C CARÊME 01 LUC 04,01-13 (16)
Chimay : 09.03.2025
Frères et sœurs, depuis mercredi dernier nous sommes entrés dans le temps du Carême. Ces quarante jours nous sont donnés pour revenir aux sources de notre foi et de notre baptême. Tout au long de cette période, nous sommes invités à nous laisser conduire par l’Esprit, comme Jésus au désert (Lc 4,1) et durant toute sa vie. Comme lui, nous serons affrontés aux épreuves et à la tentation. Le récit des tentations de Jésus, très pédagogique, nous invite à bien nous situer face aux assauts de nos propres tentations : illusion de se croire tout-puissant, sans finitude et immortel. En fait, les tentations nous révèlent à nous-mêmes pour que nous soyons plus fidèles au Christ.
Jésus, après son baptême, empli de l’Esprit Saint, nous indique le chemin à suivre pour ne pas succomber au Tentateur. Tout le jeu entre Jésus et le Tentateur consiste à s’en remettre à la Parole de Dieu, à projeter la Parole qui va repousser le Tentateur dans ses retranchements et, au bout de trois fois, le vaincre. Justement, ce dernier ne s’y trompe pas : il cite lui aussi la Parole de Dieu, mais en la falsifiant à son profit, pour créer la confusion. Jésus, lui, la respecte et s’en remet totalement à Dieu. Il nous montre le chemin et nous donne la bonne stratégie dans le combat spirituel : ne pas compter seulement sur ses propres forces pour lutter contre la tentation, mais s’en mettre à la Parole de Dieu.
L’évangile de ce dimanche nous parle de trois localisations qui sont des sites bibliques majeurs dans le judaïsme. Ces lieux ne sont pas seulement géographiques. Ils ont une signification symbolique et spirituelle très forte. Ils nous rappellent, chacun à sa manière, comment Dieu s’est révélé à son peuple.
Tout d’abord, il y a le désert : c’est là que Dieu avait conduit Israël pour le libérer de l’esclavage d’Égypte. Mais le désert, c’est aussi le lieu des privations. À un certain moment, le peuple était prêt à renoncer à sa liberté et à préférer les marmites de nourriture, les concombres, les oignons (Nb 11,5), etc. Il en oubliait sa vocation de fils chéri de Dieu. Le désert a été aussi le lieu des murmures incessants contre Dieu et contre Moïse (Ex 15,24).
Au désert, Jésus a, lui aussi, été tenaillé par la faim. Mais il a refusé de céder à la tentation de posséder et de consommer. Il est le Fils Bien-aimé du Père. Il veut lui être fidèle jusqu’au bout. Il répond donc au tentateur par un rappel de la Parole de Dieu : « L’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Mt 4,4). Plus tard, il rappellera aux foules qu’il est lui-même « le Pain de Vie » venu du Père (Jn 6,35).
Le désert de nos tentations, nous le connaissons bien. C’est cette tendance à nous investir totalement dans la consommation des biens matériels. On cherche à posséder toujours plus, à n’importe quel prix. Au bout du compte, notre cœur devient aussi dur que la pierre. Il est incapable de s’ouvrir à la Parole de Dieu et de partager avec celui qui a faim. En nous fermant à Dieu, nous devenons imperméables à son amour ; nous renions notre identité de fils et de filles de Dieu. Ce premier dimanche de Carême est là pour nous rappeler que nous avons traversé les eaux du baptême pour vivre libres. Il nous invite à revenir au cœur de notre foi et à nous laisser guider, saisir, par le Christ sur le chemin de la conversion. Peu d’hommes semblent avoir été saisis par le Christ d’une façon aussi soudaine que Saint Paul (Ph 3,12). Paul, précédemment connu sous le nom de Saul, de la ville de Tarse, est un Juif profondément religieux, ayant reçu la meilleure éducation juive et appartenant au courant pharisien, pur parmi les purs. D’un seul coup, ce persécuteur des chrétiens est devenu l’apôtre le plus ardent, et à deux mille ans de distance, la sincérité de ses accents nous touche encore.
Le deuxième lieu dont nous parle l’Évangile, c’est la montagne. Elle nous fait penser au Sinaï. C’est là que Dieu avait donné sa Loi à Moïse : « Écoute Israël, c’est moi le Seigneur ton Dieu… Tu n’auras pas d’autre Dieu que moi… Tu ne te prosterneras pas devant eux et tu ne les serviras pas » (Dt 5). Au pied de cette montagne, Israël s’est détourné de son Dieu et a sacrifié au veau d’or ; il s’est prosterné devant lui. Alors qu’au pied de la haute montagne, Jésus a résisté à la tentation de l’idolâtrie. Le seul que nous devons adorer en esprit et en vérité, c’est Dieu. La Parole de Dieu nous conduit à la prière et à l’adoration.
Ce veau d’or devant lequel les hébreux se sont prosternés, nous le retrouvons sous d’autres formes dans le monde d’aujourd’hui. Notre monde se prosterne devant l’argent, devant le pouvoir, devant les biens de consommation, devant les drogues et les boissons, en fait devant tout ce qui brille. Pour les acquérir, il est prêt à toutes les bassesses. Chaque fois que nous nous compromettons de cette manière, nous finissons par nous retrouver seuls, loin de notre liberté baptismale, et loin de Dieu.
Le troisième lieu dont nous parle l’évangile c’est le Temple. C’était l’endroit privilégié où montait la prière d’Israël. C’est là qu’on avait pris l’habitude de se rassembler pour servir le « Dieu trois fois saint » (Is 6,3). Or les prophètes avaient dénoncé le culte inutile qui s’y pratiquait : « Ce peuple m’honore des lèvres mais son cœur est loin de moi » (Is 29,13). Au lieu de servir Dieu, on se servait de lui. Jésus refuse ce marchandage. Le Fils Bien-aimé du Père n’utilisera pas le Temple en vue de son succès personnel. Sa mission sera au contraire de le purifier car il était devenu une « maison de trafic » (Jn 2,16). Plus tard, il annoncera qu’il est lui-même le vrai Temple de Dieu qui glorifie le Père. Pour Jésus le Temple est la maison de son Père ; le Temple est son domaine et sa demeure. Il y restera quelques jours à l’âge de 12 ans. Le Temple est une maison de prière et non de commerce. Dans un geste prophétique, Jésus purifie le Temple en chassant les vendeurs.
Jésus est le nouveau Temple, en qui demeure la plénitude de l’Esprit. Il est devenu, par sa mort et sa résurrection, le sanctuaire de la Présence de Dieu.
Nous aussi, nous sommes souvent tentés de nous servir de Dieu et de la religion pour notre propre intérêt. C’est ce qui arrive quand nous comptons sur la bonté de Dieu pour assurer nos ambitions ou suppléer à nos erreurs ou à nos folies. C’est aussi quand nous demandons à Dieu tout et n’importe quoi en pensant qu’il nous le doit bien. Mais la Bible nous dit qu’on ne marchande pas avec lui. Il n’a aucun compte à nous rendre. Il nous aime totalement, gratuitement et sans mérite de notre part. Son amour dépasse tout ce que nous pouvons imaginer. Il attend simplement de nous que nous tendions les mains pour accueillir cet amour dans notre vie et nous laisser transformer par lui.
Jésus a repoussé toutes ces tentations par un triple non à Satan et un triple oui au Père. Ce oui, nous le retrouvons tout au long de sa vie terrestre dans sa fidélité, dans la Parole, dans la prière et finalement dans la confiance au Père. A sa suite, nous sommes invités à faire le point, à redire le oui de notre baptême et à nous réajuster à cet amour qui est en Dieu. Aujourd’hui et tout au long de ce Carême, c’est Jésus qui nous supplie :
« Changez vos cœurs, croyez à la Bonne Nouvelle.
Changez de vie, croyez que Dieu vous aime »[1].
[1] Changez vos cœurs. Chanson d’Ensemble vocal Cinq Mars et Fabienne Martet - GA162.