B 25 MARC 09, 30-37 (13)

Chimay : 19.09.2021

Frères et sœurs, chacun des trois textes qui nous sont proposés en ce dimanche nous montre deux logiques qui s’opposent : l’une est animée par le désir de justice et de paix, par l’ouverture à l’autre et à Dieu ; l’autre cherche le pouvoir, la domination, le plaisir, la satisfaction immédiate. Chacun de ces textes ouvre des pistes pour nous interroger sur ce qui nous guide dans nos choix quotidiens.

 

La première lecture est un extrait du livre de la Sagesse (12,2.17-20). Elle nous renvoie au premier siècle avant Jésus Christ. Beaucoup de juifs sont partis à l’étranger. Dans le cas présent, il s’agit de ceux qui vivent à Alexandrie, devenue un centre rayonnant de la pensée grecque. Eblouis par le prestige de cette civilisation, beaucoup de Juifs avaient abandonné leur foi et les pratiques de leur religion, au profit de la philosophie hellénistique. Ils ne supportent plus la fidélité des croyants car elle est devenue un reproche pour eux. La rupture de l’impie avec Dieu est consommée : sa haine du juste est telle que non seulement il veut lui infliger une mort infâme mais encore mettre Dieu à l’épreuve ! Devant le crucifié, Matthieu se souviendra de ce texte : « Qu’il descende maintenant de la croix, et nous croirons en lui ! Il a mis sa confiance en Dieu. Que Dieu le délivre maintenant, s’il l’aime ! (Mt 27, 42-43). Bref les hommes droits et justes, les croyants sincères détonnent dans notre monde dont ils sont souvent la conscience vivante.

Les difficultés et les épreuves de ces croyants sont aussi les nôtres. Nous vivons dans un monde où beaucoup sont devenus indifférents ou hostiles à la foi. Les scandales qui ont été mis en évidence ces dernières années ne font qu’alourdir cette souffrance. Mais nous avons la ferme espérance que le mal et la haine n’auront pas le dernier mot. Toutes ces épreuves qui frappent l’Église sont un appel à nous attacher fermement au Seigneur. Nous pouvons toujours compter sur lui. « Rien ne peut nous séparer de son amour » (Rm 8,35).

Dans la seconde lecture (Jc 3,16-4,3), saint Jacques dénonce « la jalousie et les rivalités (qui) mènent au désordre et à toutes sortes d’actions malfaisantes » (Jc 3,16). L’apôtre nous recommande de nous attacher à « la sagesse qui vient d’en haut » (Jc 3,17). Cette sagesse « est d’abord pure, puis pacifique, bienveillante, conciliante, pleine de miséricorde et féconde en bons fruits, sans parti pris, sans hypocrisie » (Jc 3,17-18). Se laisser guider par l’ambition terrestre conduit au contraire au désordre et au mal. La soif de s’enrichir justifie l’emploi de tous les moyens, y compris la violence et le meurtre. C’est la convoitise qui est à l’origine des guerres, des violences et du mal. La vraie Lumière, nous ne pouvons la trouver que dans la Sagesse qui vient de Dieu ; elle est « droiture, paix, tolérance, compréhension, féconde en bienfaits » (Jc 3,17). Elle transforme notre cœur et fera de nous des artisans de paix. Bref, c’est dans la paix qu’est semée la justice.

L’Évangile de saint Marc dénonce une tentation qui divise l’Église ; selon l’expression du pape François, c’est « l’envie mondaine d’avoir le pouvoir », l’envie et le désir « d’aller plus haut ». Tout cela arrive au moment où Jésus parle « de service et d’humilité ». Jésus annonce pour la deuxième fois sa Passion, et ses disciples ont peur de l’interroger, peur d’en savoir plus, peur de comprendre qu’ils auront eux aussi à suivre un chemin de don, un chemin d’abandon. Alors ils s’égarent dans une discussion puérile, qui offre à Jésus l’occasion de les sortir de cet enfermement dans lequel ils s’enlisent. Il annonce à ses disciples que « le Fils de l’homme est livré aux mains des hommes ; ils le tueront et, trois jours après sa mort, il ressuscitera » (Mc 9,31).

Comment accueillons-nous cette annonce pascale de la mort et de la résurrection ? Comme une musique de fond apaisante ou comme une folie bienheureuse, « cachée aux sages mais révélée aux tout-petits » (Mt 11,25).

Jésus, comme le faisaient souvent les prophètes, illustre par un geste son enseignement. Il prend un enfant et l’embrasse. Puis il s’explique : celui qui manifeste son intérêt pour les petits de la communauté, ceux-là que leur absence de grandeur et de prestige déconsidère aux yeux du monde, c’est moi qu’il accueille, et, à travers moi, le Père lui-même.

En lisant cet Évangile, nous voyons bien que les apôtres n’ont rien compris ; Jésus vient de leur parler un langage d’humiliation, de mort et de rédemption. Eux, ils parlent « un langage d’arrivistes ». Leur seule préoccupation c’est d’aller le plus haut possible dans le pouvoir. Ils sont tentés par la façon de penser du monde. « Ils se taisaient, car, en chemin, ils avaient discuté entre eux pour savoir qui était le plus grand » (Mc 9,34). On se croirait dans une cour d’école maternelle, et pourtant nous avons tous dans notre cœur ce désir secret de nous comparer aux autres et si possible de les dépasser. Pour Jésus, c’est l’occasion de faire une mise au point très ferme : « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous » (Mc 9,35).

Cet enseignement de Jésus vaut aussi pour nous. Sur la route que Jésus nous montre pour aller de l’avant, le service est la règle : le plus grand est celui qui sert, celui qui est le plus au service des autres. Ce n’est surtout pas celui qui se vante, ni celui qui cherche l’argent et le pouvoir. La vraie grandeur c’est l’accueil et le service des petits. Ce service est élevé au rang de service de Dieu.

À travers ces trois lectures, comme à chaque dimanche, c’est Dieu qui nous parle ; le juste qui souffre nous renvoie aux chrétiens persécutés qui sont obligés de fuir leur pays. Nous pouvons aussi nous reconnaître à travers l’intriguant dont nous parle saint Jacques. Le Seigneur veut nous libérer de cette recherche de nous-mêmes. Et dans l’Évangile, il nous rappelle que les vrais grands ne sont pas ceux qui recherchent les premières places et les honneurs mais ceux et celles dont le cœur est ouvert aux autres.

En ce dimanche de l’humilité, pourrait-on dire, Dieu nous donne à entendre des paroles dérangeantes. Le livre de la Sagesse et la lettre de Jacques mettent le doigt sur ce que nous faisons tous : notre premier réflexe est de chercher à éliminer ou au moins à écarter celui qui nous met en cause. Et notre violence, fut-elle rentrée en nous-même, est encore plus intense si notre adversaire est irréprochable. Jésus annonce qu’il sera lui-même la victime de cette barbarie, et, débusquant la racine du mal chez ses disciples, il leur indique une voie de libération : ne revendiquer aucune supériorité mais se faire comme les tout-petits qui attendent tout de Dieu et se mettent au service de leurs frères. Cette voie-là, celle de l’humilité et de la confiance, trouve sa source dans l’amour de Dieu pour chacun de nous, un amour absolu, dérangeant, inimaginable, qui nous porte et nous transporte au-delà de nos limites bien humaines.

Nous sommes donc appelés à être une Église « au service » des autres, en particulier des plus fragiles. Nous nous rappelons ce que Jésus a dit un jour : « Ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25,40). Pour cette mission, nous ne sommes pas seuls. À chaque messe, le Seigneur est là pour nous nourrir de sa Parole et de son Corps. Son Pain Eucharistique nous est distribué pour nous donner la force d’aimer comme lui et avec lui. Cette rencontre avec lui c’est vraiment le moment le plus important de la journée. Le moment où il veut nous entraîner à sa suite jusqu’au bout de l’amour. Comme « le Christ est présent avec nous tous les jours, jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20), prions-le qu’il nous donne force, courage et patience pour rester en « tenue de service » (Lc 12,35).