C JEUDI SAINT JEAN 13, 01-15 (6)
Chimay : 17.04.2025
Frères et sœurs, la première lettre de saint Paul aux Corinthiens de la liturgie de ce Jeudi Saint nous présente l’institution de l’Eucharistie, et l’Évangile du lavement des pieds nous en donne l’interprétation par Jésus lui-même. L’Eucharistie nous enracine dans le passé de la mort de Jésus qui nous sauve, et elle nous fait proclamer la présence actuelle du Ressuscité.
Toute la vie de Jésus tend vers l’Heure dans laquelle il ne sera plus que celui dont on dispose. Pourtant Jésus ne vit pas sa passion passivement : il s’agit d’une offrande de lui-même délibérément consentie, choisie, dont il explicite le sens en instituant l’Eucharistie dans laquelle il anticipe sa Pâque. Nul ne disposerait de lui, si lui-même ne s’était pas offert à nous dans cette totale disponibilité : « Ceci est mon corps livré pour vous » (Lc 22,19) ; « Ceci est mon sang versé pour la multitude » (Mc 14,24). C’est bien Jésus, consciemment et délibérément, qui se livre, même si c’est Judas qui le trahit auprès des Juifs, que ce sont les Prêtres et les Scribes qui le livrent à Pilate, et que c’est Pilate qui le livre à la mort : « Tu n’aurais sur moi aucun pouvoir s’il ne t’était donné d’en haut » (Jn 19,11).
Le geste d’oblation eucharistique est fondamental, précisément parce qu’il est chronologiquement antérieur à l’événement violent de la Passion. Jésus n’est pas crucifié par malchance ; il n’est pas la victime passive d’un complot religieux : c’est tout au contraire parce qu’il dispose de tout et de lui-même, qu’il peut décider dans sa souveraine liberté, de laisser disposer de lui : « Nul ne me prend ma vie : c’est moi qui la donne » (Jn 10,18). C’est ce don gratuit, c’est-à-dire l’amour avec lequel Jésus se livre, qui donne à l’événement cruel de sa Passion d’avoir une valeur salvifique universelle. Cet acte de générosité a de quoi nous interpeller, surtout quand le Seigneur ajoute : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 13,34).
Dans l’Évangile du lavement des pieds, Notre Seigneur explicite ce que signifie cet abandon actif, préfiguré dans l’Eucharistie : il prend l’initiative, il quitte son vêtement – personne ne le lui arrache – et alors qu’il sait « que le Père lui a tout remis entre les mains » (Jn 13,3), qu’il dispose donc de toutes choses, loin d’user de son pouvoir pour dominer, il prend délibérément la place de l’esclave ou du serviteur et lave les pieds des convives. L’esclave devait normalement rendre ce service considéré comme humiliant en début de repas. On peut comprendre nous qui masquons pratiquement toutes les odeurs. En situant le lavement des pieds au cours du repas, Jésus veut signifier clairement qu’il accomplit un rite, bien plus : un geste sacramentel, par lequel il interprète l’offrande de sa Passion, et nous donne un exemple à suivre. Il interprète en effet sa Passion en explicitant que la passivité volontairement consentie est en fait éminemment active, puisqu’elle conduit à la purification des pécheurs : « Si je ne te lave pas, tu n’auras point de part avec moi » (Jn 13,8). Jésus est à la fois le Grand Prêtre et la victime du sacrifice qui nous réconcilie une fois pour toutes avec Dieu son Père, qui devient aussi notre Père.
Jésus lave les pieds de ses disciples, et ce geste en dit plus sur sa tendresse pour les siens que tous les mots. Ce geste nous donne également un exemple à suivre : « Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous » (Jn 13,14-15). Au moment d’entrer dans sa Passion, comme ultime enseignement qui préfigure la suite des événements, Jésus nous donne l’exemple du style de vie qu’il attend de ses disciples : une communauté dans laquelle règne non pas la course au pouvoir, mais l’émulation de service, non pas la recherche des premières places et des honneurs, mais de la dernière place et de l’humble effacement.