Saint Benoît

(Lc 22,24-27)

                                                                                                  Juillet 2021

Frères et Sœurs, parmi les évangiles qui nous sont proposés en cette fête de saint Benoît, il y a donc ce passage de Luc situé entre l’annonce de la trahison de Judas et celle du reniement de Pierre. Oui, pour entrer davantage dans l’esprit de cette vie monastique bénédictine, nous avons d’abord entendu ces mots : « Les apôtres en arrivèrent à se quereller : lequel d’entre eux, à leur avis, était le plus grand ? ». Avec querelles et mesquineries, nous sommes loin de l’image idyllique qui colle parfois à la vie monastique, cette vie paisible, faite d’un doux silence rempli d’une présence, une vie de communion facile, presque paradisiaque. Mais alors, nous sommes loin aussi d’une autre image – négative, cette fois - celle d’une vie en effet trop facile, d’une vie qui fuirait la vraie vie, le vrai monde ; d’une vie égoïste. Il est bon que « Les apôtres en arrivèrent à se quereller », et qu’aujourd’hui, les moines soient assimilés à ces apôtres querelleurs. Car nous le savons, la vie monastique n’est pas une vie hors-sol. Mais c’est bien au contraire en partant de ce que nous sommes, dans nos réflexes les plus primaires, que Dieu peut œuvrer et s’incarner. Là est le lieu possible du Salut ; là, parce qu’il y a quelque chose, quelqu’un à sauver. Avant nos prières et nos louanges, c’est peut-être bien cela que nous avons à offrir à Dieu, ce pauvre personnage que nous sommes avec toutes ses contradictions, contradictions que la vie monastique aura bien du mal à effacer, mais qu’elle pourra unifier autour d’un centre, une espérance : le Christ.

 

Et c’est pourquoi, en soi, cette vie est si simple : toujours le même horaire, le même lieu, les mêmes frères ; une vie qui se répète, non pour tourner en rond, mais pour approfondir, se laisser creuser, ou tout simplement se donner encore une fois la chance de découvrir ce que nous n’avions jamais su voir, entendre, comprendre. Se donner la grâce, comme le fils prodigue, de saisir qu’il est toujours possible de se mettre en route vers la maison du Père.

Pour vivre ce retour à Dieu, Benoît invite le moine, et finalement tout homme, à se mettre à l’écoute. C’est que nous avons entendu en première lecture dans le Livre des Proverbes : « Mon fils, accueille mes paroles, […] l’oreille attentive à la sagesse, le cœur incliné vers la raison. » Pas de suite du Christ si nous ne nous mettons pas à son écoute, et pas d’annonce non plus de la Bonne Nouvelle, si nous n’entendons pas son cri. Prendre le temps d’écouter l’Ecriture, la laisser habiter notre monastère intérieur. Mais aussi écouter cette Parole de Dieu qui se dit dans la vie. Notre Eglise, notre monde, notre planète, sont en crise, mais si nous écoutons, nous y entendrons l’appel au salut pour aujourd’hui que Dieu nous adresse.

Dieu veut sauver tout homme et les sauver rassemblés, pas les uns sans les autres. C’est là aussi le sens de cette vie commune que Benoît a organisée par sa Règle. Vie d’un long apprentissage où joies et difficultés s’entremêlent, où il nous faut à la fois toute notre force et dans le même temps la recevoir de Dieu. C’est bien ce que nous indiquait la deuxième lecture tirée de la Lettre aux Colossiens. Paul nous exhorte à nous revêtir, à supporter, à pardonner ; à vivre ! Et parallèlement, il nous rappelle que tout nous vient de Dieu : il nous a choisis, sanctifiés, aimés, pardonnés, appelés à la paix, habités par toute la richesse de sa Parole. Alors, frères et sœurs, s’il en est ainsi, se fermer à la vie commune, privilégier sa propre vie, son propre agenda, ce n’est pas tant se fermer aux autres que de se priver de la grâce et de la vie que Dieu veut pour nous de toute éternité.

Et j’en reviens alors à l’évangile et à cette querelle si naturelle des apôtres. Personne ne peut nier n’avoir jamais désiré être le plus grand, car il a bien des manières de l’être : par la taille, la force, la beauté ; l’intelligence, les diplômes ; la richesse, le travail ; être l’ami préféré, le meilleur copain ; ou tout simplement le supporter de l’équipe qui gagnera l’Euro 2020. Jésus connaît tout cela, Jésus nous connaît, et Benoît aussi, lui pour qui le monastère est une école du service du Seigneur. Car ni l’un ni l’autre ne nous demande d’être les plus grands, mais tout simplement d’être à notre place, d’être nous-mêmes. Ce qui importe, ce n’est pas le prestige de ce que nous faisons ou de ce que nous sommes, mais la façon avec laquelle nous le faisons et nous le sommes ; le don de nous-mêmes que nous y mettons. Comme le dit la sagesse juive avec le Rabbi Josua : « Quand je serai dans l’Au-delà, Dieu ne me demandera pas : ‘Pourquoi n’as-tu pas été Moïse ?’ mais ‘Pourquoi n’as-tu pas été Josua ?’ ».

Dans ce monastère ou ailleurs, c’est à devenir pleinement nous-mêmes que saint Benoît nous invite à travers sa Règle. Que cette eucharistie nous donne la grâce de poursuivre fidèlement notre route en découvrant davantage chaque jour Celui qui est « au milieu de nous comme celui qui sert ».