B CHRIST-ROI JEAN 18,33b-37 (15)

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Scourmont : 24.11.2024 

Frères et sœurs, en ce dernier dimanche de l’année liturgique, nous célébrons la solennité du Christ-Roi de l’univers. Cette fête a été créée pour nous révéler un visage peut-être méconnu de Dieu. Dans l’iconographie chrétienne, Dieu le Père est représenté en vieillard, laissant croire qu’il est de sexe masculin et qu’il est âgé. Or, Dieu n’est ni homme, ni femme, ni jeune, ni vieux. Il est Dieu, sans pouvoir l’assimiler à aucune réalité dont nous avons l’expérience. Le dimanche du Christ-Roi cherche à briser ces représentations simplistes qui enferment Dieu dans des imaginaires problématiques, qui réduisent la souveraineté divine à l’exercice d’une puissance humaine, et qui confondent la royauté unique du Christ avec un programme politique.

Or, dans l’évangile de saint Jean, la réponse de Jésus à Pilate vient bousculer nos attentes. Le seul Roi que nous reconnaissons apparaît livré aux puissances du monde, payant de sa vie l’obéissance à la Parole de vie dont il est à la fois l’incarnation et le porteur. C’est même notre rapport à la vérité qui est modifié. « Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix » (Jn 18,37), nous dit Jésus. Là où nous croyons posséder la vérité, en la confisquant, il s’agit de se mettre l’écoute de la parole du Seigneur et de chercher à y rester fidèle.

Seul l’Esprit Saint nous permet de reconnaître le Roi transpercé comme le Seigneur que le Père ressuscite dans la gloire. Loin d’être un vieillard acariâtre et distant, Dieu se manifeste en renversant les forces de mort qui nous assaillent et trouvent en nous de sombres complicités. Appartenir à la vérité est donc coûteux, car l’accueil de la vie divine au plus profond de nos existences nous fait entrer dans un processus de conversion.

Le livre de l’Apocalypse (1,5-8) de saint Jean que nous avons entendu en deuxième lecture a été écrit bien après la résurrection du Christ. Il s’adresse à des chrétiens persécutés. L’empereur de Rome est très dur pour eux. C’est dans ce monde hostile et violent que saint Jean annonce le triomphe de Celui qui est l’Amour. Par sa mort et sa résurrection, il a vaincu la mort et le péché et il veut nous associer tous à sa victoire, comme le dit saint Paul dans la lettre aux Romains : « Rien ne peut nous séparer de son amour » (Rm 8,38-39).

Ces deux extraits de la Parole de Dieu sont une bonne nouvelle pour notre monde d’aujourd’hui. De nombreux dictateurs y règnent en maîtres. Ils font peser leur pouvoir sur les plus faibles. Dans de nombreux pays, les chrétiens sont victimes de la haine et de la violence des hommes. Mais un jour, les dictatures finissent par tomber. Il n’est pas question de vengeance : cela ne ferait qu’ajouter de la violence à la violence. Ce n’est pas par la force des armes qu’on peut obtenir la victoire contre le mal mais par celle des paroles de négociation et surtout celle de l’amour.

L’Évangile d’aujourd’hui nous montre Jésus face à Pilate : il se présente à lui en tant que roi d’un Royaume « qui n’est pas de ce monde » (Jn 18,36). Sa Royauté ne repose pas sur l’ambition, ni sur la compétition. Elle n’utilise pas les armes de la peur, ni le chantage, ni la manipulation des consciences. Sa royauté s’exprime dans l’humilité et la gratuité. Les royaumes de ce monde se fondent parfois sur les abus de pouvoir, les rivalités, les oppressions. Au contraire le Royaume du Christ est un « Royaume d’amour, de justice et de paix » (Préface).

« Es-tu le roi des Juifs ? » (Jn 18,33). Présenté comme un homme dangereux pour les Romains et pour les Juifs, Jésus, défiguré, dépouillé de tout et sans défense, se voit contraint à dialoguer avec Pilate. Au cœur de ce dialogue pour le moins étrange, figure une question posée par Pilate : « Es-tu le roi des Juifs ? » Toute la suite du texte de saint Jean nous dit que pour comprendre la réponse de Jésus, il faut s’ouvrir à Jésus lui-même qui, par sa vie et sa personne, est la vérité même. Ne peuvent comprendre sa réponse que ceux qui s’ouvrent à la vérité. Chez saint Jean, la vérité est porteuse d’une grande valeur. L’essentiel de la mission de Jésus est centré sur la vérité. « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14,6), dira Jésus. Et quand il sera crucifié, un écriteau le désignera comme le roi des Juifs. Roi, mais pas comme les autres. Né dans une crèche, il n’habitera pas dans un palais et c’est sur le dos d’un âne pacifique qu’il incarnera sa royauté. Il sera un roi serviteur qui n’aura d’autre loi que l’amour. Sa devise s’exprime ainsi : « Venu, non pas pour être servi, mais pour servir » (Mt 20,28). En fait, à travers la fête du Christ-Roi de l’univers, l’Eglise fait signe au monde et à chacun d’entre nous sur la pertinence de l’exercice du pouvoir. Qu’il soit politique ou religieux, la vérité du pouvoir et de la royauté réside dans l’accomplissement d’une responsabilité de service. Au demeurant, par le baptême, chaque chrétien participe à la mission du Christ prêtre, prophète et roi. Pour répondre à cette identité, nous voici provoqués à être serviteurs de tous, à prendre soin des pauvres et des faibles, à être vrais, justes et miséricordieux.

Jésus s’est révélé comme roi dans l’événement de la croix. Aux yeux du monde, c’est un échec lamentable. Mais l’Évangile nous invite à changer notre regard. La croix du Christ c’est l’échec du péché. C’est en levant les yeux vers le Christ en croix que nous prenons conscience de son amour gratuit pour nous et pour le monde entier. Sa puissance et sa force sont celles de l’amour, un amour solide et intègre, même face aux refus. Sur le Calvaire, on ridiculise ce « roi des juifs ». On lui lance un défi : « Sauve-toi toi-même en descendant de la croix » (Mc 15,30). Mais Jésus ne cherche pas à se sauver lui-même. Il a donné sa vie pour chacun de nous. Il est venu « chercher et sauver ceux qui étaient perdus » (Lc 19,10). En passant par la mort et la résurrection, il nous a ouvert un passage vers ce monde nouveau qu’il appelle « le Royaume de Dieu ».

Aujourd’hui encore, ils sont nombreux ceux qui refusent cette royauté du Christ. On fait tout pour l’effacer en supprimant ses disciples, les symboles religieux et les fêtes religieuses. Dans notre société sécularisée, on le relègue à l’exil, on le ridiculise sur les écrans de télévision, dans les salles de cinéma et aux Olympiques. Et surtout, nous ne devons pas oublier les très nombreux martyrs dans de nombreux pays du monde. Mais le mal, la violence et la haine n’auront pas le dernier mot. Encore une fois, c’est l’amour qui triomphera.

Le premier qui l’a compris a été l’un des malfaiteurs crucifiés en même temps que Jésus, celui qu’on appelle « le bon larron ». Nous connaissons sa supplication : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume » (Lc 23,42). Cet homme était un malfaiteur, un corrompu. Il était condamné à mort pour toutes les brutalités qu’il avait commises durant sa vie. Mais il a vu qu’avec Jésus, l’amour peut triompher de la haine : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23,34). Comme cet homme, nous pouvons redire cette prière : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume » (Lc 23,42). Et nous avons la ferme espérance qu’un jour, il nous dira : « Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis » (Lc 23,43).