Supérieur ad nutum ou supérieur vicaire
(Document de travail pour le Chapitre Général de 1999)
La multiplication des supérieurs ad nutum au cours des dernières années a parfois créé des situations complexes, surtout lorsqu'une maison ayant une filiation nombreuse a un supérieur ad nutum durant un temps un peu prolongé.Pour remédier à ces problèmes on a suggéré d'introduire la figure du supérieur vicaire.
À mon avis l'introduction de cette figure du supérieur vicaire ne résout rien et crée même de nouveaux problèmes.
Il est vrai que le supérieur vicaire est supérieur majeur alors que, dans notre droit actuel, le supérieur ad nutum ne l'est pas. Dans le concret, toutefois, cela ne fait vraiment aucune différence.On a donné comme principal argument que le vicaire peut s'occuper des maisons-filles.Mais il ne peut le faire que si le Père Immédiat lui a donné pouvoir vicaire non seulement sur sa communauté mais aussi sur ses maisons-filles.Or, rien n'empêche un Père Immédiat qui nomme un supérieur adnutum de lui donner aussi la responsabilité sur ses maisons-filles.
En fait le problème réside dans la figure du supérieur ad nutum tel que nous l'avons établie dans nos Constitutions.Selon le Droit canon, le supérieur d'une maison sui iuris est de droit supérieur majeur.Au moment où nous avons rédigé nos Constitutions à Holyoke, nous avons pris connaissance de ce canon et nous avons décidé d'y déroger en disant que notre supérieur ad nutum n'est pas un supérieur majeur mais a simplement un pouvoir délégué.
C'est là, à mon point de vue, que réside le problème.Je crois d'ailleurs que nous sommes les seuls, parmi les Congrégations monastiques, à avoir une telle législation.Ailleurs, on a généralement, dans de telles circonstances, un "prieur administrateur" qui est un supérieur majeur; ou un supérieur "ad nutum" qui est aussi un supérieur majeur, dont la seule caractéristique est qu'il est nommé pour un temps laissé au jugement de celui qui le nomme, au lieu d'être élu.
Il ne faut pas oublier qu'une maison qui a un supérieur délégué ou même un supérieur vicaire est une maison dont le siège est vacant.Or, il faut se souvenir du principe général du droit: «sede vacante nihil innovetur"; ce qui vaut aussi pour le Père Immédiat.
Il y a un problème fondamental avec la notion de délégation en ce cas.On ne peut déléguer un pouvoir qu'on n'a pas.Or, contrairement à ce qu'on dit couramment, il n'est pas du tout évident que le Père Immédiat puisse être considéré comme le supérieur canonique d'un monastère privé de supérieur.Les Constitutions disent simplement que lorsqu'un monastère est sans supérieur, le Père Immédiat doit prendre les mesures nécessaires.Cela ne le constitue pas supérieur canonique de la maison.La maison demeure "sede vacante" et le Père Immédiat ne peut prendre que les mesures qui s'imposent et ne peut déléguer un pouvoir plus grand.
La figure de supérieure ad nutum est encore plus problématique dans le cas des moniales.Lorsqu'une maison de moniales est sans abbesse, ce n'est par le Père Immédiat mais la prieure qui a la responsabilité de s'occuper des affaires courantes.Donc, lorsque le Père Immédiat nomme une supérieur ad nutum, il lui délègue un pouvoir qu'il n'a pas lui-même.
La structure fondamentale de notre Ordre est celle de la Filiation, qui est une relation non pas directement entre personnes mais entre communautés.Dans notre situation actuelle, lorsqu'une maison qui a des maisons-filles, a un supérieur ad nutum, elle demeure maison-mère, avec les responsabilités que cela implique, alors que c'est le supérieur de la maison-mère qui agit comme père-immédiat.
Plutôt que d'introduire la figure d'abbé vicaire, qui introduirait de nouveaux problèmes, il me semble que la façon la plus simple de résoudre tous les problèmes ci-dessus mentionnés, serait de nous conformer au droit commun et d'imiter les autres Ordres ou Congrégations monastiques, en considérant notre supérieur ad nutum comme un supérieur majeur, ayant une autorité propre et non déléguée.
Il reste toujours possible à un Père Immédiat, lorsqu'il nomme un supérieur ad nutum de lui conseiller de déléguer à quelqu'un d'autre, au moins durant un certain temps, le soin de ses maisons-filles.
Une question plus large, que je nepuis développer ici, mais qui mériterait d'être étudiée par l'Ordre est celle de l'utilisation que nous faisons depuis un certain nombre d'années de la figure du supérieur ad nutum.On l'utilise de plus en plus comme "noviciat" d'un futur abbé ou comme un "mariage à l'essai". Je crois que cette pratique a contribué plus que toute autre chose à la transformation de l'attitude de beaucoup de moines et de moniales envers leur abbé ou leur abbesse.
Armand Veilleux, abbé de Scourmont