26e dimanche B
On peut être un médiocre joueur de football, voire même ne pas y jouer, et en être néanmoins champion du monde. C’est ce qui arrive à tout un pays quand son équipe nationale remporte cette compétition. A défaut d’être Le Champion du monde, ces compatriotes sont, tous ensemble, champions du monde ; ce qui ne fait toujours pas pour autant de la plupart de grands joueurs de football…
C’est un peu la même chose pour les disciples de Jésus. Comme nous l’avons entendu dimanche dernier, chacun voulait être le plus grand, mais Jésus a calmé prétentions et ardeurs en les invitant à devenir humble serviteur de tous pour être le plus grand.
Aujourd’hui, en voulant empêcher un homme d’expulser les démons parce qu’il ne fait pas partie de leur groupe, les disciples cherchent peut-être une autre forme de grandeur. Puisqu’il est si difficile d’être Le premier, ils pourraient néanmoins appartenir au groupe des premiers, à l’équipe qui gagne. Une élite qui s’approprierait Jésus, le prendrait en quelque sorte en otage, et qui détiendrait le pouvoir de la vie et de la vérité. Or appartenir à ce groupe ne fait pas d’eux pour autant des hommes vivants et vrais.
Jésus, en accueillant cet homme qui expulsait les démons, là où ses disciples voulaient l’exclure, montre que le critère de notre adhésion à sa personne, à sa Parole, au groupe de ses disciples, n’est pas institutionnel ou corporatiste, mais existentiel. C’est la cohérence de notre vie avec son message qui dit la vérité de notre engagement et qui fait ou non de nous des disciples.
Jésus nous invite à vivre cette cohérence, à faire la vérité, par un discernement
qui ne nous laissera pas indemnes puisqu’il faudra couper et arracher. Mais loin d’être une exhortation à une amputation, à une mutilation, il nous appelle à une unification, à être vrai, à être entier. Il s’agit de discerner en nous ce qui résiste ou s’oppose à sa Parole ; ce qui se satisfait à soi-même, ne recherche que soi-même ; ce qui se croit puissant comme la main qui prend ou qui frappe, comme le pied qui avance pour conquérir, comme l’œil qui possède déjà par la convoitise.
Pour entrer dans la vie éternelle, et ce dès maintenant, il faut consentir à une perte, un manque, une faille dans notre armure, une blessure ; à être petit, enfant ; et non pas s’enfermer dans l’abondance, la totalité, la suffisance, le pouvoir. Nous devons reconnaître qu’il y a en nous de quoi nous faire chuter, nous détourner du Christ et de la vie.
Face à cela, Jésus ne nous appelle pas à une domination héroïque, à un contrôle parfait, puissant, de nos instincts, désirs, habitudes, égoïsmes, mais à les démasquer. Le chemin pour vivre réellement ces coupures, ces ruptures, c’est d’accepter l’évidence : nous ne sommes pas le monde à nous seuls ; nous ne sommes pas non plus son centre ; nous ne nous satisferons jamais à nous-mêmes ; et pour combler enfin le tout, nous ne serons jamais totalement unifiés, et resterons toujours, plus ou moins, divisés, partagés, opposés. Il n’y a pas de plénitude, de perfection, à espérer ici-bas ! Pas de plénitude, mais la paix. Reconnaître dans notre quotidien nos illusions de plénitude, loin de nous décourager, de nous mutiler, nous conduira enfin sur le chemin de la paix, lieu et signe de notre vie, de notre communion, avec le Christ et avec les hommes.
Dans cet évangile, il y a justement des hommes qui ne sont pas disciples du Christ et qui pourtant font son œuvre, comme si la frontière était perméable. Il y a aussi des petits et des grands, mais là encore avec une frontière poreuse où finalement la situation peut un jour s’inverser et voir le grand précipité dans l’abîme avec une meule au cou. Oui, à sa manière, cet évangile nous questionne sur les frontières que nous érigeons. Or rappelons que la foi est une sortie de soi, un franchissement de frontière où l’on reconnaît ne pas être autosuffisant, avoir besoin de l’autre, et vouloir, pouvoir, enfin, s’appuyer sur lui pour trouver la paix. Rejeter le petit, celui qui croit et espère en l’autre, c’est entraver sa marche avec le Christ, qu’il soit ou non de ceux qui nous suivent.
Frères et sœurs, vous le savez, nous devons consentir à nous laisser évangéliser pour devenir disciple du Christ. Or cette évangélisation n’est pas un catéchisme à connaître, ce n’est pas non plus un règlement tout fait à appliquer, encore moins une morale qui condamnerait, mais une Parole à accueillir dans les évènements de notre vie et de notre monde. Parole qui vient nous interroger, débusquer nos refus, bousculer nos frontières, mettre à jour nos ténèbres. Alors certes il faudra parfois couper, arracher ce qui en nous, presque à notre insu, s’oppose à l’amour, mais c’est pour entrer davantage dans la vie.
Que cette eucharistie vienne nourrir en nous ce désir de lumière afin de devenir de véritables disciples du Christ, d’humbles serviteurs de tous.