Vigile pascale

(Mt 28,1-10)

Avril 2020

Chers Frères, nous sommes en confinement, les portes sont fermées, nos mouvements sont restreints et le monde semble comme s’être arrêté ; il se soigne et s’interroge. Et tous, nous attendons « l’heure où, comme dans l’évangile, commencer(a) à poindre le premier jour de la semaine » (1), la fin de ce mauvais rêve surréaliste. Matthieu nous parle lui aussi de ce moment où tout s’arrête, du Grand Sabbat, puis de cet après, et c’est alors le mouvement, l’ouverture, l’air pur : le ciel, une pierre roulée, un tombeau qui s’ouvre comme un carcan qui nous tombe des épaules ; un mouvement ininterrompu de la course des femmes à l’apparition de Jésus, en passant par la descente de l’ange et en imaginant déjà les disciples en Galilée au bord du lac. Le mouvement, la vie, et par deux fois, comme une espérance pour aujourd’hui : « Soyez sans crainte » (5.10).

 

Comme nous le disions le jour des Rameaux, ce monde renouvelé est donné à voir, est donné à vivre, à ces femmes qui se sont tenues debout au cœur de la nuit du Golgotha. Ces femmes, qui sont restées fidèles, sont envoyées à ces renégats que sont les disciples, pour leur annoncer que le Christ est ressuscité et qu’il les attend, et qu’il les envoie en Galilée. Une telle annonce signifie pour eux qu’ils sont pardonnés et que le Ressuscité croit en eux, non en raison de leurs mérites – puisqu’ils n’en ont point - mais en dépit de leurs faiblesses, mais en raison de l’œuvre de Dieu en Lui et en eux. Croire en la résurrection du Christ, c’est croire en l’homme, en nos frères, parce que Dieu, lui, ne les abandonnera jamais, parce que Dieu les façonne et fait grandir en eux la vie. Ces femmes, par leur fidélité, auraient pu mériter de demeurer avec le Ressuscité, mais il les renvoie de suite, pour aller vers ceux qui l’avaient abandonné. Et dès l’annonce de l’ange, « Vite, elles quittèrent le tombeau, remplies à la fois de crainte et d’une grande joie, et elles coururent porter la nouvelle à ses disciples. » (7). Aucune amertume de leur côté, aucune revendication, aucune première place attendue, mais la crainte due au Seigneur, et surtout la joie, celle que le Christ soit vivant, et aussi, en conséquence, la joie que ces hommes, les disciples, soient pardonnés et remis en route. « Marie-Madeleine et l’autre Marie » (1) ne s’attardent pas sur elles-mêmes, mais elles sont toute données à leur mission reçue qui consiste à dire à l’autre qu’il est aimé d’un amour vivant et éternel. Emerveillées, elles partagent ce qu’elles découvrent, et ainsi rendent elles-mêmes la vie aux disciples.

Les paroles que Jésus emploie nous disent plus précisément en quoi consiste cette vie, ce salut qui nous est offert : « allez annoncer à mes frères », ordonne-t-il à ces femmes. Pour la première et seule fois, Matthieu met ce mot de « frère » dans la bouche de Jésus pour parler des apôtres, et c’est au moment de la résurrection. Fraternité et résurrection sont liées. Ce mot employé par Jésus dit la force du pardon qui leur est donné et la profondeur du lien qui les unit à leur maître. Mais il dit surtout comment l’évènement de la résurrection change notre vie. Nous sommes les frères du premier-né d’entre les morts, ce qui veut dire que nous sommes invités à communier à sa vie, sa vie qu’il reçoit du Père. Mais cette communion, c’est à nous tous, tous ensemble, qu’elle est proposée. Si la résurrection fait de nous des fils, c’est parce qu’elle fait de nous des frères. Si notre fraternité avec le Christ est à recevoir, elle ne peut que se vivre dans la fraternité quotidienne avec ceux qui nous entourent. Elle nous ouvre à la vie de Dieu, mais aussi à celles de nos frères, et ainsi à la nôtre. Elle nous réconcilie avec Dieu, mais aussi entre nous. Elle nous donne de traverser la mort, mais encore de dépasser la haine, la violence ou tout simplement l’égoïsme. Et ainsi, comme l’a écrit le Père Joseph Moingt, « Notre appel au salut vise avant tout à créer du lien, un lien d’amour entre les hommes, en sachant que la visée de Dieu est de les sauver entrelacés les uns aux autres par les liens d’amitié qui tissent les relations entre les hommes dont il veut faire sa propre famille. » Et il poursuit : « L’annonce de l’évangile, c’est sa prise en charge pour faire advenir la bonne nouvelle dans un monde qui en deviendrait effectivement meilleur. » Voilà le salut qui nous est donné et voilà ce que nous devons en faire ! Bâtir un monde meilleur en se recevant comme fils et comme frère, vivre le don et le pardon comme le Christ l’a fait pour ses disciples, croire en Dieu et en nos frères. Et cela, nous l’avons vu, ces femmes l’ont compris, parce que, non loin de la croix, elles ont contemplé le don et le dessein de Dieu pour qui il n’y a pas d’autre réalité, pas d’autre vérité, par d’autre vie que celle du don, que celle de l’amour. Alors, en cette eucharistie, présentons et confions au Seigneur notre vie fraternelle, notre vie monastique, pour qu’avec nous et par nous, il en fasse jaillir la vie.