Jeudi Saint : Mars 2018
Frères et Sœurs, en ce Jeudi Saint, nous célébrons la nuit où le Seigneur Jésus prit un dernier repas avec ses disciples avant d’être crucifié. Ce repas, saint Paul nous en a parlé dans la seconde lecture, les 3 évangiles synoptiques le relatent, et saint Jean en fait mention à travers cet épisode du lavement des pieds en précisant qu’il se situe « au cours du repas ».
Ces textes montrent combien ce repas a marqué les disciples et donc combien il est important. Il l’est d’autant plus que, nous le savons, la Bible ne manque ni de repas, ni de banquets, et ce thème revient plusieurs fois dans les évangiles ; il suffit ici simplement de rappeler la fraction du pain avec les disciples d’Emmaüs qui alors reconnurent Jésus.
Ce repas, nous aussi, nous y participons chaque fois que nous vivons l’eucharistie et, pour un certain nombre d’entre nous, c’est tous les jours. A l’exemple des disciples, je serais donc tenté de nous demander si ce repas nous marque réellement et en quoi il nous est si important ?
Rappelons d’abord que dans l’eucharistie, c’est tout le mystère pascal, tout le mystère du salut que nous célébrons, et non pas seulement la Cène du Jeudi Saint. Ou plus exactement, si nous célébrons cette Cène, c’est parce que Jésus y est totalement ouvert, donné et confiant au dessein du Père, si bien que ce repas est déjà, au-delà de la mort, Résurrection. Et c’est bien ce Jésus que nous décrit saint Jean dans l’évangile que nous avons entendu : un Jésus totalement maître des évènements, parfaitement uni au Père vers lequel il retourne. Ainsi, dans la Cène, nous célébrons cet abandon confiant de Jésus à son Père, et à travers lui, cette confiance recouvrée de l’homme en son Dieu qui retourne à la vie, de nouveau ouverte, promise.
Jésus est maître parce qu’il sait qu’il est dans la main de Dieu et qu’il n’a donc pas de crainte à avoir. Il est maître aussi entant que berger qui nous ouvre le passage et nous entraîne à sa suite. Mais c’est ce maître qui se fait serviteur. Serviteur du Père auquel il s’abandonne, et serviteur des hommes qui, sans lui, poursuivraient leur errance sans fin et sans but dans le désert.
Lors de ce repas, Jésus est serviteur tout simplement en donnant le pain et la coupe ; et il l’est bien sûr en donnant son corps et son sang ; et ce don, ce service, saint Jean le dit par le lavement des pieds. Ce geste, avant d’être un exemple pour nous, ou plutôt pour qu’il soit un véritable exemple, exprime donc d’abord, non ce que Jésus fait, mais qui il est. Cet homme aux pieds d’un autre nous dit qui est Dieu, un Dieu on ne peut plus proche, loin de cette image terrible du Dieu qui condamnerait. Cet homme aux pieds de Judas qui l’a déjà trahi, comme aux pieds de Pierre qui le reniera, maître de tous et de tout par la profondeur de son service, « les aima jusqu’au bout », et nous aime, et nous sert, et se donne aujourd’hui, en chaque eucharistie, jusqu’au bout, malgré tout, malgré nous. Cette victoire de l’amour se réalise en chacune de nos eucharisties.
Le geste du lavement des pieds, Jésus nous commande de le vivre à notre tour : « Vous devez vous laver les pieds les uns des autres ». Ainsi, en chaque eucharistie, lorsque nous nous approchons du Seigneur, avec tout notre désir, notre amour, notre espérance, nous devrions aussi exprimer par là notre désir de servir nos frères et sœurs, notre amour pour eux, notre espérance de ne former qu’un seul corps et un seul esprit avec eux.
Alors, nous le savons, quand Jésus nous donne un exemple de la vie fraternelle, il ne nous laisse pas seul avec notre bonne volonté, ou plutôt notre faible volonté. Jésus, dans le mystère pascal, dans ce mystère du salut, nous ouvre le chemin du possible, du promis, parce que c’est en Fils qu’il agit et qu’il nous donne d’agir. Sa Pâque, avant d’être un passage de la mort à la vie, est passage vers le Père : « l’heure … venue pour lui de passer de ce monde à son Père… ». Jésus nous donne d’être fils dans le Fils, d’entrer à sa suite dans cette confiance totale au Père, ce Dieu qui seul, nous l’avons dit, est Maître et Seigneur, Maître et Serviteur, et qui fait, fera, de nous des serviteurs aux pieds de nos frères, paradoxalement à l’image de la croix, le seul lieu où l’homme est grand, stable, fils et frère.
Frères et sœurs, l’exemple que Jésus nous donne est d’abord celui de l’accueil, comme deux mains ouvertes. Il se reçoit du Père et nous devons nous aussi nous recevoir de lui. Pierre n’aura pas de part avec Jésus s’il n’accueille pas ce qu’il lui donne, ce qu’il lui fait, et nous devons accueillir à notre tour ce que Dieu veut pour nous, et c’est en agissant en fils que nous l’accueillerons réellement. Le repas dont nous faisons mémoire aujourd’hui, c’est-à-dire qui se vit encore aujourd’hui dans son actualité, est gloire de Dieu et salut du monde, parce qu’il est accueil et service de Dieu dans tout homme.