C ÉPIPHANIE MATTHIEU 02,01-12 (4)

Chimay : 05.01.2025

Rois Mages CopieFrères et sœurs, les premiers adorateurs de ce mystérieux Enfant, né dans la lignée du Roi David, étaient pour le moins surprenants : des bergers – population mal famée en Israël. Nous pourrions penser que les choses rentrent dans l’ordre avec l’Évangile de ce jour : les Mages représentent une caste sacerdotale – voire royale – chez les Perses ; venus du lointain Orient, ils viennent présenter comme il se doit leurs hommages au Messie. En fait, le scandale ne fait que croître ! Les bergers de mauvaise réputation appartenaient au moins au peuple élu, alors que ces princes étrangers sont franchement des païens. On comprend l’émoi que suscite leur quête auprès du roi Hérode et des sages de Jérusalem : « En quel lieu devait naître le Christ ? »

En choisissant de rapporter en détail cet événement, Saint Matthieu veut annoncer dès les premières pages de son récit, que l’Évangile est offert à l’humanité entière. Le caractère universel du salut, qui fait l’émerveillement du juif Matthieu, bouleversera également un autre juif, du nom de Paul : « Le Mystère du Christ, c’est que les païens sont associés au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus par l’annonce de l’Évangile » (Ep 3,6). Cette révélation ne rend pas pour autant obsolète la première Alliance : c’est bien à Jérusalem que se rendent les Mages car « le salut vient des Juifs » (Jn 4,22) ; et c’est de la bouche de gardiens de la Loi qu’ils apprennent le lieu où était né le Messie.

Et pourtant la seule Parole prophétique ne suffit pas : il faut le ministère de l’étoile pour que nos sages découvrent l’objet de leur recherche. La précision de la « très grande joie » éprouvée par les Mages à la découverte de l’étoile, est une allusion explicite à l’action de l’Esprit Saint. On voit mal en effet comment du haut du firmament un astre éloigné de plusieurs années-lumière, pourrait désigner une maison particulière parmi toutes celles de la bourgade de Bethléem ? A travers le langage symbolique de l’étoile, le récit nous révèle en fait un mystérieux Acteur céleste. Saint Matthieu avait déjà évoqué les Anges – c’est-à-dire les messagers de Dieu. Cette fois il oriente nos regards vers l’Esprit Saint, discrètement à l’œuvre dans tous les cœurs de bonne volonté. « Personne ne peut venir à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire vers moi » (Jn 6,44), proclamera bientôt Jésus, et cette attraction que le Père exerce par l’Esprit, commence dès les premiers instants de l’Incarnation. Car « la volonté du Père, c’est que tout homme qui voit le Fils et croit en lui obtienne la vie éternelle » (Jn 6,40).

Curieusement, les Mages semblent bien être les seuls à avoir vu se lever cette étoile. Certes Hérode ne risquait pas de la voir, lui qui préférait le faste bruyant de sa cour au silence de la méditation sous un ciel étoilé. Quant aux chefs des prêtres et scribes d’Israël, ils étaient sans doute trop convaincus de détenir la plénitude de la vérité dans leurs Écritures pour demeurer disponibles aux signes de leur accomplissement. Ils n’étaient plus disponibles à l’imprévu de Dieu, alors qu’ils étaient précisément chargés de veiller afin de pouvoir interpréter les interventions divines au cœur de l’histoire. Mais pour discerner une étoile, il faut s’enfoncer dans la nuit ; pour se laisser instruire par l’Esprit, il faut au préalable reconnaître son ignorance. Le récit de ce jour révèle que cette humilité a cruellement fait défaut aux chefs religieux de l’époque.

Mais nous-mêmes, ne péchons-nous pas de la même manière ? Qui d’entre nous n’a pas été ébranlé par des questions troublantes nous interpellant sur le cœur même de notre foi : « Croyez-vous vraiment que Celui que l’univers ne peut contenir, se soit fait homme ? Que l’Ineffable se soit exprimé dans notre langage humain ? Que l’Éternel soit entré dans le temps ? » Si nous tentons de répondre à ces interpellations comme on essaie de résoudre un problème de mathématique, voire de philosophie, nous découvrons avec angoisse que nous pouvons certes argumenter, mais guère démontrer le bien-fondé de nos convictions. Car seule l’étoile peut nous conduire là où les apparentes contradictions sont dépassées. L’étoile est ici la lumière surnaturelle de la foi, qui est d’une autre nature que celle de notre intelligence naturelle. Seul celui qui reconnaît les limites de la raison humaine et confesse humblement son ignorance des mystérieux desseins de Dieu, peut recevoir l’illumination de l’Esprit et se laisser guider par lui au lieu où Dieu se donne dans un Enfant.

« Mille questions ne font pas un doute » disait Saint Vincent de Paul : mille questions qui demeurent sans réponse pour notre intelligence ne devraient pas ébranler notre foi, mais nous inviter tout au contraire à soumettre notre raison naturelle à la lumière de la Révélation. Comme les Mages, c’est de nuit que nous nous approchons de l’Enfant, guidés par les prophètes de la première Alliance dont nous avons fait la lecture, et illuminé par l’Esprit Saint que nous avons invoqué sur nous. Puis, après l’avoir adoré et nous être unis à lui dans l’Eucharistie, nous regagnerons nos pays respectifs « par un autre chemin » : celui de l’Évangile. Car nous serons devenus les disciples de Celui en qui nous reconnaissons le roi, le prêtre et le prophète des temps nouveaux, Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui nous offrons l’or de notre adoration, l’encens de notre louange et la myrrhe de notre reconnaissance.

Dans les ténèbres qui couvrent la terre, luit aujourd’hui une admirable lumière. Pourtant, le combat continue. Nous sommes toujours pris dans une lutte impitoyable entre le jour et la nuit, entre la vérité et le mensonge, entre la joie de l’amour et les méfaits de la haine. Le mal n’aura pas le dernier mot, disent, unanimes, le prophète Isaïe, le psaume 71, saint Paul et saint Matthieu. Délivrés, les déportés reviennent de loin. Dispersés, les voilà rassemblés par Dieu à Jérusalem. Mais rien n’est gagné. Les puissants continuent de s’agiter, Hérode s’affole, les docteurs de la Loi, troublés et soumis, scrutent les Écritures pour trouver la réponse qui satisfera le tyran. Venus d’Orient, des mages érudits suivent une étoile. Eux ont le cœur simple, l’esprit droit. D’un côté la peur, de l’autre la joie. Une grande joie. La grande Jérusalem est en émoi. Dans la petite Bethléem, Marie et l’enfant reposent au calme. Tout y est : silence, attente et déjà adoration. C’est le monde à l’envers : des rois se prosternent devant un petit pauvre. D’un côté, un sinistre complot dans le mensonge et le secret ; de l’autre, la vérité toute simple, sans défense, livrée au grand jour. « Ce mystère n’avait pas été porté à la connaissance des générations passées » (Ep 3,5). Mais aujourd’hui, tout est révélé. Si Israël est le peuple élu, toutes les nations partagent son héritage, sont associées au même corps, à la même promesse. « Todos, todos, todos », dirait le pape François.