Toussaint 2016 - (Mt 5, 1-12a)
Frères et sœurs, en fêtant la Toussaint, nous vénérons les saints, grands et petits, connus ou inconnus ; nous célébrons la communion qui nous lie à eux ; et nous rappelons l’appel à la sainteté adressé à chacun de nous, la promesse de sainteté qui nous est faite [fête]. Oui, aujourd’hui nous pouvons dire que nous approchons du ciel, avec cette multitude de saints qui nous entourent, ces églises un peu plus remplies que d’habitude, et ce mot si désiré, si espéré, et ici scandé neuf fois : « Heureux ! » Lorsque les auditeurs de Jésus l’entendent le prononcer, ils peuvent eux aussi se réjouir et croire avoir atteint le but. Jésus vient en effet de proclamer que « le royaume des Cieux est tout proche » (Mt 4,17), et « de grandes foules le suivirent venues de la Galilée, de la Décapole, de Jérusalem, de la Judée, et de l’autre côté du Jourdain » (Mt 4, 25), comme « cette foule immense, que nul ne pouvait dénombrer » dont nous parle l’Apocalypse (Ap 7,9). Et « Jésus gravit la montagne », le lieu de la rencontre avec Dieu, pour, nous l’avons dit, proclamer à nos oreilles et à nos cœurs, ce mot : « Heureux… ». Et alors tout s’enchaîne : Le royaume des Cieux, la consolation, la terre en héritage, le rassasiement, la miséricorde, la vision de Dieu, et être appelé fils de Dieu. Bref, notre « récompense est grande dans les cieux ! » Être ainsi comblé, c’est finalement ce à quoi nous aspirons et c’est ce qui nous est promis, ce qui nous est donné.
Et pourtant, ce qui ressemble à une entrée triomphale du Messie réclame au préalable une pâque, un passage par la porte étroite. Si nous voulons entrer en possession de tous ces biens, nous devons d’abord consentir et même accueillir comme une grâce, ou en tous les cas avec l’aide de la grâce, notre pauvreté de cœur, nos pleurs, notre faim et notre soif de justice ; et nous devons rechercher à être doux et miséricordieux, purifier notre cœur, travailler à la paix, accepter les persécutions, insultes et calomnies à cause de Jésus. Il ne s’agit pas ici de vouloir réaliser des exploits de charité ou d’ascèse, ou encore de renoncer aux joies de la vie pour préférer ce qui serait dur et douloureux ; nous savons bien que ces difficultés nous les rencontrons sans avoir à les chercher ou à les inventer. Il s’agit donc tout simplement de regarder ce qui fait notre quotidien, de reconnaître ce qui s’y oppose au royaume des Cieux, de confesser que ces pauvretés sont bien d’abord les nôtres et non pas, comme trop souvent nous le disons, celles des autres, et de choisir de réorienter notre vie en offrant au Christ ce que nous sommes : à la fois bons et moins bons, saints et malsains. « Le royaume des Cieux est tout proche », il est là, ici et maintenant, dans notre quotidien infirme, blessé et pauvre. Si nous le cherchons dans ce qui va bien, avouons que nous aurons vite fait le tour, et que trop souvent nous croirons le trouver dans le rêve ou les publicités. Non, c’est bien dans nos faiblesses, nos pauvretés et même dans nos péchés que Dieu se dévoile, parce que c’est là qu’il veut et peut nous élever jusqu’à lui, nous rendre saints à son image. Frères et sœurs, sommes-nous donc prêts à porter un regard lucide sur nous-mêmes qui nous dévoilera en même temps la grâce qui nous est faite ?
Pendant des siècles l’Eglise a présenté la face dure d’un Dieu qui juge et qui punit, ce qui eut pour conséquence que bien des chrétiens agissaient non par amour de la charité, mais par peur de l’enfer. Aujourd’hui, elle nous montre le doux visage d’un Dieu miséricordieux, et nous répète que nous sommes tous appelés à la sainteté, parce que finalement il n’y a pas d’autre alternative, il n’y a pas d’autre façon d’être, il n’y a pas d’autre identité pour le chrétien que d’aspirer à participer à la sainteté de Dieu, que de vouloir être témoin et semeur de cette sainteté. Croire et vivre que le Christ est « le chemin, la vérité et la vie », ou ne pas le croire, ne pas le vivre et alors buter toujours contre les mêmes épreuves, les mêmes souffrances, la même impasse.
Et pourtant, quand ce n’est pas l’indifférence, c’est encore une fois la peur qui nous anime à l’image de cet évêque qui disait : « J’ai souvent voulu être un saint, mais je n’ai jamais osé le demander de peur de le devenir. » Ne pas vouloir devenir saint, ne pas vouloir vivre réellement, concrètement, en communion avec Dieu, c’est finalement, de manière un peu provocante, considérer que la vie est soit suffisamment belle et comblante pour ne pas avoir à s’encombrer avec lui, soit assez difficile ainsi pour ne pas avoir à ajouter une difficulté supplémentaire que serait la suite du Christ.
Frères et sœurs, en cette eucharistie, reconnaissons que si nous désirons être heureux, c’est bien souvent en choisissant nos propres chemins ; et reconnaissons-le pour ouvrir en nous, sur ces mêmes chemins, un espace à la grâce de sainteté qui ne demande qu’à entrer.