B 31 MARC 12, 28b-34 (8)

Chimay : 31.10.2021

Frères et sœurs, les lectures de ce dimanche nous ramènent à ce qui est essentiel : l’amour de Dieu et l’amour du prochain. L’un ne va pas sans l’autre. Ces deux commandements se trouvent déjà dans la loi de Moïse. Mais ils sont formulés séparément (Dt 6,4-5 & Lv 19,18). Plus tard, les prophètes proclameront qu’on ne peut rendre un culte à Dieu sans le respect du prochain (Am 5,21-24).

 

La lecture du Deutéronome (Dt 6,2-6) insiste très fortement sur ce commandement : « Tu aimeras ». Toute l’histoire du peuple de Dieu devra être une histoire d’amour ou d’alliance. Il s’agit d’aimer le Seigneur de tout son cœur, de toute son âme et de toute sa force. Ce commandement de Dieu est en lui-même un chemin de vie et de bonheur, susceptible d’imprégner toute la vie des hommes. Ces paroles, « Tu aimeras », sont à l’origine de l’amour de Jésus pour Dieu et du nôtre ; elles doivent rester dans le cœur de chacun. Aimer le Seigneur, c’est conserver ses paroles dans son cœur et les mettre en pratique. Nous pouvons nous répéter chaque jour les paroles de l’Évangile que nous connaissons par cœur. C’est une manière de nous unir à Dieu et de mieux le servir que de répéter ses paroles. C’est une lectio divina, une lecture divine, une écoute priante des Écritures. « Ces paroles que je te donne aujourd’hui resteront dans ton cœur » (Dt 6,6).

La lettre aux Hébreux (7,23-28) ne nous parle pas directement de ce grand commandement de l’amour. Mais elle nous montre un Dieu qui fait sans cesse le premier pas vers nous en nous envoyant son Fils Jésus. Le passage d’aujourd’hui nous rappelle la supériorité du sacerdoce du Christ sur celui des grands prêtres. Pour intercéder continuellement auprès de Dieu, les hommes ont dû se succéder au cours des siècles. Mais le Christ mort et ressuscité intercède de façon permanente en notre faveur. Par le don de sa vie une fois pour toutes par amour de Dieu et des hommes, le salut est offert à tous. Nous avançons vers Dieu grâce au Christ, « par lui, avec lui et en lui ». Nous sommes entraînés avec lui vers le Père. Il est celui qui « nous a aimés comme on n’a jamais aimé » (Maurice Debaisieux). 

L’Évangile d’aujourd’hui revient sur ce grand commandement   lors de la rencontre entre Jésus et le scribe. Ce dernier connaît parfaitement les Écritures. Il se présente à Jésus un peu comme un examinateur qui vient vérifier les connaissances de son élève. Les autorités religieuses s’opposent souvent à Jésus. Mais ce dialogue entre un spécialiste de la Loi et Jésus, autour des commandements fondamentaux, est sans animosité. Chacun respecte l’autre et son opinion. Leçon de vie pour les dialogues entre nous. Leur accord porte sur l’essentiel : aimer Dieu et aimer les autres. Nous avons entendu la réponse de Jésus : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. Et voici le second : Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Mc 12,30-31). Ces deux commandements ne font qu’un. On est d’accord.

Nous sommes donc créés pour aimer. Dieu qui est amour, nous a créés pour que nous puissions, nous aussi, aimer et demeurer unis à lui. Dieu est un Père qui aime chacun de ses enfants. Son amour est pour tous sans exception. Nous ne trouverons la vraie joie qu’en aimant. Il ne s’agit pas d’abord de faire beaucoup de choses mais de vivre selon un esprit filial envers Dieu et fraternel envers les autres. En nous faisant le prochain des autres, nous nous approchons de Dieu qui est amour. C’est un seul et même amour qui nous attire vers Dieu et vers les autres. Mon prochain, c’est celui que je prends le temps d’écouter et de rencontrer. Si nous faisons du mal à quelqu’un, c’est contre Dieu que nous péchons. Plus un amour est grand, plus on voit ce qui l’offense.

« Je suis consumé d’un double amour », écrit Padre Pio. Ce propos dit bien l’exigence de l’amour qui ne se réduit pas aux seuls sentiments, lesquels s’avèrent souvent être comme « une brume du matin, une rosée d’aurore qui s’en va » (Os 6,4). En reprenant le livre du Deutéronome et en y adjoignant le Lévitique, le Christ se situe dans l’essentiel de la foi d’Israël. De quoi s’agit-il donc, si ce n’est de ne pas avoir le cœur partagé entre Dieu et les idoles faites de mains humaines ? de passer de la dispersion à l’unification quand toutes les forces vives sont orientées vers Dieu ? Les offrandes et les sacrifices peuvent piéger le croyant, le scribe l’a bien compris, car s’ils peuvent être le signe d’un don total à Dieu, ils peuvent aussi cacher un non-engagement ou un désengagement à son égard. Les offrandes et tous les sacrifices sans l’amour ne sont rien.

Mais « comment faut-il aimer Dieu » ? À cette question qui lui est posée, saint Basile (ive siècle) répond que « l’amour de Dieu ne s’enseigne pas », pas plus que nous « n’avons appris à jouir de la lumière ». Et de poursuivre qu’en nous « est déposée une espèce de germe qui contient l’aptitude à l’aimer ». Le commandement étant là, selon lui, pour nous inviter à « recueillir ce germe, à le cultiver diligemment, à le nourrir avec soin, et à le porter à son épanouissement, moyennant la grâce divine » (Grandes Règles monastiques).

Saint François de Sales (xvie-xviie siècles) exprime la même conviction, mais formulée autrement. Créés à l’image et à la ressemblance de Dieu qui est amour, nous avons cette capacité à aimer Dieu et ses créatures. Alors, sachons faire fond sur ce donné, même si nous savons aussi que, sans la grâce de Dieu, nous ne pouvons redresser cette tendance à l’incurvation qui nous replie sur nous-mêmes et nos intérêts. Mais Dieu n’est-il pas notre roc, notre forteresse, celui qui nous libère et nous recrée ? Chacun n’est-il pas porteur de l’image de Dieu ?

Malheureusement, quand nous regardons autour de nous et en nous, nous voyons bien que Dieu est souvent le grand oublié. On vit facilement sans lui et en dehors de lui. Nos capacités à aimer peuvent être blessées. C’est ce qui se passe quand nous nous détournons de Dieu. Nous vivons dans une société qui organise sa vie sans lui et en dehors de lui. C’est un affront aux chrétiens persécutés qui témoignent de leur foi jusqu’au martyre, et à Dieu lui-même qui nous maintient dans l’existence par amour.

Aimer son prochain n’est pas non plus facile, surtout quand il a beaucoup de défauts ; quand nous regardons les journaux et la télévision, nous voyons tous les jours des actes de violence. Sur nos routes, des hommes, des femmes et des enfants sont victimes de l’inconscience de certains. D’autres souffrent à cause des guerres, des conflits familiaux, de la faim, de l’exclusion. Le Christ est présent à travers celui qui n’en peut plus d’être harcelé. C’est tous les jours qu’il est jeté à la rue. Nous devons le reconnaître en celui qui meurt de faim, de froid et surtout de manque d’amour.

En ce jour, la Parole de Dieu nous interpelle. Elle nous invite à changer notre regard sur Dieu et le prochain. Le Christ veut nous entraîner tous à sa suite. Il veut nous apprendre à voir tous nos frères et sœurs avec le cœur même de Dieu. Célébrer l’Eucharistie c’est communier à l’amour du Christ pour le Père et pour chaque être humain. C’est se mettre en disposition d’aimer. Du haut de ses 14 ans, la petite Thérèse de Lisieux avait saisi l’enjeu : « Tu le sais, ô mon Dieu, pour t’aimer sur la terre, je n’ai rien qu’aujourd’hui ». En ce jour, nous te prions Seigneur : Envoie ton Esprit qui renouvelle la face de la terre et chacun de nos coeurs.