Homélies de Dom Armand Veilleux

2 mars 2022 – Mercredi des Cendres

Joël 2, 12-18; 2 Cor 5, 20 ; 6, 2; Matt 6, 1-6. 16-18

Monastère de Maromby, Fianarantsoa, Madagascar

 

Homélie

           Dans ce que nous appelons le Sermon sur la montagne, c’est-à-dire le long discours par lequel, dans l’Évangile de Matthieu, Jésus commence sa prédication, il établit d’abord, dans la série de béatitudes, la charte fondamentale du monde nouveau – du royaume des cieux -- qu’il veut instaurer.  Puis Jésus explique qu’il n’est pas venu abroger la Loi mais la porter à sa plénitude, et il conclut : « si votre justice ne dépasse pas celles des Scribes et des Pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux ». 

           Que signifie le mot « justice » dans ce contexte ? Dans le langage et la vision juridique de l’époque, être juste consistait à être conforme aux préceptes de la Loi, en trois domaines en particulier : l’aumône, la prière et le jeûne. Jésus dit donc à ses auditeurs que si leur aumône, leur prière et leur jeûne ne dépasse pas l’attitude des Pharisiens, ils n’entreront pas dans le Royaume.   Serait-ce que Jésus les invite à faire plus d’aumônes, à réciter plus de prières et à pratiquer un jeûne plus rigoureux ? 

           Non ! Ce n’est pas ce à quoi Jésus les appelle – et nous appelle.  Et il s’explique tout de suite après, dans le texte que nous venons de lire.  Lisons le premier verset selon la traduction de la Bible de Jérusalem, qui rend beaucoup mieux le sens du texte grec que l’adaptation du lectionnaire liturgique.  « Gardez-vous, dit Jésus, de pratiquer votre justice devant les hommes, pour vous faire remarquer d’eux » [au lieu de « Ce que vous faites pour devenir des justes, évitez de l’accomplir devant les hommes pour vous faire remarquer »]. Et alors, il donne ses recommandations concernant ce qui était considéré comme les trois piliers de la justice, selon les Pharisiens : l’aumône, la prière et le jeûne.

           Dans ces trois domaines, l’enseignement de Jésus est un appel à la vérité et à la droiture d’intention. Notre être vrai, notre vrai « moi » à chacun de nous, se trouve au centre le plus intime de nous-mêmes, là où nous recevons notre être de Dieu, là où nous sommes sans cesse engendrés par le Souffle de vie de Dieu.  Autour de ce noyau, il y a diverses couches d’enveloppes protectrices – tous nos « egos » -- et nous en avons ajouté plusieurs pour mieux nous protéger.  Si bien que nous courons le danger de toujours vivre à la superficie de notre être.  Nous essayons de donner aux autres la plus belle image possible de nous-mêmes, et nous nous complaisons facilement dans cette image, étant d’ailleurs souvent plus dupes que ceux et celles qui nous entourent.

           Au sujet de l’aumône, Jésus met en garde de la pratiquer, soit pour se faire remarquer par les autres, soit même pour se donner bonne conscience. Moins la chose sera publique, moins on sera conscient soi-même de sa propre générosité, mieux ce sera, car la seule chose qui compte vraiment est la motivation profonde, qui, de sa nature même, est secrète pour tous, y compris pour nous-mêmes et que seul le Père voit dans le secret.

           De même pour la prière. Si nous prions pour nous faire remarquer – soit des autres, soit de nous-mêmes, soit même de Dieu, nous avons déjà reçu notre récompense.  Notre prière ne va pas plus loin.  La vraie prière est dans le secret du coeur : ce n’est pas celle qu’on pourrait prétendre enseigner, ni celle qui procure de beaux et chauds sentiments, ni celle qui peut se soupeser.  C’est la prière tout nue, tout intérieure, au-delà des gestes ou des paroles qui peuvent l’exprimer et que personne autre que Dieu ne peut entendre, même pas nous-mêmes.  C’est sans doute d’elle que voulait parler saint Antoine d’Égypte qui affirmait que la prière n’est pas encore pure aussi longtemps que l’on a conscience de prier.

           L’évangéliste Matthieu introduit ici le texte du Pater et, dans un passage qui vient tout de suite après, qui est le troisième élément du triptyque, Jésus donne le même enseignement concernant le jeûne.

           Puisse ce Carême nous aider, chacun de nous, à nous délester de quelques couches supplémentaires de notre ego, pour nous permettre de vivre, dans une vérité toujours plus grande tous les aspects de notre vie, et pénétrer ainsi toujours plus profondément dans la vie intérieure, laquelle consiste à être en contact aussi constant que possible avec ce point, au cœur de notre être, où se tient, en secret, l’échange de Parole qui nous engendre sans cesse à la Vie.

Armand VEILLEUX

          

 

27 février 2022 – 8ème dimanche "C"

Si 27, 4-7; 1 Co 15, 54-58; Lc 6, 39-45

Homélie

           À première lecture, cet évangile nous semble une collection un peu désordonnée de paroles de Jésus qui n'ont pas beaucoup de relation les unes aux autres.  Mais cela n'est vraiment pas le genre de Luc, qui est un bon écrivain, et qui sait surtout comment structurer un récit. Examinons donc un peu le contexte. 

13 février 2022  --  6ème dimanche "C"

Jr 17,5-8; 1 Co 15, 12...20; Lc 6, 17...26

H O M É L I E

           La question du bonheur et du malheur est vieille comme le monde.  Dès le début de la Genèse apparaît le malheur, fruit du péché, qui vient priver du bonheur l’homme et la femme créés à l’image de Dieu, et partageant son bonheur éternel.  Maudit est le serpent qui les a trompés ; maudit est le sol sur lequel il rampe et qu’ils auront à cultiver pour se procurer leur nourriture ;  maudit est Caïn, qui a tué son frère et, finalement, plus tard maudits sont tous ceux qui s’en prennent au peuple que Dieu s’est choisi. (Tout l’Ancien Testament est émaillé de telles « malédictions »).

22 février 2022 – Chaire de saint Pierre

1 P 5, 1-4; Mat 16, 13-19 

 

Homélie pour la fête de la Chaire de saint Pierre    

           Et vous, qui dites-vous que je suis?

           Il n’est jamais facile de traduire un texte dans une autre langue en en respectant toutes les nuances.  Les traducteurs du lectionnaire liturgique, dans leur effort pour rendre le texte intelligible aux personnes d’aujourd’hui paraphrasent parfois le texte, ou y ajoutent quelque chose. Ainsi, dans l’Évangile d’aujourd’hui, Jésus demande à ses disciples : « Et vous, qui dites-vous que je suis ? ». La traduction que nous avons lue paraphrase cette question, ajoutant les mots : « pour vous qui suis-je ? », donnant aux paroles de Jésus une note intimiste qu’elles n’ont pas. 

10 février 2022 – jeudi de la 5ème semaine ordinaire

1R 11, 4-13 ; Mc 7, 24-30

HOMÉLIE

            Cet Évangile nous révèle beaucoup de choses aussi bien sur la personne de Jésus que sur la prière.  D’ailleurs, notre attitude face à la prière révèle en général assez bien l’image que nous avons de Dieu et du Christ.

            Si notre dieu est celui des philosophes, un dieu immuable qui ne change jamais, il n’y a vraiment aucune raison de le prier.  Si notre Christ, est un Christ qui, dès le moment de sa naissance, possède déjà la pleine vision béatifique et ne peut pas croître dans la connaissance et la conscience de sa mission, un Évangile comme celui d’aujourd’hui nous montre un Christ déconcertant, qui utilise des paroles très dures à l’égard d’une pauvre femme païenne.

20 février 2022 – 7ème dimanche "C"

1 S 26,2...23; 1 Co 15, 45-49; Lc 6, 27-38

H O M É L I E

           En lisant ces recommandations de Jésus, nous aurions presque envie de lui dire : « Mais tu n’es quand même pas sérieux !  Tu veux vraiment qu’on agisse de façon aussi naïve ? Nous laisser écraser sans nous défendre et même aller jusqu’à aimer ceux qui nous détestent ? Est-ce possible ? »

21 février 2018, mercredi de la 5ème semaine ordinaire B

1R 10, 1-10; Mc 7,14-15.17-23

Homélie

           La lecture d’Évangile que nous venons d’entendre est la continuation de celle d’hier.  Marc nous y raconte l'une des rencontres difficiles et douloureuses entre Jésus et les autorités du peuple – c’est-à-dire Pharisiens et Scribes -- qui se sont donnés comme tâche de le prendre en faute, pour se débarrasser de lui.  Jésus les traite une fois de plus d'hypocrites, car ils ont fini par donner tellement d'importance aux pratiques religieuses extérieures, qu'ils ont perdu de vue la relation entre ces pratiques et l'expérience personnelle de Dieu.