Homélies et conférences du Père abbé - Dom Damien Debaisieux

33e dimanche C

(Lc 21, 5-19)

Un magnifique Temple qui sera détruit, de faux-messies entraîneront les foules et les peuples derrière eux, des guerres et des désordres, des nations qui se dresseront les unes contre les autres, des tremblements de terre, des famines, des épidémies, tout, dans cette description pourrait nous sembler lointain, et dans le même temps, à l’écoute des actualités, nous parle de ce monde dans lequel nous vivons. Jésus évoque aussi des phénomènes effrayants et de grands signes dans le ciel, et il puise ici dans les descriptions des apocalypses bibliques. Et il ajoute à ce tableau - comme si tout cela se rapprochait de nous, se faisant plus menaçant - des mains qui se porteront sur nous, des persécutions, de la prison, des procès. Et enfin, au cœur même de notre intimité, de notre sécurité, nos propres parents – ceux qui, par excellence, sont censés nous aimer - qui nous livrent, nous font mettre à mort, nous détestent. Voilà donc la réponse de Jésus à l’admiration des disciples devant la beauté du Temple, réponse dont la paraphrase que nous venons de faire, veut mettre en lumière l’aspect effrayant de tous ces dangers qui nous menacent, qui nous enserrent.


Réponse effrayante, donc, mais qui dit bien une réalité de notre monde qui devrait là aussi nous effrayer, par compassion envers nos contemporains et parce que, après tout, nous n’avons aucune raison d’être épargnés. Et alors, quand nous avons bien en face de nous cette réalité angoissante, Jésus nous dit que « pas un cheveu de notre tête ne sera perdu » et que « c’est par notre persévérance que nous garderons notre vie. » Là encore, réponse étonnante. Car paradoxalement, persécutions ou guerres ne sont pas ici les signes de la fin des temps, d’un effondrement définitif qui emporte tout sur son passage, et nous avec lui, mais des signes qui annoncent la venue du Règne de Dieu.

Alors bien sûr, ce ne sont pas la souffrance ou la peur qui sont précurseurs de ce Royaume, mais nous, notre vie, notre propre attitude, notre capacité à discerner, à reconnaître et à proclamer que Dieu vient, qu’il est là parce qu’il ne peut pas nous abandonner. Notre discernement consiste à séparer ce qui ne peut que vieillir, ce qui ne peut que mourir, de ce qui est éternel, de ce qui est victorieux. Le Temple, le vrai Temple, c’est Jésus lui-même, et lui, même au calvaire et au tombeau, ne peut être détruit. Ces signes effrayants sont ceux de la passion et de la mort, mais qui portent en eux, déjà, la résurrection. Jésus le dit lui-même : « Mettez-vous donc dans l’esprit que vous n’avez pas à vous préoccuper de votre défense. C’est moi qui vous donnerai un langage et une sagesse à laquelle tous vos adversaires ne pourront ni résister ni s’opposer », et le premier adversaire, c’est le mal, la souffrance, la mort. Notre préoccupation ne doit donc pas être d’essayer de savoir ce qui pourra bien arriver, à nous et à notre monde, mais de savoir, face à de tels évènements, quel est le témoignage que nous avons à donner, quel message avons-nous à livrer, quel trésor, quelle vie vivons-nous qui vaut la peine d’être vécue, d’être sauvée, et qui ne peut être détruite. Notre souci doit être de suivre le Christ, d’être ses disciples, d’être persévérants pour le laisser agir, pour le laisser nous sauver de la catastrophe qui vient, celle de la mort terrestre à laquelle nul ne pourra échapper.

Face aux grandes ou aux petites morts de notre vie et celles de notre monde, Jésus veut donc nous ancrer dans une attitude fondamentale : ne pas nous effrayer, demeurer dans la paix, ne pas nous laisser atteindre dans ce qui fait le cœur de notre être, parce que ce cœur est définitivement dans les mains de Dieu et rien, personne, ne pourra nous en arracher.

L’évangile nous dit aussi que les disciples - c’est-à-dire nous - seront « livrés », ce même mot qui est employé par Jésus pour parler de sa passion. Ainsi, jusque dans l’horreur, nous sommes fondamentalement en communion avec le Christ, avec le Ressuscité. Je pense, par exemple, à cet humanitaire qui s’était rendu en zone de conflits pour porter secours aux populations et que certains louaient pour son courage. Et cet homme, ce chrétien, ce disciple, leur a répondu : « Je n’y serais pas allé si le Christ ne m’y avait pas précédé, si le Christ n’y était pas déjà présent. »

Frères et sœurs, le Christ marche devant nous, il ouvre le chemin à notre humanité, même et peut-être surtout, quand elle est opprimée. Et il nous fait la promesse d’être toujours avec nous et, lié à cette promesse, il nous invite à la persévérance, à la confiance, à l’espérance. Ainsi, dans cet évangile, nous l’avons dit, il ne s’agit pas tant de ce qui arrivera à la fin du monde, mais de ce qui se vit maintenant. Invitation à veiller sur nous-mêmes, non pour un repli égoïste, mais parce que c’est ici et maintenant que se joue la vie, notre vie et celle du monde.

Dédicace Scourmont 2025

(2 Ch 5,6-8.10.13-6,2 ; Ps 121 ; 1 P 2,4-9 ; Jn 2,13-22)

Frères et sœurs, ces textes de la liturgie de ce jour, vous et moi, nous les recevons. Mais alors, c’est peu que de dire que cet évangile est dur, frappant, interpelant pour un jour de fête, qui plus est, pour la fête de la communauté que nous formons ensemble. « Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce » (17), dit Jésus. Oui, en ce jour de joie, nous sommes comme réprimandés, et donc interrogés sur ce que nous vivons vraiment, chacun et ensemble.

Homélie pour la célébration du 175ème anniversaire

de la fondation de l'Abbaye de Scourmont

 

(1 R 8,55-61 ; Ps 83 ; 1 Co 1,3-9 ; Lc 1,39-45) 

25 juillet 2025

 

Frères et sœurs, chers frères, célébrer le jubilé de notre monastère, c’est rendre grâce pour ce qui a été donné, et surtout, peut-être, c’est demander que cette grâce poursuive son œuvre en nous pour nous conduire plus loin, plus vrais, plus conformes à Celui qui nous a appelés. Célébrer notre jubilé, c’est donc s’engager à vivre plus profondément notre vie monastique, notre vie fraternelle, loin des faux-semblants.

Saint Bernard 2025

(Si 39,8-14; Ps 118 ; Phi 3,17-4,1; Mt 5,13-19)

Frères et sœurs, pour cette homélie, je m’appuie pour la troisième année consécutive sur le Commentaire du Cantique des Cantiques de saint Bernard. Nous en sommes au sermon 4. S’il vous en souvient, commentant le verset « Qu’il me baise d’un baiser de sa bouche », Bernard énonce trois baisers : celui des pieds, celui des mains et celui de la bouche, marquant ainsi les étapes d’un progrès spirituel. Au début de notre sermon, il revient sur le baiser des pieds qu’il décrit comme une faveur, celle de ressentir le pardon de Dieu. Et comment ne pas penser ici au lavement des pieds lors de la dernière Cène, moment où Jésus pardonne déjà à ses disciples l’abandon, la trahison, le reniement ? Comment ne pas penser à ce rite que nous vivons ensemble, en communauté, au chapitre, le Jeudi Saint, où celui qui lave comme celui qui est lavé, offre et reçoit le pardon de son frère. Peut-être pouvons nous garder cela en mémoire, en notre cœur, pour vivre au quotidien de ce pardon ; pardon donné, pardon reçu.

7e dimanche de Pâques C

(Jn 17, 20-26)

Homélie

Juin 2025

« Moi en eux, et toi en moi. » Frères et sœurs, à la fin du long discours de Jésus en saint Jean avant sa Passion, discours qui va des chapitres 13 à 17, le Christ proclame cette parole d’alliance, celle dont nous vivons encore aujourd’hui et dont nous vivrons éternellement : le Fils est en nous, indéfectiblement en nous, et il nous plonge totalement dans l’amour du Père, dans la vie de Dieu. Son amour pour nous, manifesté par son incarnation, démontré par sa passion, révélé par sa résurrection, va jusqu’à vivre en nous, jusqu’à être en nous. Ainsi, quelques jours après avoir fêté l’Ascension - le retour au Ciel du Fils dans notre chair - nous pouvons dire que nous sommes le lieu de Dieu – s’il est possible, bien sûr, de parler d’un lieu pour Dieu. Nous sommes le ciel de Dieu, pour reprendre les paroles du moine cistercien du XIIe siècle originaire de Liège, Guillaume de Saint-Thierry : « Lorsque vous habitez en nous, dit-il à Dieu, nous sommes votre ciel […] ; que nous habitions en vous ou que vous habitiez en nous, c’est pour nous le ciel. » Nous sommes le lieu de l’amour du Père pour le Fils, et du Fils pour le Père, ou plutôt nous sommes assumés, élevés, recueillis en ce lieu. Et si nous savons que Dieu nous aime parce qu’il nous a donné la vie en nous créant ; qu’il nous aime également parce qu’il nous a donné son Fils et que son Fils a livré sa vie pour nous ; mieux encore, nous pourrions dire que nous savons que Dieu nous aime parce qu’il vit en nous, parce qu’il vit son amour en nous, parce qu’il nous donne sa propre force de vie, son propre amour en vivant en nous. Ainsi, la foi chrétienne, la religion de l’incarnation, est finalement révélation de la présence du Dieu-Amour en nous.

Homélie pour le 17e dimanche "C"

   (Lc 11,1-13)

Juillet 2016

« Seigneur, apprends-nous à prier ». Frères et Sœurs, au début de cette homélie, je serais tenté de vous demander qui vous a appris à prier ? Et comment vous l’avez appris ? Les disciples, eux, demandèrent naturellement à leur maître de leur apprendre. Mais notre maître à nous, c’est également le Seigneur, celui à qui nous devons, nous aussi, demander de nous apprendre à prier. Ainsi, celui que l’on prie est tout autant celui qui nous apprend à prier, nouvelle preuve de son infinie miséricorde à notre égard. Quand on prie, on n’est pas seul, on n’est plus seul ; et Dieu ne veut pas nous laisser seul face à notre prière, face à ce qui jaillit de notre cœur et de celui du monde.

Veillée pascale

(Lc 24,1-12)

Frères et sœurs, nous connaissons la radicalité de la mort. Quand un être cher nous quitte, nous savons qu’il ne reviendra plus, en tous les cas pas dans cette vie. Et quand cette mort est subite, brutale, c’est bien cette absence soudaine et définitive, irrévocable, qui nous broie le cœur. « Les femmes [qui] se rendirent au tombeau » en ce matin de Pâques, ont vécu le même déchirement en voyant Jésus arrêté, condamné, crucifié, et puis finalement déposé dans ce tombeau. Elles le suivaient depuis le début, et désormais c’était fini… La mort de Jésus, c’est donc aussi la détresse de toute une petite communauté, de chacun de ses membres. Un vide !

Nous pouvons alors aisément nous associer à ces femmes qui, découvrant le tombeau ouvert et n’y trouvant pas le corps de Jésus, furent, nous dit saint Luc, « désemparées », ne sachant que faire ni penser. La mort de Jésus devait être pour elles un point final, et voilà que, au matin de Pâques, elle devient un nouveau commencement. Il s’agit alors pour ces femmes, comme pour nous, de tout recommencer à partir de zéro, ou plutôt à partir d’un élément totalement neuf, inattendu, imprévisible : l’absence de celui qui était mort et que des anges déclarent être vivant, et même ici « Le Vivant » par excellence.

Ce chemin nouveau, c’est celui de la foi dans le Christ ressuscité, et mieux encore, ou dit autrement, c’est celui d’une vie nouvelle en Dieu ; la Bonne Nouvelle est vie nouvelle ! Un chemin qui s’ouvre par une porte étroite, comme nous le montre la réaction des Onze, à qui les propos des femmes semblent « délirants », et encore celle de Pierre, qui « s’en retourna chez lui, tout étonné de ce qui était arrivé. »

Pour se risquer sur ce chemin, pour croire qu’il est bien un chemin qui mène quelque part, les femmes vont s’appuyer sur les paroles de Jésus, sur ce que nous appelons les Ecritures. « Rappelez-vous ce qu’il vous a dit », leur préconisent les anges. Et, insiste saint Luc pour en marquer toute l’importance, « elles se rappelèrent les paroles qu’il avait dites ». C’est ainsi que ces femmes vont accéder à la réalité de la Résurrection. Ce sont les Ecritures, une relecture des paroles et de la vie de Jésus, qui leur roule la pierre du tombeau, qui ouvre leurs yeux et les fait sortir de la perplexité dans laquelle elles étaient plongées. La Parole comme lieu de rencontre avec le Ressuscité !

Elles découvrent alors qu’être témoins de ce Christ ressuscité, c’est être, comme le disent encore les anges, témoins du « Vivant ». Ce qui veut dire se laisser transformer par la plénitude de sa vie ; le laisser entrer dans notre vie. La résurrection est certes Bonne Nouvelle parce qu’elle nous ouvre un chemin d’éternité, mais elle l’est surtout parce qu’elle transfigure notre vie dès maintenant. Car le Christ n’est pas ressuscité pour un monde parallèle, mais pour que vive sa puissance de vie en nous, entre nous, avec nous. Le Christ n’est pas ressuscité dans un au-delà, mais dans la vie qui vient à nous, une vie qui nous est offerte, et qu’il s’agit donc d’accueillir. Le Christ n’est pas non plus ressuscité pour nous dire que Dieu existe, mais essentiellement pour nous faire savoir que nous existons pour Dieu, qu’il veut que sa vie et son amour s’incarnent en nous, s’engendrent en nous. Oui, frères et sœurs, la résurrection du Christ a donc un impact radical sur la vie de notre humanité, et nous sommes invités à entrer dans cette dynamique pour témoigner à notre tour, comme les femmes, de cette vie nouvelle.

Mais alors comment accueillir cette vie ? Eh bien, nous l’avons dit, là encore comme les femmes, en nous mettant notamment à l’écoute de la Parole de Dieu, pour que les mots, les phrases, le sens s’éclairent de la lumière d’un matin de Pâques et nous transforment de leur puissance de vie. « Chaque matin, Dieu éveille mon oreille pour qu’en disciple, j’écoute », nous dit le prophète Isaïe (50,4). Vivre de la vie de Dieu, c’est consentir à cette écoute pour se laisser interpeler chaque jour et s’ouvrir ainsi à sa nouveauté, à la nouveauté de la vie. En quelque sorte, naître chaque jour. Frère Christophe de Tibhirine écrivait : « Et si naître m’arrivait / suis-je réellement prêt […] / suis-je disposé à commencer à partir de toi ? » Commencer à partir de Dieu comme un matin de Pâques. Recommencer à partir de sa Parole de vie.

Frères et sœurs, sommes-nous prêts pour cette aventure, pour cet évènement, comme les femmes ont su le faire ? Dans la lecture aux Romains, nous entendions saint Paul nous dire que nous sommes « vivants pour Dieu en Jésus Christ » (6,11). Être vivants en Jésus, par Jésus ; être vivants pour Dieu. Oui, être vivants ! Que cette Eucharistie et ce temps pascal qui s’ouvre en cette nuit, nous donne, à nous et à notre monde, cette grâce de vivre pleinement de la vie qui s’ouvre devant nous.