5e dimanche de Pâques A

Jn 14,1-12

Mai 2020

Chers Frères, avec cet évangile, nous nous situons au soir de la Cène, au soir du lavement des pieds. Judas vient de quitter le groupe pour accomplir sa besogne, Jésus déclare à ses disciples qu’il n’est plus avec eux que pour peu de temps, et il annonce à Pierre qu’il l’aura « renié avant qu’un coq ne se mette à chanter. » (13,38). Dans ce contexte où tout semble se précipiter, où tout semble s’effondrer pour s’ouvrir sur un inconnu incertain voire hostile – ce qui pourrait aussi correspondre à notre actualité - les mots d’encouragement de Jésus sont les bienvenus : « Que votre cœur ne soit pas bouleversé. Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. » (1).

Non pas croire pour ne plus avoir peur, mais ne plus avoir peur parce que nous croyons, parce que nous avons confiance en lui et en sa capacité d’agir dans notre vie, dans notre monde ; parce que nous adhérons à lui, que nous faisons corps avec lui, que nous lui sommes indissociables, inarrachables. C’est bien cette adhésion au Christ, ce destin mêlé au sien, qui fait que Jésus est en effet, effectivement, « le Chemin, la Vérité et la Vie » pour nous (6). Jésus est notre chemin et nous n’en avons pas d’autre, sous peine, comme nous le disions, non pas tant de trahir ou de renier, mais tout simplement de nous perdre, et de perdre ainsi et la Vérité, et la Vie. Nous retrouvons ici la théorie des deux voies du Deutéronome : « Je mets devant toi la vie ou la mort, la bénédiction ou la malédiction. Choisis donc la vie […] en aimant le Seigneur ton Dieu, en écoutant sa voix, en vous attachant à lui ; c’est là que se trouve ta vie » (Dt 30,19-20). En entendant ces mots, nous pouvons nous demander où nous en sommes dans notre vie, puisqu’elle dépend de notre amour, de notre écoute, de notre attachement à Dieu. Nous qui nous disons chrétiens, nous qui sommes moines, interrogeons-nous sur la place réelle que nous donnons à Dieu dans notre quotidien, et nous aurons une idée de la santé, de la vigueur de notre vie. Fixer notre regard, notre écoute sur le Christ, afin de pouvoir le suivre là où il nous conduit. Je méditais dernièrement ce verset de la deuxième lettre aux Corinthiens : « Il est mort pour tous afin que les vivants ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux. » (2 Co 5,15) Et je me demandais pourquoi ne plus vivre pour soi-même et pourquoi vivre pour le Christ, et peut-être surtout pourquoi, en théorie en tous les cas, cela me paraissait si évident ? Mais tout simplement parce que nous savons, nous reconnaissons au fond de nous-mêmes, au-delà de la tyrannie de notre moi égoïste, qu’Il est la Vie et qu’il n’y en a pas d’autre possible, pas d’autre vérité envisageable, pas d’autre chemin à emprunter pour aller là où nous désirons tous aller.

 

La symbolique du chemin s’inscrit dans le temps, dans le temps de notre vie. C’est une découverte, une aventure, une relation à construire et à accueillir : prendre la route comme on prend la main. Le chemin, c’est avancer, parfois s’arrêter, mais c’est aussi se déplacer, dans le sens de faire un pas de côté, le pas que nous n’aurions pas fait si nous n’y avions pas été invités, provoqués. Le chemin, c’est être à l’écoute des signes qui nous y sont donnés pour ne pas nous laisser dérouter lorsque nous le sommes. Il y a le chemin que nous connaissons par cœur, que nous faisons régulièrement, les yeux presque fermés, sans y penser, chemin qui devient route puis routine. Mais il y a le chemin de la vie et de la vérité, celui que nous propose Jésus, chemin qui n’est pas celui de nos habitudes, mais de sa fidélité ; qui n’est pas celui de nos certitudes, mais de cette voix qui sans cesse nous appelle à nous déplacer ; qui n’est pas celui de notre confort, mais du pardon et de la persévérance.

Suivre le chemin que nous ouvre le Christ, nous lancer sur cette route qu’il est lui-même, c’est, comme nous le disions dernièrement, nous fondre dans son élan, sa dynamique, son esprit ; c’est devenir fils, se laisser engendrer comme fils. Pas d’autre chemin, pas d’autre vérité, pas d’autre vie, que de se recevoir comme fils. S’abandonner dans les mains du Père ; ne pas avoir le cœur bouleversé d’un tel saut dans la foi, comme nous y invitait Jésus au début de cet évangile ; poursuivre ce saut, ce chemin chaque jour. C’est bien ce qu’a vécu Jésus, en quelque sorte la véritable œuvre par laquelle il nous invite à croire quand il dit : « si vous ne me croyez pas, croyez du moins à cause des œuvres elles-mêmes. » Et c’est ce qu’il nous appelle à vivre en lui, avec lui. Non pas une vie où nous aurions à tracer notre sillon, à faire notre bonhomme de chemin, mais une vie qu’il nous faut écouter et discerner pour pouvoir l’accueillir et la choisir.

Saint Benoît nous a donné la Règle pour vivre cette vie, pour vivre ce retour à Dieu. Qu’en cette eucharistie qui nous unit, nous puissions tous ensemble être conduit à la vie éternelle (cf. RB 72,12).