13e dimanche ordinaire A - 2 Juillet 2017
Frères et sœurs, nous connaissons tous les évangiles où Jésus appelle ses premiers disciples. Nous y voyons André et Simon-Pierre, Jacques et Jean, « aussitôt », quitter leurs filets et leur barque, leur rivage, pour suivre Jésus. Il y a aussi Matthieu le publicain qui, sur un mot, un regard, se lève, quitte et suit.Ces passages sont pour nous, au sens propre, interpelant. Que s’est-il passé pour que ces hommes répondent ainsi, si rapidement, si facilement, à cet appel, à ce Jésus ? Oui, nous aurions aimé être là pour percevoir quelque chose de cette attirance irrésistible. Nous aurions même aimé être tout simplement à leur place pour être nous aussi, comme dans un élan, appelés, attirés, transportés, et vivre avec Jésus de Nazareth.
Dans son chapitre 10, dont sont tirés l’évangile de dimanche dernier et celui d’aujourd’hui, Matthieu relate l’envoi en mission de ces appelés, les douze, à qui Jésus donne en quelque sorte le contenu de leur appel et de ce qui les attend. Il faut bien reconnaître que nous nous éloignons alors du rêve et de la facilité, puisqu’il est cette fois question d’être digne ou non de Jésus, de prendre sa croix, ou encore de perdre sa vie.
En entendant ces paroles, nous pourrions oublier notre enthousiasme, notre volonté de bien faire ; nous considérer indignes et incapables de suivre Jésus ; croire tout simplement que cet appel ne nous est pas ou ne nous été pas adressé. Bref, poursuivre notre bout de chemin comme nous pouvons, sans trop déranger les autres, et dire, comme nous l’entendons souvent : « après tout, je ne fais de mal à personne ». Alors oui, certainement ou peut-être, nous ne faisons pas de mal aux autres, mais à quoi les ouvrons-nous ? Quel chemin de vie, de joie, leur montrons-nous ? Quelle aide, quel appui, sommes-nous pour eux ?
C’est à la lumière de ces questions que nous pouvons entendre les paroles de Jésus. Leur radicalité est moins dans l’exigence qu’elles supposent que dans la dénonciation, en tous les cas la mise en évidence, de nos pesanteurs et de nos résistances, de nos frilosités et de nos complaisances. Jésus nous appelle à nous mettre debout, d’un bond, et à le suivre, mais pas pour atteindre le but en une seule traite. Il s’agit de tendre vers ce but, de le chercher, de l’apercevoir de dos, de l’accompagner, de poser le pas d’aujourd’hui. Oui, c’est peut-être la seule radicalité de l’évangile : oser, essayer, désirer poser le pas d’aujourd’hui, et qu’importe hier ou demain… Frères et sœurs, nous sommes simplement invités chaque jour à nous mettre en route avec le Christ, avec confiance.
Marcher avec lui, le suivre, l’accompagner, nous fait vivre, comme le dit l’évangile, un chemin d’unification, de cohérence. Non pas aimer moins son père et sa mère, son fils ou sa fille, mais s’attacher, désirer vraiment celui qu’on a choisi librement de suivre. Vivre le présent en sa présence, et non pas tourné vers le passé – le père et la mère – ou le futur – le fils et la fille. Renoncer à nos sécurités – le père et la mère – et à nos projets – le fils et la fille – pour apprendre à mettre notre véritable sécurité en Dieu en faisant nôtre son projet, projet qui ne s’oppose pas à ce que nous sommes, mais qui au contraire, le révèle. Prendre sa croix, c’est-à-dire consentir au quotidien, à ce qu’est réellement notre vie, notre choix de vie, et non pas s’évader dans ce que nous ne sommes pas. Oui, paradoxalement, il semble que perdre sa vie consiste justement à consentir à ce qu’elle est, et à ce qu’elle n’est pas, et non pas à la rêver, à se rêver autrement.
Ce chemin, notre chemin, nous le prenons parce que nous désirons vivre avec le Christ, parce que nous aussi nous avons été saisis, appelés par lui. Mais évidemment, il y a en nous l’attente d’une récompense ou d’une consolation ; nous l’attendons de Dieu, nous l’attendons des autres. Des autres, j’oserais dire en exagérant que Jésus nous dit finalement de ne rien attendre. Non pas qu’ils ne seraient pas bons à notre égard, mais parce que – tel celui qui consent à perdre sa vie – c’est à nous de donner, c’est en donnant que nous recevons. « Qui accueille un prophète en sa qualité de prophète recevra une récompense de prophète ». Tu veux un sourire ? Donne-le. Tu veux de la compréhension ? Donne-la. C’est à nous d’ouvrir le chemin de l’amour que nous désirons tant pour nous-mêmes. C’est à nous, les appelés, les envoyés, de faire naître, vivre, de révéler, voire même de ressusciter celui que nous désirons tant dans notre propre vie. Et c’est ainsi qu’au détour d’un verre d’eau, peut-être sur la margelle d’un puits comme la samaritaine dans l’évangile de saint Jean, dans le regard « de l’un de ces petits », nous rencontrerons le Christ, le Christ fatigué du chemin, de notre chemin, mais présent, vivant à nos côtés.