26e dimanche ordinaire A
(Mt 21,28-32)
Septembre 2020
« Un homme avait deux fils » (28). Deux fils qui n’en font en réalité qu’un seul et qui nous ressemblent étrangement. Par exemple, il serait facile de relever en chacun de nous les divergences entre ce que nous disons et ce que nous faisons. Nous pourrions aussi noter toutes ces fois où nous disons ‘non’, où notre premier réflexe est de ne pas vouloir, de penser : ‘laisse-moi tranquille’, ‘fais-le toi-même’ ou encore ‘demande à un autre’. Ces réponses ce sont celles que nous donnons parfois à nos proches, et ce sont celles que nous donnons aussi à Dieu. Ainsi, cet homme, ce père de la parabole, c’est Dieu, bien sûr, mais c’est aussi tout homme, toute femme, qui nous propose une relation de paternité, d’engendrement, de croissance mutuelle.
Alors, que nous dit cet homme ? « Mon enfant, va travailler aujourd’hui à la vigne. » (28). La psychanalyste Marie Balmary a dépecé cette phrase. Quand elle entend « va » - « va travailler aujourd’hui à la vigne » - elle se souvient d’Abraham et de ce que le Seigneur lui dit : « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, et va vers le pays que je te montrerai. » (Gn 12,1). Ainsi, elle n’entend pas un ordre, mais un appel, un envoi, une terre promise et une descendance.
« Mon enfant, va travailler ». Là aussi, le mot grec utilisé ne renvoie pas au travail comme une contrainte, une aliénation, mais davantage comme une œuvre. C’est donc là encore un appel à prendre sa part dans l’œuvre de création : création de ce qui nous est confié, du monde, et création, valorisation de soi, de l’homme ou de la femme que nous sommes.
« Va travailler aujourd’hui ». Cet appel, il est pour aujourd’hui. Il n’est pas un enchaînement de notre liberté, encore moins un oui que nous aurions prononcé une fois pour toutes et que nous n’aurions plus à redire, à refaire. Non, c’est aujourd’hui que nous sommes sollicités ; c’est aujourd’hui que tout commence ; et c’est aujourd’hui que nous jouissons de notre liberté pour créer ou ne pas créer.
Enfin, « Mon enfant, va travailler aujourd’hui à la vigne. » Il ne dit pas ma vigne, mais la vigne. Il ne prend possession de rien, ni de personne ; il offre ce qui est là – le monde, la vie – et le met à disposition pour le fils et pour nous.
La réponse à la demande du père n’est donc pas d’abord dans le oui ou le non, mais dans le fait ou non d’aller travailler aujourd’hui à la vigne. Il s’agit d’entendre l’appel qui nous est adressé : l’appel à la vie, à la liberté, à la création du monde et de soi, et aussi l’appel à la dépossession. Cet appel, il a un nom, c’est celui de l’engendrement, de la filiation. Y répondre, c’est se laisser engendrer, devenir fils, et reconnaître le Père. Les grands prêtres et les anciens du peuple à qui Jésus s’adresse n’entrent pas dans cette filiation, parce qu’ils croient que leur oui de leur jeunesse leur suffit, parce qu’ils s’agrippent à ce qu’ils possèdent, parce qu’ils pensent se protéger en sauvant les apparences en disant oui mais en ne faisant pas. Les prostituées et les publicains, eux, n’ont rien à perdre, rien à préserver, si ce n’est la vie, et se risquent dans cet appel. Et j’ajouterais que l’Eglise d’aujourd’hui, dans la crise qu’elle traverse, n’a ou n’aurait, elle aussi, rien à perdre, et qu’elle peut, et qu’elle doit, se risquer.
Mais alors comment aller aujourd’hui travailler à la vigne ? Je crois que l’attitude fondamentale de cette parabole, c’est celle du repentir dont parle Jésus. Mais il ne s’agit pas d’abord d’un repentir moral, mais d’un repentir qui marque un changement de direction. Et ce repentir est possible parce qu’il est une écoute, une écoute nouvelle. Il naît du fait de ne pas s’enfermer sur nos positions, nos possessions ; du fait de se permettre de changer d’avis, d’être libre, pauvre et disponible pour entendre autre chose que ce que nous nous serions toujours répété. Aller travailler aujourd’hui à la vigne, c’est se mettre à l’écoute de ce que nous ne savons pas parce que nous ne l’écoutons pas ; c’est se mettre à l’écoute de ce qui ne se dit pas normalement entre grands prêtres et anciens du peuple, que nous sommes tous à notre façon ; c’est se mettre à l’écoute de ce que l’Esprit de Dieu veut nous dire, de ce qu’il veut faire avec nous.
Oui, frères et sœurs, nous sommes appelés à nous laisser toucher, pénétrer, transformer par la Parole de Dieu – parole biblique ou simple parole du quotidien, évènement ou rencontre. Accueillir la Parole, ne pas lui répondre de suite non, et peut-être encore moins oui, mais la laisser descendre en nous pour lui permettre, à elle, d’aller travailler aujourd’hui à la vigne que nous sommes. Lui permettre de faire son lent travail en nous ; travail qui ouvre, qui nous ouvre du nouveau, autre chose, et qui fait ainsi vraiment de nous des fils. Dans ce temps incertain pour notre monde, pour notre Eglise, ce ne sont pas nos positions, nos certitudes qui nous ouvrirons un avenir, mais une écoute réelle, déroutante peut-être, mais indispensable.