Homélies de Dom Armand Veilleux

26 juin 2023 - lundi de la 12e semaine Ord.

Gn 12, 1-9 ; Mt 7, 1-5

Homélie

           Le récit de la vocation d'Abraham, que nous avons entendu dans la première lecture, est un texte fondamental pour la spiritualité monastique.  Surtout, il est facile d'établir un parallèle entre le pèlerinage d'Abraham et la fondation de Cîteaux.  

           Le père d'Abraham est né à Ur, en Chaldée (Gn 11, 31) et s'est installé à Haran, beaucoup plus au nord.  Naître à Ur signifiait appartenir à la culture la plus développée de l'époque.  Cependant, ce développement et les conflits qu'il a engendrés, ont provoqué un important mouvement de migration vers le Nord au cours du 17ème siècle avant JC. Le père d'Abraham et sa famille avaient été emportés par ce mouvement migratoire et s'étaient installés à Haran, à 1 500 kilomètres au nord d'Ur.  C'était à la limite de la civilisation sumérienne à laquelle Ur appartenait.  Pour aller au-delà, il fallait changer de culture.

           Abraham fait alors partie d'une première génération d'immigrants à Haran.  Et nous savons qu'une première génération d'immigrants dans un nouveau pays a toujours besoin de stabilité et de sécurité pour pouvoir s'enraciner.  Or, Abraham reçoit de Dieu un appel à abandonner cette stabilité et cette sécurité et à s'aventurer au-delà des frontières de sa culture - un appel à se lancer dans un voyage vers l'inconnu, sans autre sécurité que la parole de Dieu.  Il a accepté cette parole et c'est pourquoi il est appelé le père de tous les croyants.  Il s'est "mis en route sans savoir où il allait" - dans la foi.

           Nos Pères cisterciens, Robert, Alberic et Etienne ont vécu cette pauvreté absolue de la foi, cette spiritualité de l'Exorde. La vie des premiers cisterciens était très pauvre, matériellement ; pourtant, il y avait une pauvreté bien plus radicale en quittant Molesme.  Ils avaient laissé non seulement une grande abbaye bien organisée, avec de riches protecteurs et de grandes propriétés terrestres, mais aussi - et surtout - ils avaient laissé la sécurité d'une forme de vie monastique respectable, reconnue et estimée par tous.  Ils partent vers des terres inconnues, regardant le nuage pour savoir où s'arrêter et planter leur tente.

           De nos jours, de nombreux monastères, surtout dans les jeunes Églises, vivent dans une grande insécurité matérielle. Il existe cependant une autre forme de pauvreté que de nombreuses communautés vivent et vivront probablement encore longtemps.  C'est la pauvreté que les cisterciens ont connue avant la venue de Bernard et de ses compagnons. C'est une pauvreté qui consiste à ne pas avoir un avenir clair et certain du point de vue humain - à être totalement entre les mains de Dieu.  C'est surtout le fait d'appartenir à un monachisme en évolution, dans une Eglise en évolution, dans une société qui cherche ses fondements.

           Vivre avec la conscience de cette vulnérabilité est probablement la principale forme de pauvreté que nous sommes appelés à vivre aujourd'hui.  Si nous la vivons dans la paix et la sérénité, elle sera probablement, si Dieu le veut, le point de départ d'une nouvelle vitalité pour toutes les maisons de notre Ordre.  Ce sera aussi une façon de vivre en solidarité avec les millions de personnes qui vivent aujourd'hui l'insécurité du chômage et de l'exil.

25 juin 2023  -- 12ème dimanche "A"

Jér 20,10-13; Rom 5,12-15; Mat. 10:26-33

Homélie

          Dans la dernière des béatitudes (Mt 5,10-12) Jésus avait déclaré bienheureux ceux qui sont persécutés pour la justice.  « Heureux êtes-vous, avait-il dit, lorsque l’on vous insulte, que l’on vous persécute et que l’on dit faussement contre vous toute sorte de mal à cause de moi. »  Et il ajoutait « C’est ainsi en effet qu’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés. »  Le passage d’Évangile que nous venons de lire commente en quelque sorte et explique cette béatitude

20 juin 2023 – mardi de la 11ème semaine du Temps Ordinaire

2 Cor 8, 1-9 ; Mt 5, 38-48

Homélie

          Cet Évangile est la suite de celui d’hier, dans lequel Jésus nous appelait à présenter l’autre joue, lorsque quelqu’un nous frappe. Puis il nous invite ensuite à ne pas répartir nos frères humains en catégories, faisant des uns des amis et des autres des ennemis.

24 juin 2023 –Solennité de saint Jean-Baptiste

Is 49, 1-6 ; Actes 13, 22-26 ; Luc 1, 57---80 

 

H O M É L I E

          L’iconographie traditionnelle nous présente souvent un Jean-Baptiste sévère, hirsute et à l’allure plutôt rébarbative.  Une telle présentation peut évidemment s’inspirer de quelques passages des Évangiles nous rappelant sa prédication et ses appels à la conversion et à la pénitence.  Et pourtant, le thème qui revient sans cesse dans les récits relatifs à sa naissance est celui de la joie.

19 juin 2023 – lundi de la 11ème semaine

2 Co 6, 1-10 ; Mt 5, 38-42

 

Donner l’autre joue

 

Ce passage d’Évangile me ramène à la mémoire une scène de la vie de Mahatma Gandhi. Il s’agit d’un événement se situant vers la fin de la vie de Gandhi.  L’Inde vient tout juste d’obtenir son indépendance, mais elle s’est déjà divisée en deux pays : l’Inde elle-même, un pays hindou et le Pakistan, un pays musulman ; et une guerre civile fait rage dans les principales villes entre les musulmans et les hindous.  Gandhi commence alors un jeûne, décidé de ne rien manger tant que la paix ne sera pas rétablie entre les deux factions. C’est alors qu’un homme de religion hindoue vient trouver Gandhi. Il est désespéré, convaincu d’être damné pour toujours parce qu’il a tué un enfant musulman.  Il l’a tué pour se venger parce que des musulmans avaient tué son propre enfant. Gandhi lui dit alors ce qu’il doit faire pour éviter la damnation.  « Va, dit-il, trouve un enfant du même âge que celui que tu as perdu, adopte-le et élève-le comme ton propre enfant.  Mais surtout prend bien soin de choisir un enfant musulman et de l’élever comme un bon musulman.

           Même si Gandhi n’était pas chrétien, il serait difficile de trouver une application plus authentique du message de Jésus dans l’Évangile d’aujourd’hui.

           Après plus de deux mille ans de chrétienté, il y a encore la guerre aux quatre coins de la planète, et elle est souvent menée par des pays chrétiens, ou en tout cas des millions de chrétiens y participent. Mais, surtout, nous avons nos petites guerres privées.  Ce peut être un accrochage de quelques minutes ou un conflit qui dure quelques jours.  Ce peut aussi être une tension qui dure quelques années.  Le commandement de présenter l’autre joue n’est pas plus raisonnable aujourd’hui qu’il l’était au temps de Jésus, ou qu’il l’a été durant les deux derniers millénaires.  Mais il demeure la seule façon d’être parfait comme notre Père du ciel est parfait, et donc la seule façon d’entrer dans la vie éternelle.

           La source des tensions interpersonnelles comme celle de toutes les guerres est que nous oublions que nous sommes possédés par la Vérité et nous prétendons la posséder. Nous pensons être les seuls propriétaires de la vérité, de Dieu, de la justice. Nous sommes toujours tentés de retourner à la morale de l’Ancien Testament, qui incarnait une religion territoriale.  Dieu était conçu comme le dieu d’un peuple, d’une terre. Bien sûr, il y avait d’autres pays et d’autres peuples qui avaient leurs propres dieux; ils étaient tout au plus tolérés si on n’était pas en conflit ouvert avec eux.     

Les grandes guerres mondiales de notre époque et beaucoup d’autres conflits nous ont montré la force destructrice de toute forme de racisme et de nationalisme. Toute limitation de l’amour à des limites spatiales, à travers des murs, qu’ils soient matériels ou autres, est une recrudescence du polythéisme du temps de l’Ancien Testament, qui limitait les dieux à des territoires spécifiques.  Le monde politique des dernières années a fait renaître ce polythéisme ancien et, en tant que chrétiens, nous avons le devoir de ne pas nous laisser entraîner par cette mentalité.

La pire forme d’idolâtrie, cependant, est probablement celle qui consiste à transformer en idoles ses propres désirs et la recherche de ses satisfactions personnelles.  Demandons au Seigneur la pureté du cœur qui nous permettra de voir Dieu en chaque personne et nous préservera de tout manquement à l’amour du prochain.

Armand Veilleux

          

21 juin 2023 – Mercredi de la 11ème semaine

2 Co 9,6¡11; Matt 6, 1-6. 16-18 

Homélie

           Dans ce que nous appelons le Sermon sur la montagne, c’est-à-dire le long discours par lequel, dans l’Évangile de Matthieu, Jésus commence sa prédication, il établit d’abord, dans la série de béatitudes, la charte fondamentale du monde nouveau – du Royaume des cieux -- qu’il veut instaurer.  Puis Jésus explique qu’il n’est pas venu abroger la Loi mais la porter à sa plénitude, et il conclut : « si votre justice ne dépasse pas celles des Scribes et des Pharisiens, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux »

Homélie pour le 11ème dimanche du temps ordinaire « A »

18 juin 2023

Exode 19, 2-6 ; Romains 5, 6-11 ; Matthieu 9, 36-10, 8 

H O M É L I E

          Le récit que nous avons lu dans la première lecture se situe à peine trois mois après que le peuple d’Israël fût sorti d’Égypte, et qu’il fût arrivé en face du Sinaï où aura lieu la rencontre entre Moïse et Dieu.  Moïse entreprend de monter vers Dieu et Dieu l’appelle du haut de la montagne. Le message reçu n’est cependant pas pour Moïse tout seul ; il est pour tout le peuple avec qui Dieu veut faire une Alliance et à qui il confie une mission collective : « vous serez pour moi un royaume de prêtres, une nation sainte ».