3 avril 2022 -- 5ème dimanche de Carême "C"

Is 43, 16-21; Ph 3, 8-14; Jn 8,1-11

H O M É L I E

             "Si ton coeur t'accuse, Dieu est plus grand que ton coeur, et il connaît tout" -- Lorsque Jean écrivit cela dans une de ses Lettres, il pensait peut-être à la scène qu'il raconte dans l'Évangile d'aujourd'hui.    

             Le point culminant du récit est lorsque Jésus et la femme se retrouvent seuls, debout l'un et l'autre, se regardant en face, après que tous les autres furent partis.  Personne ne peut se trouver en présence du péché sans être troublé, sans doute parce que le péché de l'autre nous rappelle les nôtres.  Il n'y a que Dieu qui puisse regarder en toute sérénité le pécheur; et il n'y a que Dieu devant qui le pécheur puisse se tenir debout et conserver toute sa dignité, malgré son péché. 

             Jésus ne s'intéressait pas au péché, mais bien au pécheur.  Sa miséricorde envers les pécheurs, sa compassion et la sérénité qu'il manifestait lorsqu'ils se trouvait en leur présence surprenait et même scandalisait les Pharisiens.  C'était une chose qu'ils ne pouvaient pas comprendre.  Et quelle en était la raison ?  -- C'était qu'ils étaient préoccupés par le péché et non par le pécheur.  Ils enfermaient les personnes dans des catégories, et les traitaient en conséquence.  La Loi de Moïse leur a ordonné de lapider "ces femmes-là", disent-ils à Jésus.  La femme qu'ils ont amenée à Jésus n'est pas pour eux une personne avec un nom et une histoire. Elle est simplement "une de ces femmes-là".  Ne faisons-nous pas souvent la même chose, dans nos vies personnelles comme dans nos situations collectives ? -- Tel homme est "ce type de personne avec qui il n'est pas possible de dialoguer";  tel pays appartient à un type de pays qu'il faut envahir et punir; tel chef d'état appartient à ce type de criminel qu'il faut renverser.  Pour Jésus, personne n'appartient à une catégorie.  Chacun est unique et doit être reçu, accepté et aimé comme une personne unique.

             Les Pharisiens invitent Jésus à agir comme juge dans le cas qu'ils lui présentent.  Jésus se penche alors et se met à tracer des signes sur le sol, sans doute simplement pour leur montrer qu'il n'est pas intéressé à leur tribunal.  Lorsqu'ils insistent, il leur cite simplement un passage de la Loi, mais en le modifiant -- une modification en apparence légère mais lourde de sens et de conséquences.  Selon la Loi, le témoin d'un crime devait lancer la première pierre lors de la lapidation d'un criminel.  Jésus dit: "Que celui d'entre vous qui est sans péché lance la première pierre".  Par cette modification, Jésus pose le problème à niveau tout à fait différent.  Il ramène les accusateurs à leur propre conscience.  Ils partent tous, l'un après l'autre, reconnaissant ainsi qu'ils sont, eux aussi, pécheurs.  Jésus est plein de bonté même à leur égard.  Il ne se plait pas dans sa victoire sur eux.  Au contraire, il se penche de nouveau vers le sol, pour leur laisser la possibilité de partir sans perdre la face, sans être humiliés.

             Et lorsqu'ils sont tous partis, c'est alors que Jésus se relève, regarde la femme qui se trouve devant lui, et lui parle.  Ses mots sont simples:  "Personne ne t'a condamnée? -- Moi non plus je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus."

             Il y a de nombreuses leçons pour nous dans ce récit.  La première est celle de ne juger et surtout de ne condamner personne.  Et puis il y a une leçon de lucidité.  Tout le monde dans ce récit est lucide:  même les Pharisiens sont conscients de leurs propres péchés et partent.  La femme n'essaye aucunement de nier ou de justifier son péché.  Jésus connaît tous les coeurs.  Et la troisième leçon, sans doute la plus importante, est un enseignement sur l'attitude de Dieu envers les pécheurs que nous sommes.

             - Ce n'est pas une attitude humiliante et méprisante.

             - Ce n'est pas l'attitude d'un juge (il ne juge ni ne condamne).

             - Le péché ne l'intéresse aucunement.  Jésus ne pardonne pas explicitement le péché de la femme.  Il ne le mentionne même pas.  Il ne s'intéresse qu'à son avenir. "Va et désormais ne pèche plus".  Il ne lui donne pas une longue liste de recommandations et de mises en garde.  Il lui laisse toute la responsabilité d'organiser sa propre vie.  Il ne la met pas en garde contre un péché en particulier;  il est plus exigeant: : il lui rappelle l'importance de ne pas péché du tout.

             Une telle attitude de la part de Jésus était non seulement scandaleuse aux yeux des Pharisiens, mais était dérangeante même pour l'Église primitive.  Bien que ce récit ait tous les signes d'authenticité, il a été exclu des Évangiles canoniques.  Il n'apparaît pas dans les trois synoptiques, et ne se trouve que dans quelques manuscrits de l'Évangile de Jean. On peut facilement comprendre que cette scène était dérangeante, car la miséricorde et la compassion ne sont ni naturelles ni faciles aux hommes.  Heureusement, l'Esprit Saint a vu à ce que cette histoire soit préservée pour nous.

             Ce récit nous rappelle aussi qu'en ce temps de Carême Dieu veut que nos regards soient tournés vers la joie de la Résurrection, et qu'au lieu de ruminer nos péchés passés nous nous acheminions d'un pas ferme vers une vie nouvelle sans péché.