C 23 LUC 14, 25-33 (16)

Chimay : 04.09.2022

Frères et sœurs : « Quel homme peut découvrir les intentions de Dieu ? » (Sg 9,13). Cette question, nous l’avons entendue dans la lecture du livre de la Sagesse, et nous ne pourrions y répondre si le Père ne nous avait pas donné le Christ, la Sagesse en personne, et envoyé son Esprit Saint. Dieu nous dépasse infiniment ; mais il intervient dans notre vie et nous envoie sa Sagesse. Cette Sagesse, c’est son Esprit Saint. Il nous est donné pour nous conduire vers « la Vérité tout entière » (Jn 16,13).

C’est lui qui fera découvrir à Philémon qu’Onésime n’est plus seulement un esclave mais un enfant de Dieu (Phm 9b-10.12-17). Un esclave s’est enfui de chez son maître pour se réfugier auprès de Paul, qui l’a introduit à l’Évangile. Paul le renvoie à son maître avec une courte lettre qui révèle la délicatesse de son cœur et l’esprit nouveau qu’apporte le christianisme : « Cet homme est désormais pour toi un frère bien-aimé dans la foi ; fais-en réellement un frère en lui rendant sa liberté ! » Le cas de conscience auquel Philémon est confronté est un bel exemple de tension entre l’exigence nécessaire pour être disciple de Jésus et la réalité d’une situation concrète à gérer. Seule la sagesse de Dieu reçue avec humilité comme un don de l’Esprit permet de vivre la tension vers un idéal qui peut paraître inatteignable ; mais « rien n’est impossible à Dieu » (Lc 1,37), puisqu’il se donne en Jésus-Christ par l’Esprit Saint !

Et c’est toujours le même Esprit qui nous donne de nous attacher à Jésus comme lui-même s’est attaché au Père. C’est vrai, nous sommes tous appelés à nous attacher au Christ et à le suivre. Jésus insiste sur les conditions requises pour être ses disciples. Il nous recommande de ne rien préférer à l’amour pour lui (Lc 14,26). Il nous invite tous à porter notre croix. Jésus connaît nos accueils et nos refus, et nous offre une croix unique, non interchangeable, ajustée de manière subtile à nos épaules. Cette croix, c’est aussi la manière dont nous faisons fructifier les dons, que chacun de nous avons reçus. Ces recommandations, Jésus les adresse à des gens qui étaient émerveillés par les signes qu’il accomplissait. Mais aujourd’hui il cherche à les mettre face à la réalité : le chemin qu’il suit, c’est celui de la croix ; c’est celui qui l’amènera à donner sa vie pour ses amis. « Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher à ma suite ne peut pas être mon disciple » (Lc 14,27). Cette croix est aussi un chemin de libération et de paix. Elle devient donc légère.

Il ne s’agit pas de flirter avec le Christ de temps à autre, mais de l’aimer plus que tout, jusqu’à embrasser la croix à sa suite. Suivre Jésus, ce n’est pas seulement participer à un cortège triomphal ; c’est s’engager à partager son amour miséricordieux, c’est entrer dans sa grande œuvre de miséricorde, de pardon et d’amour pour tous les hommes. Cet amour universel, cette miséricorde, passe par la croix ou très certainement par un dépassement. Jésus ne veut pas accomplir cette œuvre tout seul. Il veut ainsi nous faire participer à la mission que le Père lui a confiée. Après sa résurrection, il dira à ses disciples : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie… Ceux à qui vous pardonnerez leurs péchés obtiendront le pardon » (Jn 20,21-23).

Si nous voulons être fidèles aux exigences de l’Évangile, il nous faut donc donner la première place au Christ dans notre vie ; il faut le placer au-dessus de nos biens matériels ou de nos intérêts personnels. Si nous voulons venir à lui, toute notre vie doit être organisée en fonction de lui. Nous devons le préférer à tout le reste. Le pape François disait : « Le chrétien se détache de tout et retrouve tout, dans la logique de l’Évangile, la logique de l’amour et du service ». Se désaliéner des biens inutiles qui nous encombrent et obscurcissent notre cœur est un premier pas vers la liberté. Aimer les autres en les laissant vivre est aussi une clef du véritable amour.

Pour mieux se faire comprendre, Jésus utilise deux paraboles, celle de la tour à construire et celle du roi qui part en guerre. Mais avant de se lancer, chacun doit faire ses comptes. Celui qui bâtit une tour calcule le prix de revient ; celui qui part en guerre évalue ses forces en hommes et en munitions ; celui qui veut marcher à la suite du Christ doit aussi faire ses comptes, mais ce ne sont pas les mêmes : il renonce à ses richesses pour mieux s’engager au service du Royaume de Dieu.

C’est une démarche importante, une guerre contre le mal, contre la haine, le mensonge et les violences de toutes sortes. Mais dans ce combat, nous ne sommes pas seuls ; le Christ ressuscité est là ; il veut nous associer à sa victoire sur la mort et le péché. Avec lui, ce n’est plus une tour que nous construisons, c’est notre vie. Il est le fondement solide sur lequel nous pouvons nous appuyer. Nous rencontrerons des épreuves mais nous gardons confiance ; rien ne peut nous séparer de son amour (Rm 8,38).

Ces trois lectures d’aujourd’hui nous révèlent une Sagesse de Dieu qui n’a rien à voir avec celle de notre monde. C’est en lui et avec lui que nous pourrons réussir notre vie et trouver le vrai bonheur. Jésus nous invite à nous asseoir pour calculer la dépense. Mais la bonne nouvelle c’est que Jésus ne nous présente pas de facture : il nous offre plutôt un chèque cadeau, la vie même de Dieu, la vie divine.

Dans l’évangile, de grandes foules suivaient Jésus. Rien d’étonnant à cela : il a fait de nombreux miracles, soulagé tant de souffrances, nourri des gens affamés. Jésus sait bien que certains sont là par curiosité ou par intérêt. Il ne s’en offusque pas. Il ne les repousse pas. Il s’arrête et leur propose de devenir disciple. C’est à chacun de ceux qui sont là qu’il s’adresse : « Es-tu prêt à me suivre en y engageant toute ton existence ? » Il leur dit les conditions : vivre en disciple n’est pas de tout repos. Il faut renoncer à tant de choses, à tant de liens, à tant de sécurités. L’ordre des priorités change. Le disciple doit même porter sa croix. Ces mots sont étranges. N’est-ce pas précisément en espérant être libérés de leurs fardeaux que les foules se sont mises à suivre Jésus ? Mais le disciple ne suit pas le Seigneur pour être libéré de ses propres vulnérabilités. Il accepte de vivre et d’avancer avec elles parce qu’il sait ne plus être seul à les porter. Sur le modèle de son maître, le disciple de Jésus est aussi celui qui accepte d’aider les autres à porter leurs propres fardeaux. Une telle vie est exigeante. Aussi avant de s’y engager, mieux vaut prendre le temps de s’asseoir. Pas tant pour compter ses forces, que pour vérifier la vérité du désir de suivre Jésus, toujours et partout, quoi qu’il en coûte. Un désir qui nous précède et que la grâce du Christ fait grandir au fil des jours à celui qui s’en remet à lui. Car s’asseoir pour évaluer si nous sommes capables de répondre aux exigences de Jésus pourrait conduire au découragement si, dans le même temps, nous ne mesurions pas aussi sa grâce.

Cette semaine, nous rappelons la nativité de la Vierge Marie. Nous remercions le Seigneur qui nous l’a donnée pour mère. Elle marche avec nous, elle est avec nous dans notre combat contre les forces du mal. « C’est par Marie que le salut du monde a commencé, et c’est par Marie qu’il doit être consommé » (Saint Louis Marie Grignon de Montfort). Comme aux noces de Cana, elle ne cesse de nous renvoyer au Christ : « Faites tout ce qu’il vous dira » (Jn 2,5). Les paroles du Christ sont parfois déroutantes mais ce sont « celles de la Vie éternelle » (Jn 6,68).