Dédicace Scourmont 2025
(2 Ch 5,6-8.10.13-6,2 ; Ps 121 ; 1 P 2,4-9 ; Jn 2,13-22)
Frères et sœurs, ces textes de la liturgie de ce jour, vous et moi, nous les recevons. Mais alors, c’est peu que de dire que cet évangile est dur, frappant, interpelant pour un jour de fête, qui plus est, pour la fête de la communauté que nous formons ensemble. « Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce » (17), dit Jésus. Oui, en ce jour de joie, nous sommes comme réprimandés, et donc interrogés sur ce que nous vivons vraiment, chacun et ensemble.
Alors est-ce que notre église, notre communauté, le Temple de l’Esprit que nous sommes, est une maison de commerce ? Le commerce, c’est le donnant-donnant, le bénéfice, le profit. Jésus nous interroge. Quel type de relation ai-je avec Dieu et envers mes frères ? Celles du donnant-donnant, pas plus, pas moins ? Celle d’une quête, consciente ou inconsciente, de bénéfices, de profits personnels, égoïstes ? Qui suis-je, qui sommes-nous dans nos relations ? Jésus, ce matin comme dans le Temple, veut purifier notre cœur, ajuster nos relations, notre rapport à l’autre. Il nous est donc bon de nous laisser interpeler par sa violence soudaine, par « l’amour de [sa] maison », celle de Scourmont, qui fait son « tourment » (17).
Dans le Temple, ce que vendent les marchands, ce sont les offrandes, ce qui sera offert à Dieu. Jésus nous redit que dans notre relation à Dieu et à nos frères, c’est donc dans l’offrande, le don, l’amour gratuit, que nous devons nous situer. Notre vie est une vie consacrée, une vie dédiée. Et si nous reprenons la première phrase de l’exhortation apostolique du Pape Jean-Paul II, Vita Consecrata, nous lisons que « la Vie consacrée, profondément enracinée dans l'exemple et dans l'enseignement du Christ Seigneur, est un don de Dieu le Père à son Église par l'Esprit. » Les juifs de l’évangile demandent un signe à Jésus. Eh bien nous, nous devons être signe du don de Dieu pour l’humanité, en nous conformant au Christ, en le laissant nous conformer à lui par notre engagement à sa suite, en vivant le don au quotidien. Nous le savons bien, mais il nous est parfois plus difficile de le vivre, le centre, ce n’est pas nous. Parler de don, c’est mettre l’autre au centre, celui qui reçoit, celui que nous voulons, décidons de mettre au centre, que nous nous engageons à mettre au centre.
Les évangiles synoptiques, eux, ne parlent pas d’une « maison de commerce », mais d’une « maison de brigands », ce qui, bien sûr, est encore moins flatteur pour nous et d’autant plus interpelant. Serions-nous des brigands ? Et faudrait-il se reconnaître brigand pour fêter dignement l’anniversaire de la dédicace de notre église ? Je laisse chacun s’interroger et se reconnaître ou non dans ce brigand. Ce qui est sûr, c’est que nous avons tous, chacun, nos accommodements, nos arrangements dans notre vie consacrée. Et si je dis cela, ce n’est pas pour nous dénoncer, mais au contraire pour rappeler combien nous sommes en chemin, combien Dieu continue de nous travailler, de nous guider, si nous savons l’écouter personnellement et communautairement. C’est bien un brigand, un larron, qui sera dans le Royaume au soir du vendredi saint. C’est bien un brigand, un publicain, qui ressortira du Temple justifié, et non pas le pharisien, le bien-pensant. Jésus, là encore comme dans le Temple, purifie notre cœur, nous invitant à nous poser en vérité devant Dieu et devant nos frères, pour construire ensemble la maison qu’il désire. Et cette fois, entre brigands, elle est faite de pardon et de miséricorde.
La fin de l’évangile est une annonce de la résurrection. Alors j’aimerais terminer avec des paroles de Maurice Zundel, paroles entendues lors des Vigiles de dimanche dernier, paroles comme un encouragement, comme un programme pour vivre et bâtir notre maison commune. Le prêtre suisse disait que « nous avons nous aussi à ressusciter aujourd’hui, à émerger […] de [ce qu’il appelle] nos dépendances cosmiques, à nous rendre plus libres, à nous affranchir […] de nos limites encore non dépassées, à faire de nous davantage une source, un espace et une fin. […] Ah ! s’exclamait-il, Quel bonheur que le Christ nous réveille de notre torpeur et nous demande au plus intime de nous-mêmes de ne pas demeurer des robots. Nous avons à nous créer, nous avons à dépasser ce robot, nous avons à nous rendre indispensables à l’équilibre du monde, en faisant de notre vie quelque chose d’unique. » Et il ajoutait : « Que cette journée ne soit pas semblable à celle d’hier, mais que nous ayons la volonté […] de faire de notre vie à chaque instant une chose plus belle, plus rayonnante, et plus donnée, afin que par cette offrande l’univers tout entier devienne un offertoire. » Alors, chers frères, que cette eucharistie, en ce jour de notre fête, nous donne la grâce d’être davantage une offrande.
