27e dimanche ordinaire C - Octobre 2016

 Lorsque l’on doit effectuer un travail physique difficile, on aimerait être plus fort pour qu’il nous demande moins d’effort et que ça aille plus vite. L’homme a toujours cherché les moyens scientifiques et techniques pour se faciliter la vie, pour multiplier ses forces, pour rendre possible ce qui ne l’était pas. Eh bien les apôtres, en demandant au Seigneur d’augmenter leur foi, se positionnent peut-être dans la même ligne. Voilà déjà quelque temps qu’ils suivent Jésus, qu’ils entendent les exigences de l’évangile, qu’ils apprennent à reconnaître leurs faiblesses, et face à tout cela, face à cette montagne qui semble peu à peu se dessiner, face à ce Jésus parfois si déroutant, ils ressentent, et nous avec eux, le besoin d’un supplément de force, et avouons-le, davantage de certitudes et de sécurité.

 

Mais Jésus leur indique qu’avoir « de la foi, gros comme une graine de moutarde » serait plus que suffisant. Je pense que vous avez déjà vu cette graine ; elle a un diamètre d’un millimètre…

Si nous ne connaissions pas cet évangile, et si on nous avait demandé d’estimer la taille de notre foi, nous n’aurions certes pas osé la comparer à un potiron ou une pastèque, mais nous aurions entendu parler de pommes, de prunes, de cerises, peut-être serions-nous descendus jusqu’à des cacahuètes, mais pas beaucoup plus bas. Alors qui parmi nous oserait dire qu’il a une foi plus petite que cette graine de moutarde ? Nous aurions donc tous cette capacité, cette puissance de dire à des arbres de se déraciner pour aller se planter dans la mer. Avouons que c’est plutôt encourageant !

Et pourtant, en utilisant la conjonction « si », Jésus laisse entendre que la foi des apôtres, et à fortiori la nôtre, est encore bien plus petite que cette graine de moutarde. Oui, reconnaissons-le, notre foi est petite et fragile. Mais, à l’image de la graine, ce qui importe finalement, ce n’est pas tant sa taille que ce qu’elle porte de vie et de promesse ; ce qu’elle est capable de faire et d’engendrer. Alors certes, nous ne saurons pas nous faire obéir des arbres pour qu’ils aillent se planter dans la mer, mais après tout, personne, pas même Jésus, ne nous demande de réaliser un tel exploit. Et surtout, entre ce prodige et rien, il nous reste de la marge pour agir, car là est bien l’enjeu de la foi : agir.

Une graine, si le jardinier et la nature lui en offrent les conditions, va se déployer, se développer, pour devenir ce qu’elle était appelée à être depuis toujours. Notre foi, elle aussi, est appel à la vie, appel à l’action, appel à se déployer pour que nous puissions, et devenir pleinement nous-mêmes, et montrer et donner au monde ce qui est au cœur de notre vie. Et ce cœur, ce que notre cœur désire par-dessus tout, c’est Dieu, Dieu qui est amour. La foi recèle donc du trésor de l’intimité entre Dieu et chacun de nous. Seule cette relation, cet amour, nous permettra de persévérer à la suite du Christ. Notre foi, si petite et si fragile soit-elle, sera toujours bien suffisante si elle naît et se nourrit de l’amour. L’amour de Dieu, nous l’avons dit, mais aussi l’amour de l’autre. Car, nous le savons, la suite du Christ passe par le chemin de la rencontre de l’autre, de son amour, de son service. L’appel de Dieu est toujours un appel à l’autre, comme la conversion à Dieu est toujours une conversion à l’autre. « J’aurais beau avoir toute la foi jusqu’à transporter les montagnes, s’il me manque l’amour, je ne suis rien » (1 Co 13,2) dit saint Paul aux Corinthiens. Ainsi, le Christ nous invite à être ce simple serviteur dont il nous parle dans la deuxième partie de l’évangile, parce que telle est notre vie, telle est notre place, telle est notre récompense.

Oui il nous faut de la foi et de l’amour pour découvrir peu à peu que vivre selon la volonté de Dieu, c’est servir. Pensons ici au fils aîné de la parabole du fils prodigue, qui lui aussi était aux champs mais qui, aveuglé par l’attente d’une récompense quelconque, ne voyait pas que tout ce qui était au père était à lui, ne comprenait pas que sa vie, la plénitude de la vie, était dans le service de son père et des autres.

Notre foi n’atteint pas la taille d’une graine de moutarde et je crois que nous pouvons dire aussi que nous ne sommes même pas de « simples serviteurs » parce que nous n’avons pas encore exécuté tout ce qui nous a été ordonné. Nous sommes sur le chemin où nous apprenons à servir et à aimer et, comme nous le disions des apôtres, nous aurions bien besoin d’un supplément de force pour tomber moins souvent et avancer plus vite. Mais ici encore, notre force, notre certitude, notre sécurité, c’est le Christ, et c’est aussi, en lui et grâce à lui, la patience, l’indulgence, le secours de nos frères et de nos sœurs. Que le Seigneur nous donne alors la foi pour vivre son amour qui vient à nous à travers eux.