendons depuis plusieurs semaines : « S’adressant à la foule, Jésus dit : « Moi je suis le Pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement » (Jn 6,51).
Ce n’est pas pour rien que le livre des Proverbes (Pr 9,1-6) nous adresse un appel pressant : « Venez manger de mon pain ; buvez le vin que j’ai préparé. Quittez l’étourderie et vous vivrez, prenez le chemin de l’intelligence » (Pr 9,5-6). En écoutant ces paroles, nous comprenons que c’est Dieu qui parle à son peuple. Il envoie des prophètes pour transmettre son appel. Il s’adresse à tous les étourdis qui ne comprennent pas l’enjeu de cette invitation solennelle. Car la sagesse de Dieu s’offre à nourrir le cœur et l’intelligence des hommes. Pour qui l’accepte, c’est un véritable festin qu’elle prépare.
Avec Jésus, cette promesse s’est réalisée bien au-delà de toute espérance. Sa déclaration est des plus solennelles : « Oui, vraiment je vous le dis, celui qui mange ma chair et boit mon sang a la Vie éternelle, et moi, je le ressusciterai au dernier jour » (Jn 6,54). Nous désirons tous avoir la vie éternelle. Nous avons donc besoin de ce Pain vivant de Jésus lui-même. C’est lui qui a donné la force aux martyrs de tous les temps de rester fermes dans la foi. Nous en avons de nombreux témoignages dans l’histoire de l’Église à commencer par les apôtres, les premiers chrétiens, les victimes des persécutions au long des âges, les moines de Tibhirine, et ces dernières années, plusieurs missionnaires en Afrique et en Amérique du Sud, de même que des chrétiens en pays musulmans ou, plus près de nous, en Syrie, au Liban et dans la bande de Gaza.
En écoutant la suite de l’Évangile de ce jour, nous avons entendu les récriminations des juifs. Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on refuse Jésus et son Pain vivant. L’abandon de la célébration de l’Eucharistie que nous constatons actuellement dans bien des pays a commencé dès le premier jour où Jésus livrait sa catéchèse sur le Pain de vie. Pour tous ces gens, il n’était pas possible d’accepter les prétentions de cet homme que tout le monde connaissait bien et qu’on était loin de prendre pour un Dieu.
« Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » (Jn 6,52) est la question des Juifs se querellant entre eux, précise l’évangile de Jean. La question taraude également tous les catéchumènes. Ne disons pas trop vite : « Ils n’ont rien compris. Ils n’ont pas saisi que c’est de manducation spirituelle dont parle Jésus ! » Ne faisons pas les doctes habitués à l’inouï de la foi. Ce mystère est grand ! Dieu se donne en nourriture. Son Fils est livré par amour pour tous les hommes. Chair et Sang sont bien dans le propos de Jésus. Dans la mentalité sémitique, l’expression désigne l’homme tout entier. Le sang est vie ! Un père spirituel paraphrase saint Jean avec profondeur en écrivant : « Si vous ne buvez pas sa vie, vous n’aurez pas sa vie en vous ». Quand les auteurs du quatrième Évangile rédigent leur texte, les assemblées de chrétiens célèbrent déjà l’Eucharistie depuis plusieurs décennies. Le texte a été rédigé vers les années nonantes. Il en faut du temps pour percevoir la portée théologique de ce que fit Jésus le soir de la Cène ! Il en faut du temps pour discerner dans l’Eucharistie, l’humilité de Dieu. Le Saint Curé d’Ars disait : « Si l’on comprenait la messe, sur place, on mourrait ! » On ne peut mieux dire. On ne peut mieux saisir l’amour qui meurt pour notre vie qu’en mourant à l’idée qu’on se faisait de lui ! Qui croit en Lui vivra éternellement.
Jésus insiste : « Si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez pas son sang, vous n’aurez pas la vie en vous » (Jn 6,53). Il ne donne pas d’explication. Il nous invite à un acte de foi. C’est ce même acte de foi que nous sommes appelés à faire à chaque messe. Nous reconnaissons en Jésus le Pain vivant donné pour la vie du monde. Aujourd’hui comme autrefois, c’est difficile à comprendre. Beaucoup refusent de l’accepter ; d’autres sont trop habitués. Il nous faut retrouver toute la force et la nouveauté du message qu’il nous adresse : Jésus nous donne les paroles et la nourriture de la Vie éternelle (Jn 6,68). Nous entrons dans une communion d’amour avec Dieu qui nous fait entrer dans une communion d’amour avec tous les hommes.
Bien sûr, à chaque messe, nous n’avons pas toujours conscience de la grandeur de ce mystère de la foi. Mais nous ne devons pas oublier que la messe, c’est le moment le plus important de la journée. C’est Jésus qui est là ; il rejoint les communautés rassemblées en son nom. Il veut se donner « pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance » (Jn 10,10). Le prêtre dit avant la communion : « Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui enlève les péchés du monde ». Ces paroles ne sont pas seulement pour l’assemblée présente dans l’église mais pour le monde entier. Le Christ veut se donner à tous. Il est le Pain vivant offert pour la vie du monde (Jn 6,51).
Dans sa lettre aux Éphésiens (5,15-20), l’apôtre Paul vient nous aider à accueillir ce don de Dieu. « Ne vivez pas comme des fous, mais comme des sages » (Ep 5,15). Saint Paul ne ménage pas ses mots. Le fou, c’est celui qui se laisse influencer par les idées à la mode. Il mène une vie trépidante et il oublie le plus important. La seule vérité c’est celle que nous trouvons dans les Évangiles : « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie, nous dit Jésus, personne ne va au Père sans passer par moi » (Jn 14,6). Saint Paul nous en parle à sa manière : « Accueillir la volonté de Dieu et la Lumière de l’Esprit Saint aux jours mauvais, prier en chantant des hymnes et des psaumes, célébrer Dieu et lui rendre grâce, se retrouver en frères… » C’est ainsi qu’il nous montre comment vivre en sages.
Nous allons proclamer ensemble notre foi. Mais n’oublions pas que c’est toute l’Eucharistie qui est profession de foi. En disant le « Je crois en Dieu », nous disons que nous faisons confiance aux paroles du Christ et que nous voulons le suivre jusqu’au bout. En ce jour, nous faisons nôtre cette prière du psaume 33 : « Je bénirai le Seigneur en tout temps, sa louange sans cesse à mes lèvres. Je me glorifierai dans le Seigneur : que les pauvres m’entendent et soient en fête » (Ps 33,2-3). Par notre prière et notre charité, que nous sachions rejoindre tous les hommes, pour qu’ils aient la vie.